CLAUS LINDORFF : « DISCIPLINÉ, FONCTIONNEL, POSITIF »

CLAUS LINDORFF technikart

Depuis quinze ans, la marque franco-suédoise Ron Dorff allie sport, chic et lifestyle avec exigence. Rencontre avec son fondateur et directeur artistique, Claus Lindorff.

Pour quelles raisons avez-vous lancé Ron Dorff il y a quinze ans ?
Claus Lindorff : Nous avons créé Ron Dorff parce qu’il y avait un vide sur le marché. Le gymwear simple, semblable à ce que j’avais connu dans les eighties – avec des marques telles Champion, Fila ou Sergio Tacchini –, avait disparu. C’est ce qu’on a essayé de refaire, en upgradant avec les matières d’aujourd’hui.

L’évolution du marché ?
Il s’est largement transformé. La coupe, notamment, est devenue essentielle. Si dans la mode, aujourd’hui tout est large, c’est parce que cela demande moins de précisions et coûte moins cher à produire, car pour un vêtement bien coupé, chaque centimètre coûte de l’argent. Nous faisons des vêtements de bonne qualité, simples, et surtout bien taillés. En 2010, on était une des rares marques à le faire. Désormais, si tu scrolles sur Instagram, il y a un paquet de marques qui proposent cela ; elles sont souvent uniquement online, et la plupart disparaissent à court ou moyen terme, parce que le marché est fragile. Mais l’uniforme d’aujourd’hui est clair : un jean ou un pantalon, une paire de basket, un pull navy avec un tee-shirt en dessous. Faire des vêtements hystériques ne fonctionne plus.

Le marché est-il plus exigeant ?
Le luxe, tel qu’il s’est affiché durant les dernières années, entre logo proéminent et vêtements ou baskets bizarres à 3000 euros, c’est terminé. Cette vision a fait le tour du monde, de l’Europe à l’Asie, maintenant cela s’essouffle. D’autres marques arrivent.

Ron Dorff associe sobriété et flegmatisme à la suédoise, votre pays d’origine, à la nonchalance à la française. Votre arrivée sur Paris en 1995 pour travailler chez Publicis a-t-elle été un choc culturel ?
Au niveau du travail, oui. On avait toujours des deadlines, mais rien n’avançait… Jusqu’au dernier moment où, miracle, le projet était au rendez-vous – souvent à 5 heures du matin. À Paris, on m’appelle le général, car, évidemment, en Suède, c’est très différent. La discipline au travail me semble nécessaire.

D’où votre slogan, « Discipline is not a dirty word ».
Cela passe pour une provocation en France ! Cette phrase vient d’un coach de baseball, de Miami. On l’a trouvée percutante, et on l’a utilisée pour le lancement de Ron Dorff. La marque était alors spécialisée dans la gym. L’idée était simple : si tu veux du résultat dans la gym, il faut de la discipline. Voilà tout. Aux États-Unis, ce slogan n’a pas fonctionné, car c’est une évidence pour eux. Tandis qu’en Europe et en France, il était « disruptif ».

Quelle discipline faut-il pour porter du Ron Dorff ?
Faire attention à son apparence.

L’homme Ron Dorff en trois mots ?
Discipliné, fonctionnel, positif.

La discipline de Claus Lindorff ?
Ah ! Tu sais, j’ai souvenir d’amis à moi ayant travaillé à Goldman Sachs, à Londres, dans les 90’s. Leur obligation était le « face time », c’est-à-dire qu’ils devaient rester au bureau tant que leur boss était là, pour montrer qu’ils étaient également là. Je trouve cela absolument ridicule. Tant que le travail est fait, c’est bon. Ensuite, l’équilibre entre le travail et le perso est nécessaire. Et pour cela, il faut de la discipline, de la positivité et, surtout, prendre de la distance vis-à-vis de soi-même, des tracas, et de ses erreurs.

Pour la collection « WANTED », vous avez collaboré avec le photographe et style guru américain Douglas Friedman. Une série épurée et sexy inspirées par les clichés du Far West. Votre vision de la publicité ?
Mes inspirations viennent du travail de photographes que j’ai connus dans les 90’s : Mert et Marcus (Mert Alas et Marcus Piggot, ndlr), Steven Meisel ou Steven Klein. Tous font des images léchées. Je ne suis pas fan de l’ ultra-réalisme avec ses effets de « ratés », « d »accidents » mais ou tout a été pensé au milimètre près pour faire « vrai ».Vous ne verrez pas ça chez Ron Dorff.

Entre 2000 et 2015 vous avez dirigé BETC Luxe. Vous vous intéressiez à la mode avant cela ?
Pas vraiment. Le déclic a justement été lors d’un shoot avec David Sims pour une grande marque de sportswear. Il photographait un tennis short à la manière de ceux que portait Björn Borg dans les années 1970. Je trouvais le tennis short très chic, très sexy. J’ai alors dit au client : « Je vais l’acheter dès qu’il sort ». Et il m’a répondu : « Ah, mais il ne sortira jamais ! C’est juste pour l’image. » J’ai trouvé cela très dommage et surtout incompréhensible. Ce tennis shorts est finalement devenu une des premières pièces Ron Dorff en 2010 et il est toujours un de nos top 5 bestsellers. Comme quoi…

Il y a deux boutiques Ron Dorff à Paris, une à Londres, une à Los Angeles et une à New York. Le marché américain est devenu le plus important de la marque. Votre réaction aux tergiversations de Trump vis-à-vis des droits de douanes ?
On est en train de construire un dépôt dans notre flagship à SoHo qui va permettre de dispatcher toutes les commandes online aux US au départ de New York afin de simplifier les retours, la gestion du stock américain, et évidemment nous protéger contre les droits de douane qui changent tous les jours.

Comment expliquez-vous l’attrait pour Ron Dorff aux États-Unis ?
Le sportswear plaît aux Américains. Cependant, là-bas tout est très large. Puis, un marque comme Ralph Lauren ne parle plus autant aux gens ; Tommy Hilfiger ne fait plus que de l’outlet… Il y a de la place et Ron Dorff arrive au bon moment. On reprend l’héritage du sportswear américain avec une coupe et un look européen, plus ajusté et avec un twist que les Américains n’ont pas. Certes, la marque ne s’adresse pas à tout le monde, mais on a notre cible, les « HENRYs » ou « High Earners Not Rich Yet ».

Puis ?
On a explosé au moment du Covid, notamment parce que tout le monde a arrêté de porter le costume-cravate pour faire un Teams, au profit, par exemple, de notre hoodie en cachemire. Par ailleurs, les Américains adorent que ce soit en partie scandinave, parce qu’ils l’associent au respect de l’environnement et à la qualité, et en partie français, parce qu’ils l’associent au charme et au sex appeal.

Comment transformer ce boum en croissance durable ?
Notre stratégie aux États-Unis est maintenant de suivre le mouvement des personnes qui partent des grandes villes. Il y a plein de raisons pour lesquelles beaucoup de personnes quittent New York, Londres et Paris, qui étaient nos centres avant. Les gens de Los Angeles vont à Palm Springs, les New-Yorkais vont à Austin ou à Miami. Nous allons regarder l’évolution de nos ventes en ligne, et s’implanter là où ce sera cohérent pour nous de le faire. C’est notre stratégie depuis quinze ans. Par ailleurs, nous avons des pop-up l’été, notamment un à Mykonos et sur l’île de Fire Island, aux États-Unis.

La suite ?
Une collaboration avec une très belle marque d’accessoires et de voyage qui sortira en janvier prochain, et sera notre première travel collection. Sinon, ma dernière inspiration a été la série Monsters – The Lyle and Eric Menendez Story : des pièces inspirées de ce style late eighties sortiront pour printemps été prochain.

rondorff.com

 

Par Alexis Lacourte
Photo B. Szmigulski