GUILLAUME SANCHEZ, CHEF RESPONSABLE : « ARRÊTEZ DE MANGER DE LA M… ! »

guillaume sanchez

Participant de la saison 8 de Top Chef, Guillaume Sanchez a ouvert son restaurant Neso en 2015. La cuisine y est engagée, éthique et le menu surprenant. Son défi : étonner le client et consommer le moins possible. Interview étoilée.


Tu es assez soucieux des questions environnementales. En quoi ta cuisine est-elle engagée ?
Guillaume Sanchez : On essaye d’être au plus proche du terroir français, c’est déjà un bon début. On a peu de perte de matière première en cuisine puisque l’on travaille beaucoup sur la partie fermentation et sur la conservation. Nos poubelles ne sont pas trop pleines en fin de service, contrairement à certains restaurants. On réutilise tout du produit de manière à faire nos sauces, nos fermentations… 

D’autres façons d’être écolo ? 
Au lieu de commander trois kilos d’asperges par jour, on en commande cinquante ou cent kilos d’un coup : on réduit ainsi l’impact carburant des camions qui viennent nous livrer. Aussi, dernièrement, quand on a fait les travaux, on a fait en sorte que l’électricité soit la plus clean afin de consommer le moins possible.

Vous refusez la viande mais dites oui au poisson, c’est ça ?
C’est un restaurant de poisson et de produits de la mer, mais ils sont pêchés correctement. Le vrai combat est là : aujourd’hui, mettre en parallèle l’environnement et les légumes, pourquoi pas. Sauf que continuer à faire ses courses chez Carrefour revient à entretenir un système de merde. Et je ne pense pas que tout le monde fasse ses courses chez Terroirs d’Avenir. 

Moralité ?
Il vaut mieux manger un poisson qui a été pêché correctement qu’un légume qui a poussé en Espagne. Il faut faire comprendre que la démarche n’est pas tant sur le format que sur la façon dont on consomme nos produits. 

Un conseil pour l’équipe de Technikart, moyennement bio ?
Arrêtez de manger de la merde ! Si les pêcheurs font les choses correctement et que les gens vont dans de bonnes poissonneries plutôt que de manger une quiche aux poireaux Herta, ça changera. Je n’ai absolument rien contre le véganisme, mais il faut faire gaffe à ce que l’on ingère. Parce que ça n’a aucun intérêt de consommer des légumineuses si elles viennent de l’autre côté de la planète. 

Au niveau de ton restaurant, tu proposes un menu unique… 
Pour des raisons artistiques et économiques. Pour pouvoir m’exprimer avec mon équipe de manière totale et pour m’éviter de commander des matières premières pour rien. Que ça parte à la poubelle ou que ça dure une semaine. Pour ces raisons-là, je préfère imposer quelque chose de straight. 

Tu as grandi jusqu’à tes 13 ans dans une caserne militaire. Est-ce que ça a eu un impact sur tes aspirations professionnelles ?
Ça a multiplié ma crise d’adolescence ! Mon père et tout ce qui gravite autour de la caserne m’ont appris une rigueur assez folle, qui fait qu’aujourd’hui je suis toujours là, dans un monde où les gens consomment quelque chose et l’oublient aussi rapidement. Ça va faire 17 ans que je fais ce métier et c’est en constante évolution. Ça a eu sûrement un impact particulier au départ mais, par la suite, quand je suis revenu de tout ça, c’est davantage un impact positif. 

Comment appréhendes-tu la réouverture des restaurants à la rentrée ?
Mal ! On a été enfermé depuis trop longtemps et il risque de se produire la même chose que pour ma crise d’adolescence : ce sera un grand n’importe quoi. Tout le monde a besoin de se retrouver, de faire la fête dehors, de picoler, et parce que tout le monde n’est pas encore vacciné, il y a un risque énorme. Je ne pense pas qu’on parvienne à se responsabiliser, ce qui risque d’entraîner de nouveau une fermeture de toute la catégorie culturelle et non-essentielle… 

Malgré les ventes à emporter que tu as commencées à proposer pendant le confinement, tout a changé ?
Je pense que tout a déjà changé. Alain Ducasse le dit très bien : « Les habitudes deviennent souvent de mauvaises habitudes ». Les gens ont pris l’habitude de manger chez eux aujourd’hui. Et au niveau de l’équipe, avec une telle coupure, la reprise risque d’être difficile à suivre. Je pense qu’on est sur un tournant mondial de la restauration, j’attends juste de voir à quel point. 

Tu es récemment devenu père. Comment concilies-tu ta vie de père et ta vie de chef cuisinier ?
J’essaye aujourd’hui de donner le temps dont mon fils a besoin. Et quoi qu’il arrive, ça a un impact sur ma vie de chef. J’essaye de trouver un équilibre. Je n’ai pas envie de rater le coche. Je crois que c’est ce qu’il y a de plus important pour moi, c’est pour lui que je fais tout ça. J’ai envie d’essayer d’être un bon chef et un bon papa en même temps.

Avant, ton truc, c’était plutôt la pâtisserie. Comment es-tu passé de là à finalement ouvrir un restaurant ?
J’avais envie d’avoir plus d’impact le menu. Surtout que quand j’ai commencé, le menu dégustation n’existait pas vraiment. Le dessert était donc presque un choix à la fin et ça me décourageait. J’ai eu envie d’imposer une vision plus globale. Le restaurant, ça reste du sourcing produit, de l’assaisonnement et de la rigueur, donc en fait le même métier, qu’on a juste scindé en deux. On a mis les pâtissiers dans une pièce à part, ce que je trouve incompréhensible. 

Après le resto, tu comptes ouvrir un salon de tatouage ?
Est-ce que les tatouages que je me fais moi sont plus jolis que certains de vrais tatoueurs ? Oui, sûrement. Mais le problème n’est pas de trouver qu’un particulier s’en sort mieux qu’un professionnel, le problème est qu’un particulier s’en sort mieux qu’un professionnel et on a le même en cuisine. Je n’ai pas de diplôme de tatoueur, et de toute façon je suis bien meilleur en cuisine !

Neso, 6, rue Papillon, 75009 Paris.


Par
Léontine Behaeghel
Photo Anaël Boulay