Les meilleures amies pourraient-elles (enfin) acquérir un autre statut que celui de la BFF pseudo-saphique ou girly-gnan-gnan ? Notre chroniqueuse est allée enquêter sur les pas si nouvelles amitiés féminines.
Womance, sisterhood, sororité, les termes affluent et sont tous plus revêches les uns que les autres. Les amitiés féminines se passent de label. S’il en faut en un, je choisis celui-ci, la sororité dépravée. La sororité, c’est le terme qu’on attribue à l’entraide féminine, copié/collé de son homonyme masculin, fraternité, singé au sorority anglo-saxon, notion floue qui désigne aussi bien une attitude qu’un concept politique.
SORORITÉ DÉPRAVÉE
Les femmes échappent au labeling, à l’étiquetage grossier. Je prône aujourd’hui la sororité dépravée, sororité de l’impur, entraide guerrière, amitié terrible, celle observée entre les personnages féminins des films d’Almodovar – lien magnifique entre Carmen et Raimunda dans Volver (2006) – ou plus récemment dans l’excellent Diamant Brut (2024) d’Agathe Riedinger, deux sœurs pudiquement soudées, silencieusement unies dans la galère. Celle des femmes qui n’ont pas à se tenir la main pour se porter mutuellement.
Les amitiés féminines sont tenaces et discrètes, elles se passent de check, de bro et de coups d’épaule. Les femmes assurent dans les moments critiques, se portent assistance dans les déménagements, les ruptures, se protègent mutuellement la nuit, s’accompagnent aux avortements. C’est elles, et seulement elles, que l’on appelle lors des crises de panique, des drames insurmontables, des épreuves de la vie. Il existe autant de solidarités qu’il existe de femmes, de la place précieusement gardée dans le métro à l’amie qui refuse de s’endormir tant que la sœur n’est pas rentrée.
J’appelle à un retour aux amitiés dissipées, aussi chastes que dévergondées, celle que partageait Colette avec Annie de Pène, Marguerite Moreno, Musidora. Quator infernal, jeux de jambes sous la table, longs silences : utopie érotique. Celles que nous décrivaient, avec leur inégalable talent de lesbiennes début de siècle, Mireille Havet ou Liane de Pougy dans leurs écrits sulfureux. Gang de femmes solidaires dans l’adversité, lucides, intraitables, carnassières, aux surnoms plus gracieux que nos relents anglo-saxons. « Ma libellule », « mon âme », « mon rayon de lune », c’est ainsi que Liane appelait ses chères et tendres.
ADOLESCENTES RADICALES
La sororité est une notion aseptisée, propre. J’appelle à un retour aux termes souillés, douteux, gourmands. L’amitié féminine est un terrain de subversion vertigineux. Au lieu d’empouvoirement, utilisons les jolis mots. Férocité, indiscipline.
Revendiquons la cruauté de chatte de Colette, remettons au goût du jour l’amitié intrigante, celle qui gronde en silence et ne baisse pas la garde. Inspirons-nous des sociétés de femmes méditerranéennes, vieilles femmes énervées, adolescentes radicales, cagoles, gorgones, sirènes. Langage impitoyable, place pleinement occupée, sororité dépravée. « La vraie amitié n’a pas besoin de mots pour venir en aide à l’autre. » Colette, évidemment.
Par Esther Teillard