COKE EN FRANCE : ET SI LA COCAÏNE DEVENAIT LÉGALE ?

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Plus sûre, moins chère et sous contrôle médical, la C pourrait être légalisée dans… 20 ans ! Un projet fou censé mettre fin au trafic et mieux soigner les malades (ou pas). Problème : on n’a toujours pas de traitement efficace. Et les cokes de synthèse font des ravages…Enquête sur la blanche du futur, celle que vous ne prendrez surtout jamais.

« C’EST L’INTERDICTION QUI TUE LES PEUPLES, BIEN PLUS QUE LES DROGUES. »


Octobre 2038, Passage Beslay, Paris 11è. La pendaison de crémaillère bat son plein chez Bastien S. et Romane P.. Quelques heures plus tôt, le couple est passé à la pharmacie du boulevard Voltaire prendre 2 grammes de cocaïne pour la soirée. Une poudre « légale » vendue 15 euros le gramme, produite et testée par les labos de l’Université de Saclay (Essonne) en partenariat avec l’Agence Nationale de Santé (ANS), et disponible dans la limite de 5 grammes par mois et par foyer, contre une obligation de suivi médical et thérapeutique. Les dealers ? La plupart ont suivi une formation d’État, travaillent avec un numéro de Siret et ont pignon sur rue ! Leur coke est souvent moins bonne et plus chère qu’en pharmacie. Mais beaucoup n’en vendent quasiment plus, préférant se concentrer sur les accessoires (lames, cuillères à renifler, balances) et les rééditions de pailles vintage, nettement plus rentables. Le trafic ? Il a changé d’orbite, s’est déplacé sur les vieux best-sellers de la contrebande : l’héroïne, les armes, les données sensibles. La consommation ? En hausse mais avec moins de victimes et plus de patients soignés grâce à une meilleure qualité du produit (c’est la France qui fournit) et une visibilité accrue des usagers. Les flics ? Toujours au top ! Mais dans la lutte contre les vraies mafias, les criminels, les escrocs, les véreux de la finance, les violeurs de chèvres. Les effets secondaires ? Toujours la même merde : flatulences, hépatites B, impuissance, paranoïa, arrêt cardiaque, psychoses, névroses, nécroses et tout un tas de trucs pas très frais en « ose »… À tel point que beaucoup commencent à se demander s’ils ne devraient pas arrêter les frais et se remettre dare-dare au gigot. Voici le scénario improbable auquel vous n’assisterez peut-être jamais (surtout si vous sucrez déjà un peu les fraises) : la dépénalisation de la cocaïne (et du cannabis) et sa légalisation « contrôlée », c’est à dire distribuée par le gouvernement et encadrée par des professionnels de santé, telle qu’elle pourrait se produire dans vingt ans (lire l’interview d’A. Kaufmann).

Coke france
Coke à tout faire
Ci-dessous : médicaments et boisson à la cocaïne du 19è siècle pour lutter contre l’alcoolisme.


MOINS CHER QU’UN RESTO

Encore une fake news ? Pas sûr. En France (l’universitaire Renaud Colson), en Suisse (l’homme politique Ignazio Cassis), au Portugal et en Tchéquie (où toutes les drogues sont autorisées), aux États-Unis (l’éditorialiste Jeffrey Miron) et dans la plupart des pays d’Amérique du Sud (les anciens Présidents César Gaviria, Ernesto Zedillo, Vicente Fox, les écrivains Mario Vargas Llosa et Paulo Coelho), des voix de plus en plus nombreuses commencent à se faire entendre sur l’urgente nécessité de légaliser les drogues. À commencer bien sûr par le cannabis, mais aussi – pour certains – la cocaïne. Pourquoi la coke ? Parce que plus on en interdit sa consommation, plus elle explose… littéralement ! Selon une étude de l’Observatoire Français des Drogues et de la Toxicomanie (OFDT), 2,2 millions de Français ont déjà consommé de la cocaïne (dont 5,6% des 18-64 ans). Mais la plupart des observateurs s’accordent à dire qu’il pourrait s’agir d’une estimation basse, puisque l’enquête repose sur la bonne volonté des mêmes Français à révéler leur propre toxicomanie. En vérité, on pourrait bien se rapprocher des 3 millions de schnouffés occasionnels ou réguliers, voire plus avec la récente baisse de prix -1 gramme de C coûte moins cher qu’un restau pour deux -, la nouvelle qualité des livraisons – des poudres souvent pures à 50, 60 ou 70% – et l’extrême réactivité des dealers qui livrent désormais à domicile aussi vite que s’ils apportaient une pizza chaude.

vicente fox cocaine
Basta Coca !
Vicente Fox, l’un des ex-Présidents Sud-Américains pour la dépénalisation…

 

H24 ET EN KILOS

« J’ai une bonne centaine de clients réguliers dans mon quartier et les arrondissements voisins », nous a confié Paulo, le dealer que nous avons sollicité pour ce dossier coke (70 euros le gramme, quand même). « Je livre environ 200 grammes par mois tous les jours entre 15 heures et minuit et avec une marge nette de presque 80%. Mais à côté des grosses centrales de la région Parisienne qui livrent H24 et en kilos (35 000 Euros), je ne suis qu’un petit joueur. » Ces dernières semaines, les services des douanes, la Police et la Gendarmerie Nationale ont saisi près de 5 tonnes de cocaïne (dans des bouteilles de lait, des caisses de poisson, des conteneurs de bananes) en France. Et pourtant, la poudre était partout. Au coin de la rue, à portée de mains, dans tous les milieux, toutes les professions (10% de cocaïnomanes dans la restauration), voire tous les âges. En Amérique du Sud, malgré la pression des États-Unis qui leur versent chaque année près d’un milliard de dollars pour renforcer la lutte anti-drogue, plus aucun responsable politique n’écarte en privé l’option de la légalisation. Le 29 Mai dernier, lors du dixième Forum sur l’Amérique Latine et les Caraïbes organisé par l’OCDE à Paris, Alicia Barcena, la toute puissante responsable de la Commission Économique Sud-Américaine, balançait même une énorme poutre à la tribune : « Il est grand temps pour notre continent de légaliser les drogues. C’est l’interdiction qui tue les peuples, bien plus que les drogues elle-même. » Plus fort encore ! Le pays le plus célèbre au monde pour ses narcotrafiquants et sa production de cocaïne (1000 tonnes exportées par an), la Colombie, qui vient de légaliser le cannabis médical cet été (un marché de près de 4 millions de dollars par an), pourrait lui aussi évoluer en matière de dépénalisation de la coke. « Nous devons changer de stratégie face au problème de la drogue, si nous voulons protéger la paix en Colombie, dans la région et dans le monde », avouait récemment son ex-Président Juan Manuel Santos. Avant que les narcos n’augmentent à nouveau leur production de 20% (210 000 hectares de plantations de coca) en quelques mois…

prévention coke usa
NEW YORK CITY COPS
La police de NYC fait de la prévention… Tout en douceur.


LEGAL HIGH

« La légalisation contrôlée des drogues est une vraie question », reconnaît le Docteur Laurent Karila du Service de Psychiatrie et Addictologie de l’Hôpital Paul Brousse de Villejuif (Hauts-de-Seine). « Le problème, c’est l’absence de courage politique, évidemment, mais surtout le manque de recul en France sur les traitements pharmacologiques qui peuvent aider les patients. On est même assez démunis par rapport à cette question-là. On n’a pas assez d’arsenal médicamenteux pour bien les soigner, il nous faudrait encore d’autres molécules. Notamment pour la substitution qui ne passerait pas par la cocaïne, mais par des sels d’amphétamine. » Impensable, en effet, de légaliser la cocaïne sans réponse thérapeutique efficace pour désintoxiquer les morts-vivants du rail. Et le pire, c’est que la situation est explosive. Chaque semaine, apparaissent sur le Net de nouvelles drogues de synthèse – des « legal high » – dont la formule inédite pour le Code de Santé Publique les rend aussi parfaitement légales que totalement incontrôlables. La petite dernière ? « Le MDPV : un cathinone de synthèse qui produit les mêmes effets que la cocaïne mais en beaucoup plus addictogène (ça rend accro après quelques prises) », prévient Laurent Karila. Côté Police, on n’est pas non plus franchement ravis de cette nouvelle révolution des œillets autour de la légalisation des drogues. « Même pas en rêve ! », nous a confirmé un officier de la Brigade des Stup’. « Si on légalisait la cocaïne, cela ne réglerait pas le problème du traffic qui se reporterait sur d’autres drogues. Et puis légaliser, cela voudrait dire en généraliser l’accès. Un cauchemar de santé publique… »

« LE MDPV, UNE DROGUE DE SYNTHÈSE QUI PRODUIT LES EFFETS DE LA COKE »


PATE À DENTIFRICE

Chez les flics, beaucoup redoutent le modèle du Portugal où la dépénalisation de drogues a divisé par deux le nombre de toxicomanes mais aussi permis aux dealers de se faire passer pour des malades, en n’ayant jamais plus d’une semaine de cocaïne sur eux (la limite légale autorisée). Tout en prolongeant leur trafic jusque dans les centres médicaux où ils sont censés se faire soigner… « Au-delà des caricatures qui la décrivent souvent comme une lubie libertaire défendue par une minorité d’irresponsables, la légalisation des drogues est pourtant aujourd’hui la voie privilégiée d’une politique de sécurité », corrige Renaud Colson (Les drogues face au droit, PUF), professeur de sciences criminelles à l’Université de Nantes. « Cela implique la reconnaissance des libertés d’user, de produire et faire commerce des drogues. Mais ça n’interdit pas à l’État d’imposer et d’organiser de manière plus ou moins restrictive ces libertés, comme c’est le cas avec l’alcool et le tabac. Mais comme ce fut également le cas à la fin du 19è siècle en Indochine avec la Régie Française de l’Opium. » Une administration spéciale des Douanes (créée par Paul Doumer) et dont le commerce de drogues allait servir à construire des routes, des ponts, des rails, des hôpitaux… À la même époque, à New-York comme à Paris, Vienne ou Bordeaux, les pères de la chirurgie (le Dr William Halsted, dont s’inspire la série The Knick avec Clive Owen), les pionniers de l’ophtalmologie (Carl Köller), de la psychiatrie (Sigmund Freud), de l’électricité (Thomas Edison), de la pharmacie (Angelo Mariani) ou du roman moderne (Jules Verne, Robert Louis Stevenson) considéraient bien la cocaïne comme un médicament miracle. Un produit qui, disait-on dans la presse, « pouvait remplacer la nourriture, rendre les lâches courageux et les muets éloquents ». Allant même jusqu’à la prescrire massivement comme aphrodisiaque, antidépresseur, vin tonique, pastille contre la toux ou pâte à dentifrice pour enfants, avant de se rendre compte des effets secondaires et d’y laisser tout ou partie de leur peau (et celle de leurs patients). Ouvrant ainsi la voie à une répression sans fin et surtout sans résultats… Dans 20 ans, Bastien S. et Romane P. snifferont pour leur crémaillère une cocaïne légale (ou pas) avec un accompagnement thérapeutique efficace – on l’espère – pour en sortir. Une seule chose n’aura pas changé : dès la première prise, dès le moindre micro-rail, ils multiplieront les risques d’accidents cardiaques par 24 avec d’importants troubles cognitifs (perte de mémoire, de concentration, etc), jusqu’à un an plus tard. Au fond, la meilleure cocaïne légale, ce sera surtout celle qu’on n’a jamais commencé à prendre…

À lire : Idées reçues sur les addictions de Laurent Karila (Éd. Cavalier Bleu)

Article paru dans le Technikart N°226 (Octobre 2018)


Par Olivier Malnuit (Avec Hugues Pascot Et Jacques Tibéri)

Illustrations Ni-van avec Anaêl boulay et Julien Grignon


Avertissement :
Consommer des stupéfiants est illégal et réprimé par les tribunaux. La drogue met en danger la santé et parfois la vie de ceux qui la consomment. Le dossier qui suit ne doit pas être compris ni comme une incitation à enfreindre la loi, ni comme une tentative de banaliser l’usage des stupéfiants.