Bienvenue dans le dĂ©sert du Nevada, Ă Black Rock City, oĂč se retrouvent les disciples du Burning Man. En deux-roues sous 45°, du sable plein les godasses, notre burn-reporter est partie en trip-immersion. Compte-rendu.
Il est 21 h 30 quand je passe enfin la gate. Jâai fait 11 heures de route depuis Los Angeles en RV (camping-car), 4 heures de course au supermarchĂ©, et 5 heures de queue pour entrer Ă Burning Man. 11 heures de route parce que plusieurs loueurs de RV ont fait faillite avec le Covid et il nây avait rien Ă louer Ă Reno ou San Francisco depuis des mois avant lâĂ©vĂ©nement, mâobligeant Ă prendre le seul RV dispo Ă Los Angeles. Puis 4 heures de courses parce quâil faut tout prĂ©voir avant dâarriver. Sur place, yâa rien Ă acheter, aucune transaction commerciale. Alors il faut Ă©videmment prĂ©voir lâeau (deux litres par jour par personne⊠on est dans le dĂ©sert), la nourriture pour cinq jours, mais aussi la lumiĂšre pour ĂȘtre visible la nuit et ne pas se faire renverser par une art car, du matĂ©riel pour se faire de lâombre dans le dĂ©sert, le vĂ©lo, le cadenas ⊠et le plein dâessence pour tenir les 12 heures de queue Ă la sortie de Burning Man, si nĂ©cessaire. Et pour finir, 5 heures de queue qui mettent les nerfs Ă rude Ă©preuve parce que, cette annĂ©e, il y avait un gros manque de bĂ©nĂ©voles et seulement trois gates dâouvertes (sur 12 habituellement) pour faire circuler des milliers de voitures. Bref, ça a Ă©tĂ© un vrai pĂ©riple dâarriver au saint des saints du Black Rock Desert. Mais que câest bon dâĂȘtre de retour. Je retrouve bien lâambiance si particuliĂšre de Burning Man. Ce sol crevassĂ©, cette lumiĂšre surexposĂ©e, cette chaleur accablante et lâodeur indescriptible de lâair poussiĂ©reux. Car oui, ce dĂ©sert a bien une odeur.
Cette annĂ©e, jâai choisi de faire le « burn » en solo camper, câest-Ă -dire sans faire partie dâaucun camps Ă thĂšme organisĂ© et donc, je nâai pas dâemplacement prĂ©dĂ©fini. DĂšs lâentrĂ©e dans Burning Man, il faut que je trouve ma place idĂ©ale, en pĂ©riphĂ©rie avec une vue sur le dĂ©sert Ă 180°. Il est tard, je me gare dans un endroit qui a lâair pas mal. Les voisins les plus proches viennent direct se prĂ©senter. Ils mâoffrent une effigie du Man en friandise et un « F*ck your burnâ », lâexpression employĂ©e par les burners pour se souhaiter un bon Burning Man. Trop impatiente, je zappe le dĂźner, et jâenfourche mon vĂ©lo pour aller vers Esplanade, lĂ oĂč tous les sound camps sont installĂ©s en bordure de la vaste Ă©tendue de dĂ©sert, appelĂ©e playa.
Un Ă©blouissement sensoriel commence, les milliers de vĂ©los illuminĂ©s vont dans tous les sens, le son de lâelectro Ă bloc vient de partout, les lasers des arts cars, quâon repĂšre de loin, mâattirent dans la nuit⊠Mais ma premiĂšre balade tourne court. Je mâaperçois, dĂ©pitĂ©e, que jâai une roue crevĂ©e. Câest un coup dur, dĂšs le premier soir, dâĂȘtre au milieu de la playa et de rentrer Ă pieds. Burning man sans vĂ©lo câest jouable, mais câest difficile. La surface Ă parcourir est immense. Câest un cercle de 5 km de diamĂštre. Il faut alors trouver un bike repair camp. Jây arrive Ă bout de force dâavoir poussĂ© mon vĂ©lo dans le dĂ©sert. Laura, une bĂ©nĂ©vole française qui vit Ă New York mâaccueille sympathiquement. Elle me change direct la chambre Ă air. Tout est simple, efficace et mĂȘme gratuit. Ă Burning Man, il n’y pas dâĂ©change dâargent, ce sont des camps de bĂ©nĂ©voles qui offrent ce service. Câest le don, un des dix principes de Burning Man. On se prend dans les bras et on se dit « f*ck your burn ».
I HAVE DUST IN FUNNY PLACES
La dust, câest ce sable fin comme du talc qui recouvre tout le dĂ©sert de Black Rock, qui se dĂ©pose sur toute les surfaces, sâinfiltre dans tous les interstices des tentes ou des camping-cars, mais aussi dans tous les orifices⊠« I have dust in curious places », est une blague rĂ©currente Ă Burning Man, car oui jâen ai vraiment partout ! La dust, on sâen plaint Ă longueur de journĂ©e, mais elle fait partie du paysage. Elle rend lâatmosphĂšre onirique, floute les contrastes, couvre et dĂ©couvre lâhorizon selon le vent, cache ou dĂ©voile les Ćuvres de la playa. Les white-out (comme un black-out mais en blanc) oĂč le vent soulĂšve le sable comme des vagues et empĂȘche de voir Ă trois mĂštres, sont lĂ©gion. Je porte un masque de ski et un foulard sur la bouche pour survivre aux tempĂȘtes mais la dust reste le must. Les vĂ©tĂ©rans sâaccordent pour dire que les conditions ont Ă©tĂ© particuliĂšrement sĂ©vĂšres cette annĂ©e : Ă©clairs la nuit du lundi, tempĂȘte de sable le mercredi et toute la journĂ©e du samedi, tempĂ©ratures Ă plus de 45°C tous les jours avec des pics Ă 53°C et 50 nĆuds de vent qui ne laissent aucune chance aux tentes pas assez solidement plantĂ©es… Miracle de Burning Man, le samedi vers 20 heures, la tempĂȘte est retombĂ©e, et le ciel Ă©tait parfaitement clĂ©ment pour lâĂ©vĂ©nement culminant : la mise Ă feu du Man.
WHATâS NEXT ?
Une grande partie des burners viennent et reviennent Ă Burning Man. Certains depuis une vingtaine dâannĂ©es. Pour ma troisiĂšme fois, je cerne mieux ce qui me fera revenir encore. LâimmensitĂ© des possibilitĂ©s dâabord. Ce nâest pas un organisateur qui propose et 70 000 participants qui reçoivent sur le modĂšle des festivals classiques. Ici, chaque camp offre une expĂ©rience, que ce soit par la musique, les talks sur tout type de sujet, le yoga, des tacos, la collecte de tes phĂ©romones ou les orgies. Lâapp Time To Burn rĂ©pertorie tout, et la liste est vertigineuse.
Ensuite, il y a les Ćuvres dissĂ©minĂ©es dans le dĂ©sert comme abandonnĂ©es lĂ , pour le plaisir des burners. On peut monter dessus, entrer dedans, les traverser Ă vĂ©lo, sây endormir, les manipuler, et parfois agir pour les animer. AprĂšs trois ans sans Burning Man, mon anticipation Ă©tait grande et je sillonnais le dĂ©sert, avide de dĂ©couvertes dâĆuvres mais Ă©trangement, je nâai pas retrouvĂ© lâĂ©merveillement et la stupĂ©faction ressentis lors des opus prĂ©cĂ©dents devant des installations majeures. Un cru 2022 artistiquement moins spectaculaire que ce que jâavais espĂ©rĂ©. Il y avait quand mĂȘme une nouvelle installation dâArthur Mamou Mani, le gĂ©nial architecte du temple de 2018. « Catharsis » est une structure multi-fonctions ouverte Ă tous pour chiller en journĂ©e ou assister au concert du Black Rock philarmonique comme dans un amphithĂ©Ăątre. La nuit venue, lâart se passait aussi dans le ciel nocturne avec des drone shows hallucinants qui me stoppaient net alors que je dĂ©ambulais Ă travers le dĂ©sert. Et Ă©videmment, il y a la musique. Des sets dĂ©ments au coucher du soleil, des sons que je nâai jamais entendus en clubs et des DJ qui font vibrer la foule. Toutes les nuits, plusieurs dizaines de possibilitĂ©s musicales se prĂ©sentent, alors je pĂ©dale et goĂ»te Ă tous les sons proposĂ©s par les sounds camps et les art cars jusquâĂ trouver mon bonheur. Et je lâai trouvĂ© systĂ©matiquement dans une joie euphorique.
Enfin, lâensemble de lâĂ©vĂ©nement Ă©mane une Ă©nergie et une spiritualitĂ© paĂŻenne qui rĂ©sonne en moi. La premiĂšre fois, en 2018, que jâai vu le Man brĂ»ler, jâai pleurĂ©. Des larmes de chagrin et de lĂącher prise avec la priĂšre silencieuse de laisser mes peines partir en fumĂ©e avec le Man. Cette annĂ©e, jâai versĂ© des larmes de joie et de gratitude dâĂȘtre prĂ©sente pour vivre ce moment privilĂ©giĂ©, et jâai formulĂ© le vĆu de revenir lâannĂ©e prochaine.
Par Eve Cohen
Photo Yagiza Studio