S’il a fait son trou dans l’ombre, Shaz rêve aujourd’hui de lumière. Producteur des plus grands rappeurs actuels, il veut casser les codes pour mettre en avant sa musique et conquérir son public.
19h30, grand hall de la Seine Musicale. Au milieu des flashs, des stars du rap fashion et de quelques influenceurs égarés, une chaîne en or attire l’œil : « Oulala Shaz », sa signature gravée en toutes lettres. Tout de noir vêtu, Shaz, alias Mehdi Abbassi, assiste à la cérémonie des Flammes 2025 en mode discret, mais soigné. Si sa silhouette ne vous dit rien, sachez qu’elle est déjà auréolée de prods pour Kalash, SCH ou les Migos. Une semaine plus tard, changement de décor : même chaîne, autre vibe. Il rentre tout juste du soleil de Djerba, bronzé, détendu, le sourire de ceux qui reviennent les poches pleines de musique. « Ce qui m’inspire, ce sont les humains, les rencontres, les voyages ». Sensible et instinctif, Shaz veut désormais faire entendre plus que ses prods : imposer un nom, une présence. DJ, beatmaker, producteur multi-platine, il rêve de sortir du studio, électriser les scènes, et casser les codes – sans casser l’ambiance.
FROM 91 TO ATLANTA
Dans l’Essonne, son département, Shaz grandit dans une famille franco-tunisienne. Ses proches chantent en chorale et jouent des instruments, mais pour eux la musique n’a rien de professionnel. Si son enfance est bercée par des influences sonores multiples allant de Michael Jackson à Bob Marley, c’est à 7 ans que la passion pour la musique entre réellement dans sa vie. Il s’initie au violon, puis au piano, à la guitare, à la batterie, à la basse… À 17 ans, il commence à composer sur ordinateur. « Tout le savoir-faire organique que j’avais, je l’ai mis sur l’ordi. J’ai utilisé toute ma science au service de la musique, je mélange tout. »
Dopé au rap américain, les ingrédients commencent à s’assembler pour créer la patte Shaz, hybride, reconnue très vite par de grandes têtes du rap français, comme Siboy ou Niska. Occupé par ses études de commerce, il prend la peine de démarcher régulièrement de nombreux rappeurs en espérant qu’ils retiennent ses propositions. « C’est une histoire de frapper aux bonnes portes, de timing, de charbon. J’ai fait 5000 sons dans ma vie. » Dès 2018, à seulement 23 ans, la sauce commence à prendre. Ses nouvelles collaborations deviennent des partenariats à long terme. Il s’impose aux côtés de SCH sur sa trilogie JVLIVS ou de Rilès pour qui il signe au moins une production sur chacun de ses projets (Welcome to the Jungle, LVL 36, ou Survival Mode).
Un beau jour de 2020, il reçoit l’appel du producteur Dun Deal rencontré à Atlanta. La nouvelle tombe, le trio de rappeurs américains Migos est à Paris pour enregistrer une partie de leur futur album Culture III. Ni une ni deux, Shaz attrape son ordinateur et tente de créer la prod la plus « Migos » possible. Quelque temps plus tard il reçoit la confirmation, son titre, « Working a Fool », sera sur la réédition de Culture III. « C’est magnifique, l’international, c’était mon objectif. J’ai toujours plus écouté le rap US que le français. »
Cette ouverture d’esprit musicale, Shaz la travaille en s’essayant à de nouveaux styles comme la jersey, le shata, ou le bouillon. Des découvertes initiées par son principal collaborateur, Kalash. Le rappeur martiniquais l’invite à produire douze titres de son album Tombolo, sorti en 2022. Cette expérience amplifie le côté festif et dansant de sa musique et scelle une amitié entre les deux artistes. « Il faut toujours s’adapter. Moi, j’adore découvrir de nouvelles choses, quand Kalash m’emmène dans son univers musical, j’aime trop. Donc si je kiffe, je vais y aller à fond. » Par la suite, Kalash présentera Damso à Shaz. Une alchimie de plus pour le futur producteur des morceaux « Alpha » et « Mony » sur J’ai Menti et de plusieurs morceaux de BEYAH, le nouvel album de Damso. Kalash rappellera même Shaz pour lui faire découvrir le monde du cinéma, à l’occasion du film Zion, sorti en avril dernier. « Nelson Foix, le réalisateur, est venu au studio avec Kalash. Ils voulaient faire un titre avec des mélodies présentes dans le film. Moi, je prends une boucle, je rajoute plein de choses, Kalash chante et ça donne « Zion ». Ils ont kiffé et ils m’ont dit, viens, on refait un autre titre. C’était incroyable. »
La présence grandissante des Caraïbes dans l’univers de Shaz n’a rien d’anodin. Son attachement pour cette culture s’est construit de manière réciproque à l’amour que lui portent les Caribéens. Il leur rend d’ailleurs régulièrement visite pour enseigner sa musique au cours de masterclass. « Le lien est trop fort. On partage l’amour de la bonne musique, donc on parle la même langue… C’est une énorme terre de création. Ils ont créé des styles innombrables : le reggaeton, le dancehall, le zouk, le compas, le bouillon... »
BREAK THE RULE
Aujourd’hui, sa place de référence lui permet de collaborer avec des artistes de choix, tout en gardant une liberté. « Quand je travaille avec Kalash ou Damso, je leur fais du sur mesure. J’y met un certain savoir-faire. C’est une pièce unique pour eux. » Il n’oublie pas les artistes débutants et fait parler sa générosité. Avec Alex Gross, lui aussi beatmaker, Shaz a lancé 808CLUB, une chaîne YouTube destinée à montrer les coulisses du métier. « Tous les jours, il y a une instru. Des bonnes pièces, mais accessibles à tout le monde. »
Le 5 avril dernier, en première partie de Kyba à La Machine du Moulin Rouge, Shaz a libéré toute l’énergie scénique qui sommeillait en lui. Un petit rodage avant Les Solidays, en juin. « C’est magnifique ce qu’on fait avec Damso, Kalash et Rilès… J’aime toujours ce côté-là. Mais j’ai envie de proposer un truc artistique. J’ai pas juste envie d’être enfermé toute la journée en studio. Je veux rencontrer des gens, donner de l’amour, qu’ils puissent s’amuser, danser, kiffer. J’ai toujours fait de la musique comme ça. » Son dernier clip sorti le 9 mai en collaboration avec Krys & Aknose cumule déjà 13 000 vues. Le début d’une nouvelle aventure pour Shaz, qui, à 30 ans, prépare en ce moment une tournée. Si son « Oulala Shaz » continue de briller autour de son cou et sur les meilleures prods du rap français, c’est ailleurs que Mehdi veut qu’on le capte désormais, sur scène, en tant qu’artiste.
Par Robin Lecomte & Raphaël Baumann
Photo Axel Vanhessche