J’AI TESTÉ : FAIRE GRÈVE… À TECHNIKART

grève technikart

Par les temps qui courent, l’odeur chimérique de la grève générale nous chatouille les narines. Mais quid des travailleurs indépendants ? On a testé pour vous.

Mardi 14 octobre. Alors qu’il s’est essoufflé en France, le mouvement contestataire « Bloquons Tout ! » trouve un nouvel élan en Belgique. N’ayant pas les kopecs de me rendre à Bruxelles, je décide d’opter pour une nouvelle solution : la grève, ici et maintenant.

CECI EST UN MAIL AUTOMATIQUE

Et à la maison, la grève, c’est sacré. Mon père, en bon descendant des intellectuels de gauche, se voyait monter au créneau aux côtés de Frédéric Lordon et Thomas Piketty. « Il faut remettre en question le néo-libéralisme. Voire le capitalisme ! » me lançait-il entre deux tartines au chocolat bio. « Vos manifs, tout ça, c’est bien. Mais la seule solution elle est là : la grève générale ». Jusqu’ici, freelance que je suis, je disposais suffisamment de mon temps pour me rendre aux AG et autres rassemblements. Quant à la grève … Je défiais quiconque de m’en citer une importante venant de travailleurs indépendants. Le 26 juin 2025, contre le projet de holding France Média – qui compte rassembler plusieurs entreprises de l’audiovisuel public sous une même entité – une grande partie des équipes de Radio France annonçaient une grève illimitée. De leur côté, 74 pigistes du même réseau indiquaient leur soutien au mouvement, sans pour autant se mettre en grève : « Notre statut de précaire ne le permet pas. »

À Technikart pourtant, une légende circulait dans la rédaction : Découvrant avec choc les écarts de salaires entre la direction et les rédacteurs, un journaliste aurait épinglé sa fiche de paie derrière son bureau. Les résultats de son action contestataire restent mystérieux… Il était temps de marcher dans ses pas. Au réveil, frissonnante, je rédige mon tout premier mail de réponse automatique. « Je vous informe que je suis en grève ce jour, en réponse aux politiques actuelles qui mettent en péril nos droits sociaux, nos conditions de travail et l’avenir commun. Merci de prendre en compte mon absence pour cette journée. » Puis j’hésite. Quelle formulation utiliser pour conclure mon texte ? « Grèvement vôtre » me paraît un peu trop fantasque. Mais le « À bas le patronat » que me propose mon père me semble un chouïa agressif. Pour finir, je me fends d’un « cordialement ». Ils sont gentils ici quand même.

TEMPS PERDU

La journée s’écoule lentement. Isolée, c’est de plus en plus difficile de me rappeler pourquoi je fais tout ça. J’arpente mon studio avec la douloureuse impression de casser les pieds de tout le monde. À plusieurs reprises, je manque de craquer. Ce serait tellement rapide de faire cette petite modification dans le chapo de cette interview avec Flair… Pour passer le temps, je tapote « grève pigistes » dans la barre de recherche. Pas grand chose, à part un article me proposant une solution : faire grève en semaine, quand ça se voit, et rattraper le temps perdu le weekend pour ne pas perdre trop d’argent. Belle trouvaille.

À 16 heures, des nouvelles m’arrivent enfin de la rédaction. Moi qui m’attendais à un « Max à repris ton interview… », je reçois un « On en a pas mal parlé, c’est pour quel mouvement déjà ? ». Affalée dans mon canapé, je me dis que faire grève en tant qu’indépendant, c’est à mi-chemin entre le manifeste et le sacrifice. C’est poser un doigt d’honneur tout mou au système, dans l’indifférence quasi-générale. Mais c’est aussi, peut-être, le début de quelque chose.

PS : Comme dirait mon papa, pensez à vous syndiquer. Bisous.


Par
Adèle Thiéry