BB Brunes : Les Dorian Gray du rock

BB Brunes Technikart

Les ex-bébés rockeurs, désormais trentenaires, reviennent avec un jouissif cinquième album. Si les garçons ont vieilli, leur musique, pas du tout. Leur secret ? Une pop racée faite à base de riffs piochés dans le rock 70’s et des mélodies dignes de leurs idoles « variété française ». Rencontre.

C’était les années 2005, 2006. Bientôt quinze ans, autant dire une éternité. La mode est au jean slim et aux boots, la silhouette rêvée est celle popularisée par Hedi Slimane chez Saint Laurent, et les iPod tournent au son des Libertines, des Strokes, des White Stripes… Les ados ayant connu cette parenthèse historique – qui se refermera pour céder la place aux vendeurs de r’n’b et au rap – se souviennent encore de l’ambiance de fébrilité rock qui accompagne l’arrivée des BB Brunes. Un groupe sûr de lui, à en croire la morgue des premiers titres. Ils dénotent parmi les autres « bébés rockeurs » qui émergent en même temps qu’eux. Les chansons, plus sophistiquées que celles des concurrents, sont en français. Passer sur les plateaux de TF1 ne leur fait pas peur. D’ailleurs, grâce aux mélodies du chanteur-compositeur Adrien Gallo et aux bouilles des quatre garçons (Félix à la guitare, Bérald à la basse, et Karim – parti se reposer du lifestyle rock il y a un an – à la batterie), leurs quelques passages dans les primes marquent les jeunes téléspectatrices. Eux balancent « Le Gang » pour le public teen, « J’écoute les cramps » pour les plus anciens du Gibus, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. S’ensuivent disques d’or, tournées triomphales et ces refrains entêtants qui nous rappelleront toujours notre premier roulage de pelle, notre pire râteau, ou encore les dimanches après-midi passés avec la stéréo…
Nous les retrouvons en plein été 19, dans la suite d’un palace parisien. Ils ont grandi, affichent la petite trentaine et ce look mi-désabusé mi-enthousiaste qu’on associe aux musiciens abonnés aux longues tournées. Depuis, ils ont injecté des sonorités 80’s dans leur son, tenté différentes expérimentations (sans jamais quitter la formule de départ, efficacité pop et paroles en français) pour revenir, avec ce Visage et son rock « ligne claire ». Un cinquième album enregistré « à l’ancienne », matos analogique et prises live, sur lequel le désormais trio fait cohabiter rock british 70’s (T-Rex, The Faces), lyrics gainsbourgiennes (on n’a pas peur de la rime riche) et mélodies yéyé (Gallo est incollable sur Sylvie Vartan et Michel Berger). Est-ce bien raisonnable ? « Il faut ! s’esclaffe-t-il en se servant un énième café. Il faut être un peu Apollon et un peu Dionysos, un mélange des deux. Kendrick Lamar on l’adore, et Berger on l’adore. » L’interview peut commencer…

Pour faire suite à Puzzle, votre quatrième album aux sonorités 80’s paru il y a deux ans, vous retournez à vos premiers amours : un rock « ligne claire » teinté de vos influences pop française… C’était ce qu’il y avait de plus simple à faire en devenant un trio ?
Adrien Gallo (voix, compositeur de BB Brunes) :
C’était surtout une question d’envie. Depuis toujours, nous faisons tout pour être en accord avec ce qu’on a envie de faire. On écoute et on aime tellement de choses différentes. Quand on enregistre, on refuse de s’auto- censurer. On a envie de désarçonner notre public, le surprendre… Là, on avait envie d’aller ailleurs pour ne pas s’ennuyer, aussi. C’est hyper-important de se sentir libre en tant qu’artiste, de ne pas avoir peur d’essayer de nouvelles choses. Qu’elles marchent ou pas, d’ailleurs – ce n’est pas le plus important. La musique, ce doit être une sorte de voyage, il ne faut surtout pas se montrer frileux au départ…

 « ÊTRE PARENT, ÇA CHAMBOULE TOUT, C’EST UNE RÉVOLUTION TOTALE. » 

Félix Hemmem (guitare) : Avant même l’album Puzzle, il y a eu des albums très différents, le premier et le deuxième sont un peu dans la même veine, le troisième, lui, était beaucoup plus pop. Après, il y a eu Puzzle. Cet album a désarçonné les gens, il a été mal compris.
Adrien Gallo : C’est notre album le plus geek. Avec une envie d’explorer, d’appréhender la technologie d’aujourd’hui, de sonner un peu futur, quoi. On n’est pas qu’un groupe de rock !

Vous êtes quoi alors ?
Adrien : Notre but a toujours été de créer au sein du format « chanson » : couplet, refrain… Y ’a rien de mieux !
Félix Hemmem : La quête de LA mélodie, c’est un peu le fil rouge de BB Brunes : la mélodie, les paroles d’Adrien…
Adrien : Et changer d’habillage à chaque fois.

Et en quoi l’habillage sonore reflète ce que vous vivez ?
Adrien : Toutes nos chansons correspondent à des moments de vie. Si l’album précédent, Puzzle, est assez froid, voire prise de tête, c’est parce qu’il n’a pas été créé dans la spontanéité. L’accouchement a été douloureux. Entre les premières séances de studio, en Angleterre, et le moment où nous l’avons terminé, on a mis un an… Tout le contraire du nouveau.

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Ce qui a changé ?
Adrien : Je dirais qu’aujourd’hui, je suis beaucoup plus spontané, moins frileux – je ne vais plus passer par quatre chemins pour faire les choses –, et ça se ressent dans la musique.

Vous avez 29, 30 et 32 ans. Vous doutez plus ou moins qu’à vos débuts en 2006 ?
Adrien : On est toujours en train de douter, c’est important quand tu fais de la musique : ça te permet d’avancer.

Avancer vers quoi ?
Adrien : Pour cet album, c’était plutôt : revenir à des choses qui se jouent facilement sur scène. Prendre la guitare, chanter une chanson « nue », éviter les arrangements fous et les habillages sonores trop sophistiqués. Là, c’était vraiment une envie de revenir aux bases : être un groupe, se retrouver dans une salle, enregistrer avec un réalisateur à qui on fait confiance : Samy Osta (réal’ des albums de La Femme et Feu Chatterton !, ndlr). On voulait retrouver ce son brut de nos débuts, passer de Puzzle à cet album, tout en essayant de garder notre identité.

Cette idée en deux influences : The Faces meets Gainsbourg ?
Adrien : Ah ah, pas mal ! Au début je me le cachais, mais j’ai toujours été influencé par des artistes de variété : Gainsbourg donc, Michel Berger… Du coup, il y a un habillage rock, avec l’énergie du rock, mais ce sont des chansons qui pourraient être des chansons de variété française. On a encore beaucoup à explorer dans ces deux univers. Mais on a tout notre temps : on est là pour le long terme !

Et l’industrie musicale de 2019, vous vous y sentez comment ?
Bérald Crambes (basse) : Tu as de plus en plus de contraintes : être actif sur les réseaux sociaux, la communication constante que ça demande, il est devenu plus difficile pour les jeunes artistes de vivre de leur musique…

La façon de défendre son disque, ça a beaucoup changé ?
Adrien : Pas trop. C’est un peu les mêmes promotions, il y a juste ce facteur réseaux sociaux qui a pris de l’ampleur.
Bérald Crambes : Quand on a commencé, il n’y avait pas Instagram. D’ailleurs, j’ai rencontré les gars via… MySpace. Ça date !

Aujourd’hui, vous avez l’impression de faire partie d’une famille musicale ?
Adrien : En ce moment, la scène est hyper-riche. Quand on a sorti notre premier album en 2006, il n’y avait pas énormément de groupes chantant en français. Ces dernières années, ça change : je pense à Juliette Armanet, Clara Luciani, les Pirouettes, Feu Chatterton !, La Femme… On n’est plus les seuls à revendiquer cette langue-là.
Bérald : Et ils le font bien, avec originalité. On a enfin une scène française vivante !
Adrien : Ça fait penser aux années 1980, quand il y avait les Rita Mitsouko, Taxi Girl, Ellie et Jacno… Il y a une vraie émulation en ce moment.

Vous composez des chansons d’amour depuis plus de dix ans : comment changent-elles, avec l’âge ?
Adrien : Je persiste à dire que l’amour est la chose la plus importante au monde. Et mes chansons ne tournent qu’autour de ça. Je suis assez romantique dans l’âme, j’aime bien écrire là-dessus, ma vision n’a pas vraiment changé: c’est celle d’un romantisme optimiste, solaire même, et aucunement destructeur.

Parce que vous êtes un jeune parent ?
Adrien : Ouais carrément : je viens d’avoir deux enfants. Deux beaux jumeaux.

La paternité influe sur l’écriture ?
Adrien : Bah, pour l’instant je ne sais pas trop, je n’ai écrit qu’un morceau depuis. Mais je sais que Jacques Higelin a écrit les plus belles chansons sur ses enfants : « Ce qui est dit doit être fait », « Ballade pour Izia »… Être parent, forcément ça change ta façon d’être au monde, ça chamboule tout, c’est une révolution totale – et extrêmement agréable.

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Vous vous êtes imposés une règle dès vos débuts : ne chanter qu’en français. Toujours pas tentés de vous mettre à la langue des Beatles et des Stones ?
Adrien : Toujours pas ! D’ailleurs, je trouve que nous les Français, culturellement, on a le vent en poupe en ce moment. Quand tu vois qu’Alex Turner parle de Nino Ferrer et de Véronique Sanson, ce sont quand même des signes assez forts. Si nos chansons peuvent connaître cette longévité-là…

 

Par Albane Chauvac Liao

Photos Anaël Boulay
MUHA Diana Bodruh

Merci Saint James Paris