GUILLAUME CANET, ACTEUR MULTI-CASQUETTES : « J’AVAIS BESOIN DE FAIRE CE FILM »

Guillaume canet technikart

Avec Lui, Guillaume Canet réalisateur offre à Canet l’acteur un rôle inédit : il y campe un compositeur en pleine crise avec sa part de « connard », livrant au passage une performance « SchizoFlex » déroutante. Interview actors studio. 

« Je viendrai avec grand plaisir… si jamais vous voulez organiser une rétrospective de mes films. » Interrompu en pleine séance technikartesque,  Guillaume Canet reçoit un appel des organisateurs d’une fête devant se tenir à la Coupole pour les 70 ans des  Cahiers du Cinéma. Il refuse poliment, mais fermement, laissant échapper sa blague pour faire passer la pilule. Après tout, quel intérêt d’aller festoyer avec des gugusses qui descendent mollement tes films ? Lui se contente de ses cartons au box-office (5,5 millions d’entrées pour Les Petits Mouchoirs) et une filmo qui commence à peser. Hier, la géniale comédie Rock’n’Roll. Aujourd’hui, l’ambitieux psyché-thriller (plus SchizoFlex, tu meurs !), Lui. Son échange avec l’émissaire des Cahiers terminé, il range son téléphone et se lance dans une dissection. Celle de 25 ans de carrière de l’éternel outsider du cinéma français…

Dans Lui, tu mets en scène tes conflits avec ton alter-ego, avec ta part « connard », comme Tyler Durden (Fight Club de David Fincher, 1999, d’après le livre de Chuck Palahniuk) ? 
Guillaume Canet : J’avais plutôt en tête des films de Blier, ceux avec un personnage imaginaire ou, dans Le Bruit des glaçons, quand le personnage principal parle à sa maladie. C’était une référence, une inspiration, même. Sinon, je n’avais pas forcément de références cinématographiques ; c’était surtout un sujet très personnel que j’avais envie de raconter. 

Il faut être au bout du rouleau pour avoir envie de partager ça ? 
Ah non ! Quand on est au bout du rouleau, on n’est pas capable d’avoir le recul et la distance nécessaires pour être honnête, concret et cohérent. 

À combien de pourcentage y a-t-il du vrai Guillaume Canet dans Lui ?
C’est très compliqué à estimer. Ce n’est pas parce que le personnage a une maîtresse dans le film que ça veut dire que j’ai une maîtresse ! Par contre le fait de parler de la jalousie ou du désir avec ma femme dans le film, ce sont des choses dans lesquelles on peut tous se retrouver. 

Le personnage de Lui se débat avec sa part de « connard ». 
Oui, dans la scène avec Kassovitz (son pote dragueur dans le film, ndlr) et Virginie (son épouse, ndlr), il dit : « J’ai un connard à l’intérieur de moi, je me bats avec, vous croyez que c’est facile ? ». Il l’exprime de manière très précise : il a un connard à l’intérieur de lui qui le tire vers le bas. 

En écrivant un film pareil, tu t’attends à certaines critiques sur le narcissisme du film ?
Oui et non. C’est l’avis de ceux qui ne m’aiment pas ou qui n’aiment pas mon cinéma. Ce n’est pas très grave. Certaines critiques diront probablement que c’est de la psychologie de comptoir, du narcissisme. Quand on voit le nombre de personnes qui vont voir ces films, qui s’identifient aux personnages que j’ai pu écrire, ça prouve que mes films sont assez universels, non ? 

Et tu y vas quand même. C’est ton côté Blier ? 
C’est le meilleur des compliments que tu puisses me faire, même si je n’ai pas la prétention d’être à son niveau. De toute façon, je ne sais pas faire de cinéma en parlant de choses que je ne connais pas. Je ne vais pas me mettre à faire des films sur la politique, que je ne maîtrise pas. En fait, je n’ai pas envie de faire un cinéma consensuel, qui plaise à tous les critiques…  Donc je ne me pose pas trop ces questions. 

Et pour toi, c’était tes questionnements autour de la vie de famille. 
Pendant le confinement, je me suis retrouvé en pleine remise en question : « Est-ce que je suis un bon père ? », « est-ce que je suis un bon compagnon ? », etc. Évidemment, je ne raconte pas ma vie, c’est une fiction. Mais je me sers d’éléments personnels pour alimenter l’histoire de cet homme. 

Tu as enchaîné les grosses prods et des films plus petits, mais tu n’avais jamais réalisé quelque-chose d’aussi intimiste : un quasi huis clos, avec une poignée de personnages… 
Mon dernier film, la suite des Petits mouchoirs, avait quand même fait beaucoup d’entrées (2,8 millions d’entrées en 2019, ndlr). J’aurais pu continuer dans cette veine et faire un gros film populaire, mais j’ai eu envie de faire un plus petit film, tourné en quatre semaines, avec une toute petite équipe.

 

Guillaume canet technikart
DANS LA TÊTE DE…_
À fleur de peau, bourru et étonnement sincère, le réal’ sort des bons films psychologisants… et donne de bonnes interviews. Logique.

T-SHIRT, COSTUME, BOOTS EN CUIR & SAC EN CUIR ARMANI

 

Tu t’es d’abord fait connaître en tant qu’acteur avant de réaliser un court-métrage en 1998, Je t’aime, produit par celui qui deviendra le producteur de tous tes films, Alain Attal. Passer derrière la caméra, ça a été le début des emmerdes ?
Ah ah ! En fait, j’ai toujours voulu être metteur en scène. Je faisais des court-métrages en Super-8 ou en vidéo depuis l’âge de 15 ans. Alors, quand je suis arrivé à Paris, je me suis dit : « Si je veux réaliser et diriger des acteurs, il faut que je puisse comprendre leur métier », et je me suis inscrit au cours Florent. Je m’y suis plu, j’ai commencé à courir les castings et, curieusement, ça a commencé à marcher pour moi.

Et ça explose avec La Plage en 2000. 
Succès pas vraiment mérité pour moi, puisqu’il n’y avait pas grand-chose à jouer. Après j’ai joué dans Vidocq, dans lequel je n’étais vraiment pas bon, et derrière je n’ai rien eu, plus de propositions… Du coup, je me suis dit que c’était l’occasion de revenir à ce que je voulais faire à la base, la mise en scène. 

Ce qui donne Mon idole (2002). 
J’avais fait des courts-métrages avec Philippe Lefèvre et Alain Attal. Un jour, avec Alain, on a décidé de faire un premier long-métrage, Mon Idole, et c’est comme ça qu’il s’est totalement lancé dans la production.

Très tôt, tu joues avec celui qui deviendra une sorte de mentor, Jean Rochefort. 
Oui, je l’ai vu de loin pendant des années (ses parents sont éleveurs de chevaux, ndlr), et un jour il a eu une jument qui est venue pouliner chez nous. Il m’a parlé de ce film (du casting de Barracuda, qui sortira en 1997, ndlr). Il m’a donc permis de faire mon premier film au cinéma. 

Jeune débutant, tu joues face à Rochefort, Jean Yanne (dans Je règle mon pas sur celui de mon père en 1998 ndlr)… On sent bien que cette génération t’a longtemps servi d’influence majeure. Tu n’as pas peur de ne pas être assez contemporain ?  
Je ne sais même pas si je suis moderne. J’essaye de vivre dans mon temps, mais avec effectivement des inspirations et des références de films avec lesquels j’ai grandi et qui m’ont beaucoup appris.

Et quand tu vois travailler un DiCaprio de près, avec tout une organisation en place pour rafler les rôles à Oscar, ça t’inspire ? 
Leonardo a quand même mis longtemps à avoir un Oscar, il l’aurait mérité sur beaucoup d’autres films avant. Aux États-Unis comme en France, le métier est très content de féliciter, d’encourager un artiste quand il émerge. Après, une fois qu’on a eu du succès, on agace.  Aujourd’hui, tout le monde pleure Belmondo en disant « Quel acteur formidable ! », qu’il a fait partie de la Nouvelle Vague et qu’en même temps il a fait des films populaires… Mais il ne lui ont jamais filé un César ou un prix d’interprétation à Cannes.  

Tu te sens rejeté comme ils ont pu l’être ? 
Je me suis senti parfois exclu de ce métier en tant qu’acteur… Je n’ai pas toujours la chance d’avoir un rôle qui me plaît, donc je m’octroie le droit de m’offrir un joli rôle.

En 2006, tu réalises Ne le dis à personne, budget de 12 millions. Il a suffisamment marché pour que tu puisses continuer à aligner les grosses prods, ou au contraire, t’a donné envie de passer à des films plus intimistes ? 
Certains films nécessitent un gros budget. Après Les petits mouchoirs, où on a fait 5,5 millions d’entrées, j’aurais pu faire la suite immédiatement et ne pas faire Blood Ties pour lequel j’ai mis tout mon salaire en co-production. Mais ce qui dirige tout ça, c’est l’envie de raconter une histoire. 

Blood Ties (2013), réalisé en anglais, est un échec commercial aux États-Unis. Ça a changé tes rapports avec les Américains ? 
Le film n’était pas vraiment un échec. Quand on voit des grands metteurs en scène américains comme James Gray ou Woody Allen, leurs films ne marchent pas du tout dans leur pays. Ils sont connus et marchent en Europe. Il n’y avait donc aucune chance que mon film, qui est dans cette veine de films d’auteur, puisse fonctionner là-bas. En revanche, le film a été un échec en France, c’est certain. Il y avait quand même une désillusion. J’ai fait l’erreur de le montrer à Cannes pas fini. 

Comment ça, « pas fini » ?
Quand le film est sorti, il y avait 40 minutes de moins que ce qui était initialement prévu. J’aurais mieux fait de faire ce travail-là que de le montrer à Cannes. 

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Entretien
Margot Ruyter
Photos Eddy Brière