Directeur artistique de Télérama pendant vingt ans, Serge Ricco est aussi à l’origine des refontes du Nouvel Observateur et de GQ. Désormais à la tête de son studio Ricco&Co, il est venu nous livrer les secrets d’une DA qui marche.
Enfant, sur votre carnet de santé, apparaissait la mention : « Serge a apporté le journal à son père ». Quelle a été votre première lecture média ?
Serge Ricco : J’ai été nourri à Spirou et Tintin. Très vite, j’ai acheté Métal Hurlant que je trimballais dans mon sac en sixième. Mon prof de dessin était choqué : « Tu lis ça à ton âge ? ». J’en ai déduit que ce devait être un gage de qualité.
Vous êtes embauché comme stagiaire chez Télérama à votre sortie de l’école Estienne. À quoi ressemblait le milieu du graphisme à l’époque ?
Télérama, c’était ma tante un peu gaucho qui le lisait. Je connaissais mal le journal, mais c’était le moyen de rentrer dans la presse. Il y avait peu de gens spécialisés dans le graphisme, on arrivait par hasard, on apprenait sur le tas, en découpant des morceaux de vieux papier, qu’on posait sur une table lumineuse, etc. Deux ans après, l’informatique est arrivée.
Le mag’ qui vous a donné envie de travailler dans le milieu de la DA ?
Interview, mis en page par Fabien Baron à partir des 90’s – il a aussi fait Harper’s, Vogue Italie…
Vous êtes ensuite devenu le DA de Télérama. From the bottom to the top ?
Un an après mon arrivée, le DA était licencié, on n’était que deux maquettistes, donc je me suis retrouvé à faire des couvertures à 20 ans. J’ai fait des allers-retours à Londres et travaillé avec un studio aujourd’hui disparu, CDT. Ils ont posé des bases graphiques à l’anglo-saxonne.
Meaning ?
Avant, les journaux étaient composés comme les quotidiens, rangés par thématiques… Ils étaient un peu mourants, c’était un journal dans le journal, géré par les chefs de rubrique. En 2006, on a dérubriqué Télérama, avec une partie du magazine où tous les sujets se mélangeaient. Là, on redonnait la main au directeur de rédaction.
La clé pour réussir la refonte d’un magazine ?
Descendre dans les archives du magazine. Le journal existait depuis les 50’s… Pour savoir où tu vas, il faut savoir d’où tu viens. Un magazine, c’est comme du titane, ça a une mémoire de forme.
Les règles d’une couve qui marche ?
Répondre à la question du lecteur : quel intérêt ai-je à acheter ce magazine. Ne pas ressembler aux autres. Et la clarté ; une bonne couverture se lit en trois secondes.
Qu’est-ce qu’un bon DA – ou réd’ chef ?
Quelqu’un qui voyage ; comme le mot « magazine », qui vient de l’arabe et veut dire « entrepôt où l’on trouve des choses formidables ». Quand Hélène Lazareff a créé Elle, elle était complètement sous l’emprise de ce qu’elle avait vu à New York pendant la Seconde Guerre mondiale, elle avait fait un stage à Harper’s Bazaar et au New York Times. The eye has to travel.
Vous vouez aussi une grande admiration à l’éditeur Daniel Filipacchi.
Oui, c’est un autre exemple de grand voyageur. Il était photographe chez Paris Match, a suivi Vincent Auriol dans ses déplacements aux US, il voyait ses premiers clubs de jazz, découvrait Playboy… Tout ce qu’il a fait, c’était de l’américain. Je suis en train de faire un documentaire sur sa vie. On a oublié qu’il était le troisième plus grand éditeur de presse au monde dans les années 1980. Lorsqu’il a apporté Elle aux US, il a failli tuer Harper’s Bazaar et Vogue.
Le M du Monde est devenu le mag’ que tout Paris tente d’imiter, sans succès. Le secret de leur réussite ?
Ils n’ont pas de code-barres.
Par Violaine Epitalon
Photo Gabrielle Langevin