ABDEL RAOUF DAFRI : « QUAND TU PARLES DE LA GUERRE D’ALGERIE À UN FINANCIER, ÇA CASSE L’AMBIANCE… »

Abdel Raouf Dafri

À 55 ans, le scénariste-star Abdel Raouf Dafri (Un Prophète, Mesrine…) passe enfin à la réal avec Qu’un Sang impur, projet portant sur la Guerre d’Algérie qu’il prépare de longue date… Attention, interview explosive.

Il porte élégant et ressemble aujourd’hui à un lord anglais. Il a aussi le verbe haut, on le sait depuis son débat télé explosif avec le philosophe Alain Finkielkraut. Abdel Raouf Dafri est venu nous voir avec photos et documents traitant de la guerre d’Algérie dans sa sacoche pour nous parler de sa première réalisation, le très dérangeant Qu’un sang impur dans lequel il filme le sang qui coule – français et algérien – et qui abreuve les sillons. Une façon pour lui de renvoyer dos à dos les combattants des deux camps. S’il est venu se poser une après-midi chez nous, c’est aussi pour balancer quelques scuds dans la direction de son ancien pote Olivier Marchal, du FLN, du PS ou du cinéma français.

En quelques années, vous êtes devenu le scénariste-star de séries et de films, avec des œuvres comme la série Braquo, Un Prophète ou les deux Mesrine de Jean-François Richet. Pour votre première réalisation, pourquoi avez-vous choisi la guerre d’Algérie, un sujet toujours hautement inflammable en 2020 ?
Abdel Raouf Dafri : J’ai tourné Qu’un sang impur pour une raison très simple : j’ai intégré le monde du cinéma pour un jour signer un film sur la guerre d’Algérie, même si je ne pensais pas en être le réalisateur à l’origine.

Dès 2011, vous évoquiez un projet sur la guerre d’Algérie qui ressemblerait aux 12 Salopards, mais avec le réalisateur Olivier Marchal dans la boucle.
À une époque, Marchal était mon pote, mais quand il a vu ce que j’ai fait avec la saison 2 de Braquo, c’est devenu un ennemi. Il n’a pas aimé plein de choses, ce que j’avais fait des personnages. Il a dit que c’était pornographique, bête… En tout cas, la saison 2 a fait plus d’audience que la première ! Donc à un moment, je m’en bats les couilles. On s’est frittés, c’est allé très loin. J’ai un cousin qui l’a appelé et qui lui a dit « Écoutez monsieur Marchal, faut arrêter. » Et ça s’est arrêté…

Qu’un sang impur est à la fois ultra-réaliste et très pulp.
Je ne tourne pas un documentaire, mais un film d’action. Je voulais une image à la Tarantino, comme John Ford dans La Prisonnière du désert, ou Scorsese avec Les Affranchis… Donc une vraie belle photo. Les films français, je les trouve moches, la photo est dégueulasse. Et si j’avais composé une photo docu avec l’horreur que je montre, cela aurait été insupportable. Je voulais quelque chose qui pète à la gueule. Que ce soit du cinéma de genre, j’assume ! Dès le début, je voulais faire un film qui soit divertissant, mais je vous assure que tout ce que l’on voit, tous les actes de violence perpétrés dans mon film ont eu lieu dans la réalité.

Les premières séquences de torture sont d’une intensité insoutenable.
Au début du film, on voit un groupe de militaire, les DOP (dispositif opérationnel de protection), l’armée dans l’armée. Ce sont des tortionnaires et ils étaient disséminés dans tous les coins chauds pour massacrer, torturer et extraire du renseignement. Quand j’ai commencé à travailler sur Mesrine, j’ai demandé à Charlie Bauer, le dernier compagnon de route de Mesrine, ce qu’il lui avait confessé sur l’Algérie. Et il me raconte alors la scène de torture qui ouvre mon film. On prend trois mecs, ils tirent à la courte paille et celui qui perd, il lui arrive ce que je montre dans le film… C’est une scène de torture réelle. Je voulais une scène d’ouverture qui n’incrimine pas seulement le côté français. En 1960, la barbarie était des deux côtés, c’était œil pour œil, dent pour dent et tripe pour tripe.

« JE VOULAIS QUELQUE CHOSE QUI PÈTE À LA GUEULE. »

 

Votre film s’intitule donc Qu’un sang impur et il y a un nombre incalculable de plans où l’on voit des drapeaux
Les drapeaux sont les linceuls dans lesquels les hommes politiques âgés envoient les jeunes se faire flinguer et on les ramène enveloppés dedans. L’affiche est très explicite, un soldat français qui est étouffé par le drapeau de son propre pays. La guerre d’Algérie, comme la guerre d’Indochine, ont été menées par des pros. Les appelés ne comprenaient même pas où ils étaient, on a sacrifié une génération. C’est pour cela que mon film est dédié au peuple algérien et à ces jeunes gars.

Vous renvoyez dos à dos l’armée française et le FLN.
Le FLN est au pouvoir depuis des décennies et saigne le peuple à fond et à blanc. Je ne choisis pas de camp moi, ce qui m’intéresse ce sont mes personnages, c’est de montrer une photographie de ce qu’était la guerre d’Algérie, sans juger. Le FLN n’a jamais réussi à convaincre la population de les rejoindre. Le FLN a donc dit : vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous et ils ont commencé à terroriser les populations. Le pouvoir colonial a dit : vous êtes avec le FLN, donc contre la France. Le peuple s’est retrouvé en tenaille. Le FLN a tué sûrement beaucoup plus d’Algériens que l’armée française. J’emmerde FLN, je n’ai rien à lui dire. Il faut se rappeler qu’en 1988, les jeunes descendent en bras de chemise dans les rues d’Alger, demandant un travail, un avenir et à manger. Et que fait l’armée algérienne ? Elle mitraille ses jeunes. Mais quel ce gouvernement dans une société civilisée tire sur ses jeunes à l’arme lourde ? Il y a eu 500 morts sur un week-end !

Votre famille a-t-elle été impactée par la guerre d’Algérie ?
Je ne suis pas né dans une famille où on était pro Algérie ou anti France, on s’en foutait. Mon père était un gangster de droit commun. Quand on lui demandait quel était son pays, il indiquait sa poche. Mon père était un truand, c’est la version algérienne de Joe Pesci dans les Affranchis. Quand l’armée française l’a appelé pour faire son service militaire en 1955, il vivait à Mondovi, en Algérie, et il s’est barré en Allemagne parce qu’il n’avait pas envie de faire la guerre, parce que ça rapporte rien la guerre, il n’y a pas de thune à prendre. Il s’est fait gauler en Allemagne, ils l’ont ramené en France, et comme mon père avait assassiné deux mecs quand il était jeune, l’armée française lui a dit : « Écoute, on sait que t’as tué deux arabes, c’est vos histoires, ça ne nous intéresse pas trop. » Dans sa caserne, il a joué au dingo pour ne pas partir en Algérie et il s’est occupé des bergers allemands de la brigade sinophile.

Abdel Raouf Dafri

Est-ce qu’il a été dur de trouver le financement du film ?
Quand tu parles de la guerre d’Algérie à un financier, ça casse l’ambiance. Si j’avais voulu faire un truc avec des noirs et des arabes qui se battent dans une cité pour du trafic de drogue, on m’aurait donné 12 millions. J’ai eu un petit budget, 35 jours de tournage, je suis hyper fier de mon film. C’est à la fois beaucoup d’argent, mais pour un film comme ça c’est peanuts et j’ai dû couper les flashbacks en Indochine. Je vous signale que la comédie de Michel Denisot a coûté 9 millions. Je dis ça, je dis rien…

J’ai cru comprendre qu’un acteur très célèbre avait décliné le rôle principal.
Je ne donnerai pas de nom parce que je n’ai pas été éduqué comme cela. J’ai contacté une grosse vedette. Il m’a dit : « Abdel, je ne ferai pas le film mais je vais t’expliquer pourquoi. Quand ton film sortira, il y aura une polémique et je ne l’assumerai pas. » Je l’ai remercié pour son honnêteté, au revoir, affaire classée.

Il paraît que vous touchez un million par scénario ?
Non, c’est des conneries, c’est beaucoup moins et puis tant mieux. Le max, sur un long-métrage, c’est 400 000 euros et sur Braquo, c’était 45 000 par épisode.

Vous avez commencé à écrire vos scénarios sous pseudonyme.
À cause du racisme ?
J’ai beaucoup de mal à voir les Français comme des racistes, il y a juste des connards et tu en as partout. La société française n’est pas raciste, même si les socialistes essaient de nous faire croire le contraire. Moi, les mecs du PS, je les considère comme des fils de pute. C’est Guy Mollet, un socialiste, qui était au gouvernement au moment de la guerre d’Algérie. C’est un mec de droite qui nous sort d’Algérie. Mitterrand a permis l’exécution par la guillotine de plus d’une cinquantaine de mecs. Il était pour l’Algérie française et Giscard, par la suite, pour l’OAS.

Petit, on vous parlait de tout ça ?
Je n’ai pas de problème d’identité, je sais qui je suis. Ma mère a éduqué mes frères et sœurs et moi-même avec une idée simple : « Dans cette famille, les arabes, c’est votre père et moi. Vous, vous êtes des Français. » Après, quand tu t’appelles Abdel Raouf et que tu habites dans le Nord, c’est compliqué de courir après la bourgeoise blonde. Du coup, j’ai pris le pseudo Gino, ça se vendait beaucoup mieux. Quand j’ai commencé à faire de la radio, pour La Voix du Nord, j’ai été obligé de prendre un autre pseudo et comme j’adore le jazz, j’ai choisi le batteur noir Panama Francis, et j’ai inversé, Francis Panama. Après, il y a eu des abrutis que j’ai dû frapper quand j’étais plus jeune, plus vigoureux, plus dangereux. C’est avec Marco Cherqui (producteur d’Un prophète) que j’ai pu afficher mon nom d’origine et je me suis senti à l’aise pour effacer le Francis Panama que j’avais mis sur le scénario. Et c’est passé comme une lettre à la poste…

Quels sont vos projets ?
J’ai écrit une série qui s’appelle Francia Nostra, sur l’ascension de la mafia corse, pour le producteur Fabio Conversi. Il m’a mis sur une mini-série basée sur Madame Claude. Le parcours de cette femme est extraordinaire. Et Un prophète en format télé. On devrait faire ça sur trois saisons et la première est déjà écrite. Et il y a également une mini-série qui sera tournée en janvier au Maroc sur les ventes d’armes entre l’Allemagne et l’Algérie sur fond de coup d’état.

Et le cinéma ?
J’aimerais bien réaliser un autre film, j’espère qu’on aura l’argent. Je voudrais raconter l’histoire de la bande d’Aubervilliers qui dans les années 80 a braqué des Monet et des Corot pour les vendre à la mafia japonaise. C’est une histoire vraie et c’est une femme flic française qui va faire tomber ces types qui travaillaient avec des yakuzas.

Qu’un sang impur : en salle depuis le 22 janvier


ENTRETIEN PAR MARC GODIN
Photos Florian Thévenard