DU POULET PANÉ DANS LE 13E AVEC RAPHAËL QUENARD

RAPHAËL QUENARD technikart

On a percuté Raphaël Quenard en pleine promo pour son bien secoué I Love Peru. Entre deux cocktails, on a parlé de Stanley Kubrick et de Jean-Pierre Raffarin, mais aussi de l’élasticité de son anus et de la bouche de Vincent Lindon.

En quelques années, Raphaël Quenard est devenu un comédien essentiel du cinéma français. On l’a découvert dans Mandibules, Chien de la casse, puis Yannick, apprécié dans Je verrai toujours vos visages ou Deuxième acte, un peu moins dans les gros machins patapoufs comme L’Amour ouf ou Leurs Enfants après eux. Son talent est étincelant, son intensité évoque Patrick Dewaere, sa folie celle de Michel Serrault, et il devrait obtenir la consécration avec le biopic à venir sur Johnny Hallyday. À la ville, Raphaël avance masqué. Zébulon cool et rigolard, il n’aime rien tant que faire le show, rouler les journalistes dans la farine et raconter n’importe quoi avec sa petite voix nasillarde, ses tournures de phrases alambiquées, un sourire ravageur accroché aux lèvres. En promo pour sa première mise en scène, le mockumentaire zinzin I love Peru (voir notre critique dans les pages Meilleur du mois, ndlr), coréalisé avec son pote Hugo David, il débarque le vendredi 13 juin au MK2 Bibliothèque, dans le 13e arrondissement. La grande salle du complexe est bourrée de jeunes qui attendent leur idole, tandis que Raphaël, une casquette à l’envers vissée sur le crâne, et Hugo se chauffent dans une loge. Raphaël a bonne mémoire (« on s’était rencontrés à une projo de Yannick, non ? », tandis qu’Hugo balance des vannes (« vous êtes critique et vous voyez vraiment les films ? »). Sur scène, les deux garçons font le show, devant un public conquis d’avance. « Merci d’être venus pour ricaner puissance un milliard. » Ils s’éclipsent en se gondolant, direction le resto du cinéma. Je m’assoie à côtés de Raphaël pour écouter ses bêtises, entre son coréalisateur, sa productrice Lucile Vainstein, le distributeur du Pacte, le producteur Annibal Colonna… Tout le monde se marre et le distributeur annonce environ 200 salles pour la sortie France, tandis que Raphaël estime qu’il sera heureux avec… un million de spectateurs ! « On aurait dû rester dans la salle pour voir le film avec le public, écouter où ils rigolaient. »

Dans I Love Peru, Raphaël Quenard se dépeint comme un acteur bas de plafond, salement allumé, mais aussi radin et prêt à coucher pour avoir un rôle. Quand il commande un cocktail au nom exotique (Cosmo Violetta), on lui demande s’il va régler l’addition et il se fend d’un « t’inquiète, c’est le distributeur qui paie, il a une carte Gold. Prends un Moscow Mule ! » Ornées de bijoux de femmes (« je préfère, c’est plus joli »), ses mains fines et longues virevoltent autour de son visage. Ma première question est évidemment cinéphilique et je lui demande si, comme le Raphaël Quenard de I Love Peru, il couche avec ses réalisateurs pour réussir. Les yeux de Raphaël s’illuminent et c’est parti pour le show. « Mon anus est d’une élasticité confondante, ce qui est parfait pour percer dans le cinéma. Dans le film, rien n’est vrai et tout est vrai. On commence avec une phrase de Pablo Neruda, ‘‘La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité.’’ C’est à toi de démêler le vrai du faux. » De fait, I Love Peru commence avec la naissance de l’amitié entre Raphaël et Hugo, venu faire le making of de Chien de la casse. « Je l’ai suivi pendant deux ans avec ma caméra, affirme Hugo, et il m’a vraiment appelé un jour pour partir au Pérou. On est rééllement potes. » Le film a été tourné à deux, sans autorisation, avec une petite caméra, et Quenard a demandé à ses potes (Jean-Pascal Zadi, Marina Foïs, François Civil, Benoît Poelvoorde, Eric Judor…) de faire de petites apparitions rigolotes. « Dans tous mes contrats, j’avais négocié qu’Hugo puisse passer et filmer deux jours sur le plateau ». Résultat, le film est sélectionné à Cannes, où il était présenté dans la section Cannes Classics, comme Barry Lyndon, ce qui pourrait sembler un poil étonnant. « Thierry Frémaux estime que c’est un classique et je dois vous avouer, en toute modestie, que nous ne sommes pas en désaccord avec lui ! C’est comme ça qu’on l’a reçu en tout cas. Après, Barry Lyndon, c’est bien aussi, ça se regarde. Stanley a fait des bons films aussi… »

« ELLE EST VICIEUSE CETTE SAUCE… »

Au côté de Raphaël, on ne peut s’empêcher de penser à cette phrase de Jules Renard : « Il ne disait rien, mais on voyait qu’il pensait des bêtises. » Mais si Raphaël pense des bêtises, il en dit aussi beaucoup. « Ça me vient de ma mère, elle est très moqueuse, très espiègle, très tricheuse. Quant à mon père, je note tout ce qu’il me dit. Il vient de m’appeler pour me citer une phrase de Jean-Pierre Raffarin : « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est difficile qui est le chemin’’. » Et Raphaël de plonger ses yeux dans ceux du son interlocuteur. Du lard ET du cochon !

En voyant Raphaël mentir copieusement aux médias, dynamiter ses apparitions publiques, on ne peut s’empêcher de penser à Andy Kaufman, humoriste américain, spécialiste de la provo qui transformait ses interventions en happening bizarres, immortalisé dans le film Man on the Moon, avec Jim Carrey. Il abonde, en engloutissant son plat… « On est là pour divertir, c’est une noble cause. J’adore Man on the Moon et le doc sur Jim Carrey sur le tournage. J’aime aussi beaucoup le faux doc de Peter Jackson, Forgotten Silver, sur un metteur en scène qui n’a jamais existé. J’ai adoré aussi le doc sur Vincent Lindon, Cœur sanglant. Moi, j’ai eu le plaisir de me tourner avec Vincent dans Le Deuxième Acte. Je l’ai même embrassé. Et il embrasse très bien. Il y a des lèvres retroussées qui cachent bien leur jeu. Tout ça étant agrémenté d’une belle moustache, c’était un niveau de plaisir que j’ai rarement connu. Je ne sais pas si ce n’est pas la plus belle bouche que j’ai eue à toucher de mes lèvres de surcroît, déclare-t-il en se débattant avec ses tempuras de légumes, avant de lancer un définitif : elle est vicieuse cette sauce… »

Sa faconde est sans limite, son discours parfois amphigourique et on voit que Raphaël s’enivre de mots. « J’ai découvert la littérature et le cinéma tardivement, et j’ai un complexe, ce qui me fait consommer les œuvres avec avidité. Je vais plusieurs fois par semaine au cinéma mais malheureusement, aujourd’hui, il y a pas mal de futilités dans mon boulot qui occupent beaucoup de mon temps. » Si Raphaël fait du cinéma depuis une petite dizaine d’années, devenir acteur n’a jamais été un rêve d’enfant. Après le bac, il rentre à l’École des pupilles de l’Air et de l’Espace, qui prépare aux concours des grandes écoles militaires. Il continue avec des études de chimie, et devient… attaché parlementaire d’une députée de gauche. « J’étais fasciné par la politique. J’ai donc voulu voir de l’intérieur en quoi cela consistait, mais je n’aimais pas trop le devoir d’exemplarité et j’ai été un peu déçu au niveau spectacle et notoriété. »

TATAOINE ET TROTTINETTE

Après mille courts-métrages (c’est lui qui le dit), Raphaël Quenard est devenu, notamment grâce au réalisateur Quentin Dupieux et au producteur Hugo Sélignac (Chi-Fou-Mi) la sensation du moment, ce comédien étrange et attachant qui fait souffler un vent excitant – avec ses potes Anthony Bajon et Jean-Pascal Zadi – sur le cinéma français. Mais Raphaël est également écrivain et il vient de publier Clamser à Tataouine (Éditions Flammarion), une histoire parodique de tueur de femmes qui lui a valu de passer la semaine précédente chez Antoine Trapenard. « Ce livre, je l’ai commencé à 26 ans, mais j’ai un peu procrastiné… La littérature, ça offre un espace de liberté tellement plus grand que le cinéma. C’est fou ! Si j’ai envie de dire qu’il y a trois hélicoptères qui viennent et qui tirent des missiles sur Paris, il suffit d’une feuille et d’un stylo. Lis-le, c’est le meilleur roman que tu auras l’occasion de lire ! »

Alors qu’il est en train de nous raconter qu’il envisage de continuer la réalisation et qu’il rêve de jouer dans une grande fresque comme Manon des sources ou Il était une fois en Amérique, il doit quitter brusquement la table pour rejoindre la salle, la projection d’I Love Peru touchant à sa fin. Les deux amis, qui ont enfilé un t-shirt « I Love Paris », sont ovationnés comme des héros et les questions s’enchaînent, dans la bonne humeur. Mais le plus étonnant reste à venir. Une fois la rencontre terminée, une bonne centaine de fans restent et pendant au moins 45 minutes, Raphaël Quenard va tout signer (son roman, le billet du film, un ticket de stationnement), se prêter au jeu du selfie à deux, trois, cinq, serrer des mains, faire des vidéos pour les mamans absentes, entamer des conversations lunaires avec des fans allumés… Le tout sans sécurité mais avec une surprenante gentillesse. Avant de repartir dans le couchant sur sa trottinette électrique, vers un destin qui s’annonce péruvien…

I Love Peru, par Raphaël Quenard et Hugo David, en salles

 

Par Marc Godin
Photo Thomas Chéné