BENJAMIN FOURMON : « DEUX SIÈCLES D’ÉLÉGANCE VIVANTE »

Benjamin Fourmon Joseph Perrier technikart

Pour les 200 ans des champagnes Joseph Perrier, son PDG Benjamin Fourmon revendique un héritage familial assumé, une signature d’élégance et un ancrage unique à Châlons-en-Champagne.Interview entre caves gallo-romaines, transmission, écologie et modernisation.

La Maison Joseph Perrier célèbre ses 200 ans. Que représente un tel anniversaire ?
Benjamin Fourmon : Deux siècles, c’est à la fois une chance et un poids. L’histoire de la Champagne est faite de crises, guerres, récessions, Covid, et le simple fait d’être toujours là dit quelque chose de notre résilience. L’héritage familial peut être intimidant : quand on vous rappelle que vous êtes la sixième génération, on ressent une vraie pression. C’est aussi pour cela que j’ai travaillé ailleurs avant de revenir. Aujourd’hui, je me vois comme un passeur : prendre le meilleur de ce qui m’a été transmis, y apporter ma patte, puis transmettre à mon tour. Nous avons constitué une équipe jeune et solide, avec Nathalie à la cave, Agathe, Anthony, un nouveau directeur export et un directeur financier. L’énergie est là pour porter la maison dans son troisième siècle.

Vos caves gallo-romaines sont au cœur de votre identité. En quoi influencent-elles vos vins ?
On peut faire du champagne sans caves gallo-romaines, mais quand on en a, cela change tout. Nous sommes à Châlons-en-Champagne, ville longtemps centrale dans l’histoire du vignoble. Nos caves, creusées dans la craie, offrent une température stable de 11 à 12 °C et jusqu’à 92 % d’humidité, hiver comme été. C’est un outil de travail exceptionnel, qualitatif et écologique. La colline au-dessus, devenue inconstructible, a été replantée en arboretum. Cela protège les caves, régule l’eau et contribue à notre bilan carbone. Ce lieu est à la fois très ancien et d’une modernité environnementale remarquable.

Votre maison est restée familiale depuis 1825.  
Oui, cela change tout. On pense en générations, pas en plans triennaux. On sait à qui on rend des comptes quand on se regarde dans la glace. Ma grand-mère y a beaucoup contribué : c’est elle qui m’a poussé à obtenir un diplôme viticole, avant même que je n’aie l’idée de revenir. La continuité du style vient aussi de la continuité humaine : quatre générations de chefs de cave de père en fils. Aujourd’hui, on écrit un nouveau chapitre dans la même ligne : respecter l’âme de la maison tout en se modernisant.

Le style Joseph Perrier est souvent décrit comme élégant et lumineux. Comment le préservez-vous ?
Le style se construit d’abord dans la vigne. Pour obtenir des vins élégants, il faut des raisins précis. D’où l’importance de la connaissance des sols et de la gestion fine de la maturité. Les caves permettent ensuite d’accompagner ce style sans la moindre brutalité. La continuité vient des équipes autant que des lieux. Dans un marché où certains renforcent leurs profils aromatiques, nous restons sur l’équilibre, la clarté, la finesse. C’est cette sobriété élégante qui rend notre signature reconnaissable.

Vous modernisez certains outils tout en gardant la méthode traditionnelle. Comment cohabitent tradition et innovation ?
Très naturellement. La méthode traditionnelle reste notre colonne vertébrale : prise de mousse , vieillissement sur lattes, travail en caves. Les innovations servent à piloter mieux : organisation, suivi parcellaire, équipements plus précis ou plus sobres. Les caves sont déjà une innovation avant l’heure : elles offrent une régulation naturelle que beaucoup cherchent à recréer artificiellement. Moderniser, oui, mais seulement si cela améliore sans dénaturer.

Votre cuvée Joséphine est devenue un emblème international. Quel rôle joue-t-elle dans ces 200 ans ?
Joséphine, c’est notre carte de visite poétique. Née en 1982 comme un hommage intime, elle est devenue l’icône du style maison. À l’étranger, on nous découvre souvent grâce à elle. Pour les 200 ans, elle fait le lien entre mémoire et présent.

La transition écologique transforme la viticulture. Où en êtes-vous ?
Nous travaillons nos 24 hectares de manière durable, quasiment sans herbicides, avec un vrai soin des sols. Certaines de nos grandes parcelles, isolées, nous permettent d’aller plus loin, jusqu’au bio. Mais la Champagne est très morcelée : avancer demande une dynamique collective. Nous voulons être dans le wagon de tête. Et beaucoup de choses que l’on redécouvre aujourd’hui, nos anciens les maîtrisaient déjà : lire la vigne, agir au bon moment, éviter la sur-correction. On conjugue ce savoir ancien avec des outils modernes.

Comment parler aux jeunes consommateurs, notamment ceux qui découvrent le champagne par la gastronomie ?
En étant sincères. Nous ne sommes pas la maison la plus bruyante, mais notre histoire – Châlons, les caves, l’arboretum, la viticulture durable – résonne avec une génération attentive au sens et à l’origine. Sur les cuvées gastronomiques, nous cherchons la précision et la digestibilité plutôt que la démonstration. Et notre équipe jeune, au quotidien, nous aide à parler juste.

Si vous deviez résumer Joseph Perrier en un mot ?
Famille. Parce que la famille englobe tout : le terroir, la discrétion, l’élégance. Sans elle, nous ne serions probablement pas là 200 ans plus tard.

www.josephperrier.com


Par Lou Madamour
Photo Amara Ait Idir