Héritière d’une des plus anciennes entreprises familiales de lunetterie française, Cécile Vuillet met ses compétences d’opticienne et de designer au service d’une innovation responsable. Interview au carré.
Depuis 2006, vous êtes labellisés Entreprise du patrimoine vivant. À quoi cela vous engage-t-il pour l’avenir ?
Cécile Vuillet : Nous avons fait partie des premières entreprises à obtenir ce label. Nous avons dû montrer des preuves de notre réel savoir-faire. Et on le renouvelle tous les cinq ans.
Quel est ce savoir-faire spécifique à votre Maison ?
Nous avons encore d’anciennes machines, et même si nous les utilisons un peu moins qu’à une époque, elles attestent d’une histoire, d’un héritage.
Vous avez une formation d’opticienne et de designer. En quoi cela vous aide-t-il à répondre à la demande du secteur ?
Ma formation d’opticienne me permet de connaître non seulement le produit, mais aussi et surtout les différentes pathologies liées à l’œil, ainsi que les habitudes du porteur. Le design, quant à lui, me donne l’opportunité de lier cette expertise à la création et de proposer un produit qui s’adapte parfaitement au client, qui soit esthétique et confortable.
Quelles sont les tendances du moment dans la lunetterie ?
Il y a une grande tendance au niveau des matières, l’acétate prend de plus en plus le pas sur le métal, par exemple. Avec notre collection Sign² nous avons souhaité faire cette transition tout en jouant sur les transparences et les couleurs, ce qu’on ne peut pas faire avec le métal.
En termes de production, quel est le rythme de la Maison ?
Il y a deux grandes périodes dans l’année. À l’automne, le SILMO à Paris, qui est le « Mondial de l’Optique » et au printemps, le MIDO, à Milan. Ces deux rendez-vous nous permettent de présenter nos nouveautés.
Vous êtes l’une des plus anciennes entreprises de lunetterie française. Quelle est l’histoire de la Maison ?
C’est mon arrière-arrière-grande-père Célestin qui a lancé l’activité. Il était maître ouvrier lunetier. En 1842, il s’était installé à Paris pour se créer une clientèle, puis il est revenu dans le Jura et a commencé sa production. En 1845, il a déposé son premier brevet, qui doit être l’un des plus anciens dans la lunetterie sur une monture de lunettes sans soudure… Son fils, Charles, était un grand voyageur et a représenté la Maison Vuillet à l’Exposition Universelle de Paris en 1878. La génération suivante, Maurice, a marché dans ses pas et a également voyagé partout en Europe pour vendre les productions de la Maison Vuillet. Dans les années 1920, il a commencé à travailler le celluloïd, ancêtre de l’acétate. Mon grand Père, Georges a, pour sa part, travaillé le plaqué 2 ors, c’est-à-dire l’association de l’or et du palladium. Enfin, mon père, Gérard, a redéveloppé le marché français et européen car, historiquement, on exportait beaucoup.
Et avec toutes ses innovations, vous êtes parvenus à ne jamais fabriquer vos lunettes ailleurs qu’en France ?
Non ! Nous n’avons jamais basculé de l’autre côté…
Que représente pour vous le marché hors de France ?
C’est 30 % de notre chiffre à l’export, une part non négligeable. On est surtout présent en Europe, au Canada, en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. On travaille avec certains distributeurs depuis plus de 30 ans…
Vous parlez aussi de « production responsable ». De quoi s’agit-il ?
Oui, on fabrique nos produits dans un rayon de 70 kilomètres, avec des sous-traitants présents depuis plus de trente ans. Il y a aussi l’aspect de la durabilité du produit, qui est très importante pour nous. Lorsqu’un client s’offre une paire de lunettes, en sachant que le produit peut durer dans le temps et peut être réparé, il considère le prix différemmentt.
Votre Maison a donc près de 200 ans d’histoire. Quelles traditions voulez-vous perpétuer ?
On souhaite un peu jouer sur deux tableaux. On veut garder quand même ce côté tradition en faisant de beaux produits avec des matières nobles (plaqué or), car c’est ce qu’attend une partie de la clientèle, mais aussi travailler sur des modèles de lunettes plus colorées, plus tendances, avec nos collections Sign et Sign² pour essayer de séduire un autre type de clientèle et montrer qu’on ne fait pas que du classique. Il ne faut pas, en attirant la clientèle Gen Z, perturber nos marchés historiques. Pour nous, il s’agit avant tout de sauvegarder notre histoire, nos savoir-faire, d’inspirer confiance, tout en embrassant la modernité.
Par Laurence Rémila
Photo Louis Lepron