Ivan Smagghe publie Nul si découvert, un livre arty où se mêlent anecdotes sur le Pulp, la vie parisienne et londonienne des 2000’s, photos mystérieuses et références tous azimuts. Rencontre avec ce DJ phare et avec Antoine Molkhou, DA du Rex Club et éditeur pointu.
Nul si découvert est un « anti-portrait » où tu fais raconter ta vie et ta carrière par l’intermédiaire de photos, poèmes, indices et textes de tes amis. Pourquoi ne pas l’avoir fait toi-même ?
Ivan Smagghe : Parce que je ne voulais pas parler de ma vie directement.
Antoine Molkhou : J’ai proposé à Ivan de faire ce livre pour déconstruire un certain mythe. En regardant l’Abécédaire de Gilles Deleuze, j’ai eu l’envie de lui faire faire la même chose. Comme toujours avec Ivan, il a pris le projet en main pour l’amener vers autre chose.
Ivan : Je voulais éviter à tout prix ce qui est ma hantise : le bouquin de DJ. Ça, ça n’aurait pas été possible.
Ce titre, Nul si découvert, est tiré d’une chanson conçue spécialement pour le livre. La partition est signée Rupert Cross, les paroles sont de Diane Jacuzzi (elle a notamment écrit « Le dernier jour du disco » pour Juliette Armanet). Que souhaitiez-vous dire dans ce livre ?
Ivan : Il y a davantage dans la chanson sur moi que dans n’importe quelle interview. On a choisi ce titre dès qu’on a reçu le texte de Diane, parce que c’était exactement ce que je voulais faire avec ce livre : à travers une multitude de points de vue, raconter ce qui compte pour moi sans l’écrire frontalement.
Antoine : Il y avait des sujets que je voulais absolument voir. Je voulais que soit raconté une partie de son enfance, vécue en collocation avec son père, sa mère et son beau-père, schéma qu’il reproduira trente ans après une ex-petite amie ; qu’on parle du Pulp ; des moments difficiles avec la dope ; de ses amitiés et de ses convictions… Finalement, découvrir un Ivan tel que je l’ai rencontré : moins destroy que ce qu’on en a dit.
Dans son texte, Clovis Goux revient sur ses années au Pulp. Il parle notamment de l’énergie de ce lieu qui l’a transformé. Qu’est-ce que ce texte dit d’Ivan Smagghe ?
Ivan : C’est un des moments pivots dans ma trajectoire. Ce que j’aime dans son texte, c’est qu’il traite du Pulp du point de vue d’un client. Les artistes, on les a entendus dix fois. C’est d’ailleurs assez inintéressant. Il y a un truc de puceau dans son texte. Il parle d’un endroit où il a perdu tant de temps, pour autant c’est là qu’il s’est construit sa trajectoire. Il y a eu un tas de projets de livre sur le Pulp qui n’en finissait plus. On peut dire des choses via des moyens détournés. Ce n’est pas un livre direct. C’est un livre dirigé à la manière d’un film.
Antoine : C’est comme si Ivan avait dirigé des gens sans leur donner de scénario.
Autre intervenant, Philippe Azoury, qui parle de la recherche dans tes sets de l’accident. Fait-on un livre comme on construit un set ?
Ivan : Pour un livre, l’accident n’existe presque pas.
Antoine : On dit qu’il est difficile de travailler avec Ivan mais le grand paradoxe, c’est que tout est maîtrisé. J’ai cru à un moment donné que ça allait partir dans tous les sens, mais pas du tout.
Ivan : Je leur ai simplement précisé la forme. Chloé Raunet, mon ex, il était logique qu’elle parle de la maison dans laquelle on a vécu en colocation pendant plusieurs années. Le texte de Gilb’R (boss de Versatile, ndlr), il était évident que ce soit sur Bizot, car il a compté pour nous deux. C’est un livre très contrôlé finalement.
« TOUS CEUX QUI SONT PASSÉS PAR NOVA ONT EU L’IMPRESSION D’ÊTRE LE FILS PRODIGUE DE BIZOT. »
Que retiens-tu de tes années passées à Nova ?
Ivan : Jean-François Bizot a été dans ma vie très tôt. Mon père était un énorme fan d’Actuel. Inconsciemment, je me suis retrouvé à Nova pour rendre fier mon père, pour rencontrer et travailler avec son idole. Là où on voyait vraiment Bizot, c’était à Nova Mag. J’ai annoté le texte de Gilbert Cohen à la manière de Bizot qui rendait les articles annotés durement. « Enfoiré » était son mot favori. Tous ceux qui sont passés par là ont eu l’impression d’être son fils prodigue, d’Ariel Wizman à moi-même.
As-tu appris à bien écrire à ce moment-là ?
Ivan : Non. Je savais écrire. J’ai été à Science PO, dans la même promo qu’Édouard Philippe – j’avais des meilleures notes que lui d’ailleurs… En revanche, j’ai appris à écrire vite et avec un ton.
Antoine : Je l’ai vu quand il a fallu terminer le livre : le ton d’Ivan a changé, il est devenu très sérieux…
Ivan : Je l’ai peut-être hérité de Bizot : je ne bosse bien qu’avec la deadline. On aurait pu avoir six mois de plus, le bouquin serait le même. Sinon on entre dans le domaine de la littérature. En faisant ce livre, je fais peut-être le deuil d’écrire un roman.
Parce que dans sa conception, le roman t’intéresse moins ?
Ivan : Parce que je n’ai pas le temps. Je suis admiratif des gens qui arrivent à écrire en parallèle de leur vie.
Antoine : La première fois que je rencontre Ivan, c’est à la fin du Pulp. La porte d’entrée était difficile, je venais à l’ouverture pour être sûr de pouvoir entrer. Le mythe d’Ivan existait déjà. Je ne l’imaginais pas avoir cinquante ans un jour, mais je ne suis pas le seul.
Ivan : Je n’aurais pas pris le pari non plus. Maintenant, c’est justement plus intéressant de voir ce récit écrit par d’autres que moi. Les directeurs artistiques des clubs s’intéressent rarement à la littérature. Antoine, si. Il se passe quelque chose au Rex…
Nul si découvert, Dir. Ivan Smagghe, CLASSIC Paris for Rex Club,
160 p., 40€
Par Alexis Lacourte
Photo Axel Vanhessche




