CANNES, DAY 6 : LA CONSÉCRATION HAFSIA HERZI

CANNES, DAY 6 La consécration Hafsia Herzi

À 38 ans, Hafsia Herzi adapte La Petite Dernière, autofiction de Fatima Daas sur une jeune banlieusarde, lesbienne et musulmane pratiquante. Un film pudique, fragile, lumineux, sur la difficulté à devenir soi-même.

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Hafsia Herzi : …Vive les lesbiennes ! Tout le monde a crié ce slogan à la fin de la projection officielle du film, même les garçons. C’était cool.

Vous avez pleuré.
Oui, j’étais très émue par l’accueil public, j’étais très stressée, j’avais peur. Un film, c’est beaucoup de travail, d’investissements. Donc cette présentation à Cannes, c’est la récompense d’un travail de longs mois, de longues années.

C’est vrai que toute petite déjà, vous vouliez mettre en scène et venir présenter un film à Cannes ?
Oui, depuis que j’ai dix ou onze ans, j’ai toujours rêvé d’avoir un film en compétition et de gagner Palme d’or ! J’ai une chance sur 22, on dirait… Je n’ai pas fait d’école de cinéma, mais j’ai toujours eu cette envie de filmer, de raconter des choses. Je faisais déjà un peu de mise en scène à l’école, avec mes copines.

La première image de La Petite Dernière, c’est une jeune femme dans un espace réduit, quasiment un placard, devant un miroir. Le film est l’histoire d’une émancipation, de quelqu’un qui brise les murs. C’est votre histoire ?
Ce n’est pas mon histoire, mais il y a des points communs. D’ailleurs, tout le monde pourra plus ou moins s’identifier à ce personnage qui s’émancipe. Mon personnage principal est attirée par les femmes, depuis toujours, mais elle a du mal à l’accepter. Le chemin sera long. Est-ce qu’elle y arrivera ou pas ? Moi, ce qui m’a touchée, c’est l’universalité du propos, ce n’est pas seulement une histoire l’homosexualité, il y a plein de sentiments qu’on peut ressentir, des situations dans lesquelles on peut se retrouver.

C’est facile de produire en 2025 un film comme celui-ci où l’on parle d’homosexualité, de famille arabe, de religion, d’émancipation ?
À votre avis ? Franchement, quand on m’a proposée l’histoire et que j’ai accepté, je savais que ça allait être compliqué. Je suis passée parfois devant des commissions où il y avait un silence de mort à cause du sujet. Mais heureusement, j’ai eu des partenaires, comme Arte, qui me suivaient depuis mon premier film et les productrices ont fait un travail formidable.

Sur Twitter, il y a des sites ouvertement réacs, de droite extrême, qui sont horrifiés par le sujet du film, payé « avec nos impôts ».
Et ce n’est pas fini, ça va être le début des embrouilles. Mais on est là, comme dirait Fatima. On est dans une drôle de période, non ?

Les choses ne sont-elles pas en train de vriller ?
Bien sûr, ça se dégrade mais avec l’art, on peut essayer de faire passer des messages, d’ouvrir certaines discussions. Je ne dis pas qu’on peut changer les mentalités parce que ça, c’est compliqué. Vous savez, la haine a commencé dès le tournage. On a tourné dans une cité de l’Est, à Nancy. On a préparé le décor avec la chef déco pendant des mois. Tout était prêt, tout était bien. On a toujours été discret sur le propos du film car c’est un sujet sensible. On a même changé de titre pour le tournage. Et un jour, une partie de l’équipe s’est fait caillasser par des gens qui ont dit clairement « on ne veut pas qu’un film de lesbienne soit tourné ici. Cassez-vous ! » C’était terrible, mais on avait tous cette envie de se battre et d’aller jusqu’au bout.

Il y a une scène vraiment très belle et novatrice, la scène dans la voiture, où la jeune héroïne demande à une femme plus expérimentée de lui parler des pratiques sexuelles. Comme si vous refusiez la scène de sexe obligatoire.
Cela faisait longtemps que j’avais envie de réaliser cette scène, je ne voulais pas de la scène de sexe classique, que l’on a déjà vu 50 fois, ça me gonflait, j’avais envie d’innover un peu… La parole, c’est très érotique.

Comment s’est déroulé le montage ?
Le premier montage faisait 3 h 50, mais je m’améliore. Tu mérites un amour faisait 6 heures et Bonne Mère, c’était 4 heures.

Et la suite ?
J’ai un projet, en tant qu’actrice, avec Léa Mysius, je suis trop contente. Je continue à écrire, mais mettre en scène, ça prend beaucoup de temps…

Et Cannes ?
J’ai croisé des metteurs en scène qui m’ont dit que l’important, c’était de participer. Non ! Retire-toi de la compétition, alors. Moi, j’aime gagner !

La Petite Dernière de Hafsia Herzi
Sortie en salles le 1er octobre


Par Marc Godin