Alexandre Kauffmann : « Dans 20 ans, la coke sera légale…»

Alors que le trafic de cocaïne en France bat des records, le journaliste Alexandre Kauffmann a passé un an auprès du groupe  « Surdose » de la brigade des stup’. Bon, Alex, la dépénalisation, c’est pour quand ? 

Au cours des années 2000, la vente de stupéfiants s’est « professionnalisée », à tel point que chaque grande métropole a aujourd’hui son « Cocaïne call-center » ? Alexandre Kauffmann : C’est un système de commercialisation qui s’est développé avec les portables. Les dealeurs vont désormais vers les clients alors qu’auparavant, pour se ravitailler, les consommateurs devaient aller « au four ». Aller « au four », ça veut dire au pied des cités. Les portables ont inversé la relation et on a vu apparaître des méthodes marketing agressives avec livraisons à domicile, messages de relance promotionnelle du genre « un gramme acheté, un gramme offert », « ponctualité au rendez-vous ». La dernière innovation marketing : on t’offre un échantillon, le mec se pointe chez toi et tu as un petit ticket à gratter style Bingo. Tout est super bien organisé. Il faut quand même se méfier de ces techniques. Leur objectif est d’appâter le « boloss » qui, une fois ferré se verra livrer de la merde. Quand tu remontes le réseau, tu vois qu’il y a une véritable pression à l’intérieur de la plateforme. C’est un management hyper brutal. Ça s’est développé dans un contexte de concurrence très marqué et rude. La conséquence directe a été une hyper-disponibilité du produit.

Finie la période où on s’approvisionne dans la rue ?

Pas tout à fait. Tu peux toujours acheter ta cocaïne en cité, mais la plupart des jeunes parisiens le font rarement. Belleville est connu pour avoir une très bonne cocaïne. Dans mon immersion, je n’ai vu pratiquement que des livraisons. Il est vrai qu’en mode « four », les dealeurs sont moins traçables car pas de téléphone et a fortiori pas de contacts. Avec le nouveau système de livraison, les dealeurs ont appris à s’organiser pour cloisonner les appels. C’est simple, il suffit de créer une paroi étanche entre ceux qui touchent l’argent et le produit, et ceux qui prennent les appels.

La mise en concurrence et l’hyper disponibilité ont-elles eu un impact sur les prix et la qualité ?

Oui, on a vu les prix baisser. À Paris, c’est 65 euros le gramme en moyenne. Du point de vue qualité, la coke est plus pure. La plus mauvaise cocaïne qu’on pouvait trouver c’était en 2010. Depuis elle n’arrête pas de remonter en pureté avec des taux pouvant atteindre 60 à 70%. Après tout, c’est logique, la concurrence fait augmenter la pureté de la coke. La nature des produits de coupe pose de vraies questions. Les pharmacologues prétendent qu’ils sont moins nocifs que le principe actif de la cocaïne. Il faut savoir que le principal produit de coupe aujourd’hui c’est le lévamisol : un pesticide contre les vers intestinaux des porcs. À petite dose, il n’a pas d’effets nocifs sur l’homme. À haute dose en revanche, tu peux avoir une nécrose de la peau et un affaiblissement du système immunitaire. En même temps, les dealers n’ont pas intérêt à vendre des trucs dangereux car ce serait contre-productif et ça irait à l’encontre de leur business.

Cette stratégie marketing que tu décris, qu’on pourrait d’ailleurs appliquer à n’importe quel produit de consommation ordinaire, a-t-elle modifié le regard sur la cocaïne ?

La perception du produit est moins diabolisée. Tu le vois avec le profil des consommateurs. Ça va du dentiste à l’étudiante, en passant par l’informaticien, le journaliste et le SDF. À vrai dire il n’y a pas de profil type de cocaïnomane. En consommation, la cocaïne te file une euphorie mais tu restes toi-même, l’entourage ne voit pas forcément que tu as consommé. Il y a plein de gens qui tapent de la coke sur leur lieu de travail. On associe la coke à la performance, la bonne humeur. Dans ton livre Surdose*, tu dénonces les effets pervers de la clandestinité du produit. En sortant le produit de sa clandestinité, on améliore sa connaissance et on diminue les risques d’infections ou d’overdoses. Le consommateur est mal renseigné sur le produit mais le pire, c’est que le dealeur l’est aussi mal que lui. Aujourd’hui, une part des overdoses est imputable à la confusion sur le produit. Il y a environ une nouvelle drogue par semaine qui arrive en France sous forme de poudre blanche. On a vite fait de se tromper. Par exemple, un jeune journaliste d’une trentaine d’années a acheté 4 grammes de ce qu’il croyait être de la coke avec deux potes. Ses potes la trouvaient bizarre, elle “piquait” d’après eux, mais lui, a continué à taper. Il est tombé dans le coma. À son réveil, six mois plus tard, il était paraplégique et avait perdu la mémoire immédiate. C’était pas de la cocaïne mais de l’héroïne. Il faut savoir aussi qu’en France, on sous-estime le nombre de morts par overdose. On est loin des britanniques qui ont un système de recensement beaucoup plus fiable.


Sortir le produit de la clandestinité, c’est le légaliser. Est-ce la voie à suivre ?

L’opinion publique n’y est pas prête, mais oui, pour mieux contrôler le produit il faut aller vers la légalisation. En Hollande, la weed est tolérée depuis longtemps (années 70). Pourtant, il n’a pas été constaté d’effet d’engrenage vers les drogues dures. On en arrive à ce résultat étonnant qu’en Hollande, le taux de personnes ayant déjà testé au moins une fois la cocaïne est plus faible qu’en France, où on en est à 5,2% de la population. Au Portugal, toutes les drogues ont été dépénalisées, y compris l’héroïne. Aujourd’hui il y en a deux fois moins qu’avant. Et puis, en France, les enquêtes policières ressemblent bien souvent à un jeu sans fin du chat et de la souris. Quand les policiers parviennent à démanteler une filière, les dealers, par le biais de leurs avocats ont accès au dossier et donc à tous les détails de la procédure (écoutes, etc). Résultat des courses : quand ils sortent de prison il ont appris à mieux gérer et une filière plus efficace que la première apparaît. Sans compter que la pénalisation crée des situations inégalitaires : si aujourd’hui tu te fais choper à Paris avec un gramme de cocaïne, il y a pas mal de chance qu’on te laisse partir.

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Si tu te fais choper dans une autre ville, comme Le Mans, le traitement n’est pas le même. Tu vas prendre super cher. Je trouve que la loi française sur la drogue est mal faite. Même si elle essaie de concilier des impératifs sanitaires et répressifs. D’ailleurs, les textes concernant les stup’ se trouvent dans le code de la santé publique… et non dans le code pénal. Pourtant, la France est le seul pays où l’on considère un consommateur de drogue non-pas comme un malade méritant d’être aidé, mais comme un délinquant. La politique reste répressive ce qui nuit à la prévention. La légalisation permettrait d’y voir clair sur la nature et la vraie dangerosité des produits consommés. Si on continue comme ça, la coke a encore de beaux jours devant elle et dans 20 ans, elle sera légale.

Entretien Hugues Pascot