BITCOINS, ART DIGITAL, RICHESSES CACHÉES… FUTUR BLING

Lambos, yachts et œuvres de Jeff Koons ? Has-been ! Les meilleurs signes de réussite se casent – et se cachent – désormais sur une humble clé USB. Mais n’ayez crainte. Voici nos astuces pour continuer de frimer dans un monde dématérialisé 

C’était en mars dernier. J’avais passé l’aprèm’ à Montreuil, chez un pote, Adrien, qui m’avait parlé pendant deux heures de la centaine de milliers d’euros qu’il avait gagnée en un temps record grâce aux cryptomonnaies – des jetons numériques, comme le Bitcoin, qui sont stockés en ligne sur la blockchain. Pour ce gérant d’une boîte de prod’ le jour et trader en crypto la nuit (ou l’inverse), le doute n’est plus permis : « J’ai commencé sur une application très grand public, CoinBase, puis rapidement je suis passé sur Binance qui permet de faire du day-trading avec très peu de frais. » Persuadé d’être aux premières loges d’une « révolution qui ne fait que débuter », il a quand même pris le soin de me rappeler que le jeu comportait des risques : « Il existe plus de 1500 cryptomonnaies, alors j’ai beaucoup suivi les quotidiennes de CryptoMatrix sur YouTube qui m’ont énormément aidé à comprendre ». En six mois, l’heureux investisseur a multiplié sa mise de départ par… douze. Il nous confie : « J’espère encore faire fois cinq dans les trois mois à venir ». À côté des 3 ou 5 % que peuvent prendre les actions du CAC 40 (lorsque le marché se porte bien), les financiers du dimanche qui se la jouent à la Gordon Gekko n’ont qu’à bien se tenir.

Un peu saoulé par sa prose, je rentrais tranquillement chez moi, avec l’ambition de mater Netflix (dur de frimer la nuit depuis la fermeture du Matignon et du Roxie). Mais alors que je me trouvais sur la ligne 9, je vis « Beeple » en top tweet : un graphiste américain au style pop dystopique et inconnu du grand public venait de vendre chez Christie’s une œuvre digitale sous forme de NFT – un fichier numérique qui enregistre des images et des vidéos dans la blockchain – pour… 69 millions de dollars. Je découvrais tout ça tout en écoutant ma playlist Spotify : avec son récent « Five O », la coverstar de ce numéro, Kaaris, semble annoncer l’arrivée d’une ère nouvelle : « Hey, hey, prends les euros, je prends les bitcoins ». Si même le rap peut se passer de ses liasses de billets… Ce soir-là, je compris que ma génération rentrait brutalement dans un nouveau monde : celui du bling dématérialisé…

Je sais pourtant que le monde physique a de beaux jours devant lui, et que le commerce mondial est encore largement dominé par des produits qu’on peut tripoter, installer chez soi et utiliser avec les doigts. Un sac Hermès reste un symbole écrasant de richesse (6500 euros pour le modèle de base), tout comme une Porsche (dans les 60 000 euros pour une Boxster) ou des vacances à Saint-Tropez (« On a une maison de famille vers les Salins, tu viens fin juin ? »). Et pourtant, les signes extérieurs de réussite ne sont plus tout à fait les mêmes, le bling du futur et le futur du bling sont déjà ailleurs… 

beeple mike winkelmann
SALUT L’ARTISTE_
Pour fêter sa vente record, la mère de Mike « Beeple » Winkelmann lui a offert son snack préféré. Merci maman !


DIGITAL TOTAL 

Vous vous dites sans doute qu’en dehors des quelques startups dont on nous rabat les oreilles sur BFM Business, le « full digital » reste encore limité aux murs – bien maçonnés – de la Station F, le campus pour jeunes pousses propulsé par Xavier Niel. Erreur ! Car désormais, le numérique est en passe de devenir non plus un aspect de l’existence économique et sociale, mais la vie elle-même. 

Nos amis les plus riches (ceux capables de s’offrir un Basquiat pour les gogues) n’ont pas attendu de validation extérieure pour s’adonner à leur passion – en avoir toujours plus –, grâce et avec le numérique. Et ne croyez pas qu’il faut forcément sortir d’Harvard ou du MIT pour monter une combine lucrative, même très lucrative. De nouvelles méthodes sont apparues pour générer des revenus, et leur point commun est de ne jamais requérir de mettre les mains dans le cambouis.

La première, pas très subtile mais incroyablement prospère, consiste à vendre des formations – ne me dites pas que vous n’avez jamais fait l’objet d’un ciblage publicitaire par lequel on vous proposait d’augmenter vos revenus, de faire des investissements locatifs ou plus abstraitement de « changer de vie » ? Derrière ces programmes, il y a des plateformes, hébergées sur des sites aux coûts de fonctionnement modiques, lesquels sont tenus par des entrepreneurs individuels – l’un des plus célèbres d’entre eux étant le marketeur Tugan Bara. Pas de salariés, pas de locaux et des vidéos, tournées chez soi, avec la caméra d’un téléphone et, pour les plus pros, un micro-cravate. On balance ensuite ça sur les réseaux, moyennant un peu de pub Facebook, et hop, vous avez un business qui tourne ! Certains gagnent même plusieurs millions d’euros par an sans bouger de leur chaise de bureau. 

D’autres, plus en vue, préfèrent se tirer à Dubaï, notamment les influenceurs qui, à la tête de leur « venture » hébergée sur Shopify, peuvent tout gérer à distance, à commencer par le marketing qui se joue essentiellement sur Instagram et, désormais, TikTok. Car la première des richesses, chez les nouvelles générations, c’est d’abord la puissance sociale elle-même, laquelle peut se quantifier très précisément grâce au compteur des followers. 


L’ÈRE DE LA CRYPTO

Les plus hardcores des apprentis millionnaires – à l’instar de « Romain SEO », fondateur du site Dropshipping Reborn – se tournent plutôt vers le dropshipping, une méthode de vente « sans contact », qui permet à n’importe qui de lancer un « store » sans même avoir à détenir de stock préalable. Le principe : vous greffez un petit plugin comme Dropify sur un site internet, vous balancez des centaines de produits à faible coût issus de plateformes de vente comme AliExpress, et ensuite, vous n’avez plus qu’à vendre ! Derrière, tout est automatisé. Vous, entre-temps, vous aurez touché une commission. Et une deuxième, une troisième… une cent-millième. Congrats, vous voici millionnaire.

À L’ÈRE DE LA CRYPTO, LA SIMPLE ACCUMULATION DE MARCHANDISES NE SUFFIT PLUS.

 

Maintenant que vous avez remboursé le crédit immo de la maison de vos parents, il vous restera quand même le plus dur à faire : dépenser le pognon. C’est là que ça se corse. Parce qu’à l’ère de la crypto, la simple accumulation de marchandises ne suffit plus. Il vous faut de la cryptomonnaie, de préférence du Bitcoin. Les milliardaires les plus grandes gueules du troisième millénaire, qu’il s’agisse d’Elon Musk et de ses fusées ou de Jack Dorsey et de ses tweets, ne jurent que par les monnaies virtuelles, devenues le nouveau Graal de la réussite sociale. Et si vous vous sentez plutôt l’âme d’un collectionneur, les non-fungible tokens (NFT), dont certains se revendent à prix d’or sur des plateformes comme SuperRare ou Nifty Gateway, pourront, eux aussi, combler votre appétit d’accumulation numérique.

Côté artistes, pas besoin d’être une vedette pour écouler ses oeuvres dématérialisées sur Twitter, par le jeu de hashtags bien ciblés qui permettent à des geeks de 15 ans – comme le « vector artist » Jasti – de vendre des fichiers jpg ou gif à plusieurs dizaines de milliers de dollars. Derrière, l’argent issu des ventes est généralement réinvesti dans l’achat d’œuvres d’autres artistes, à travers le réseau Ethereum. On n’achète pas pour acheter, on acquiert toujours dans une optique d’investissement. Enfin, c’est ce qu’on dit… « Le bling de demain quoi qu’il advienne nous appartient ! »

Et, grâce à ce système monétaire alternatif et décentralisé qui est en train d’émerger, capable de résister à toute récupération par un pouvoir central (bancaire ou étatique), la finance devient accessible à qui le veut, pour ne pas dire à n’importe qui. En plus, tout ça prend moins de place : les jetons sont stockés sur la blockchain, et les transactions sont traçables et accessibles à tout moment. Plus sûr qu’un coffre-fort, moins embêtant à stocker qu’un tableau de maître, une simple wallet consultable sur téléphone permet de gérer l’or numérique – avec l’appli BitPay, par exemple. Le Bitcoin, c’est simple, propre et minimaliste. Et même si ça peut se casser la gueule à tout moment, c’est le prix à payer pour rester aux avant-postes de ce mouvement inédit. Car en 2021, être riche, c’est pouvoir frimer de ce qu’on a dans sa clé USB…

Metakovan beeple
LE COLLECTIONNEUR_
Le Singapourien Vignesh « Metakovan » Sundaresan s’est offert l’oeuvre digitale de Beeple, livrée par lien sécurisé. Mais comment va-t-il l’exposer chez lui ?


Dans tout ce tintamarre digital, et en admettant même de mettre une seconde de côté la question houleuse du possible financement d’activités criminelles via les cryptomonnaies, on est toutefois en droit de se demander s’il n’y a pas un obstacle plus réel encore, à la numérisation de tout : l’homme lui-même. Car si certains voient dans ce nouveau monde l’apogée du rêve platonicien, celui de l’abdication totale de la matière sous toutes ses formes, d’autres redoutent une humanité perturbée, et attaquée dans son essence : la virtualisation de nos existences amputerait notre propension à se sociabiliser, à se rencontrer, à s’aimer… Et à frimer. Pourquoi s’emmerder à gagner des millions si personne ne sait à quel point on se la colle ? Il faudra peut-être penser à installer une aile spéciale dans sa villa du Ferret avec des écrans plats qui projetteront nos NFT acquis de haute lutte. Ou faire appel à la startup Infinite Objects qui fait justement des « impressions vidéo » avec des sortes de statues digitales, plus classes que des télés, qui comportent au dos un QR code signé par l’artiste. Enfin de quoi décorer son triplex de la Place des Vosges !


Par Tom Connan