Worakls : « Métal & Neo Classique »

Worakls

Avec son second album, Worakls veut s’imposer comme compositeur, quitte à prendre le costume de Mozart. Rencontre avec lui sans son orchestre symphonique.

La musique électronique est un socle pour tes expérimentations rock, classique ou pop. Es-tu davantage compositeur que DJ ?
Worakls : Oui, complètement. D’ailleurs, je ne sais même plus mixer. Le cœur de mon projet est une interrogation à propos du renouvellement de l’écriture orchestrale. Elle a été modernisée pour une musique de l’image – au cinéma, dans la publicité ou dans les jeux vidéo. Mais en elle-même, son renouvellement depuis Pierre Boulez a été très abstrait. La musique polyrythmique ou atonale ne me parle pas, je pense même qu’elle n’aide pas la musique orchestrale à se développer. Or, je n’ai pas envie de laisser mourir la musique orchestrale, car elle est un vivier de possibles stylistiques immense. 

Tu contribues à une vague d’artistes pluriels, allant des Daft à Floating Point, qui utilisent non seulement la musique électronique comme base pour des expérimentations rock ou pop, mais aussi s’intéressent aux formes plus classiques de la musique.
Je ne prétends pas être un pionnier du genre. C’est d’ailleurs l’album symphonique de Metallica (Symphony and Metallica, ndlr) qui m’a inspiré cette idée. Ce que j’aime, c’est écrire. Un violon, c’est un synthé. Mon premier orchestre, je l’ai créé en 2014. Depuis 2019, l’orchestre m’accompagne pour le maximum de concerts possibles.

Comment s’organise le processus de création avec ton orchestre ?
J’écris les partitions pour chaque musicien. Ensuite, on ajuste, car ce sont eux les spécialistes. En ce qui concerne les solistes, on discute ensemble de la composition. Je conçois mes lives comme si chacun d’entre eux était une partie de moi. Une guitariste représentera mon côté métal, la violoniste sera ma partie classique, etc.

Dans ce nouvel album, il y a un featuring avec Carl Cox, dans lequel il chante. Votre rencontre ?
Il y a quelques années, il est venu me féliciter à la sortie d’un set pour un festival allemand où je jouais juste avant lui. Il m’a dit que mon show était très réussi et qu’il en a été plutôt surpris parce que ma formation live est périlleuse. J’ai été tellement surpris et heureux. Carl a toujours été pour moi le DJ pour lequel j’ai une grande admiration. De cette rencontre, on s’est proposé mutuellement de travailler ensemble.

L’idée à l’origine de ce morceau ?
Il a commencé par faire une basse, une ambiance techno dans laquelle je m’inscris complètement et sur laquelle on a ajouté des bois et l’orchestre. Ensuite, je lui ai proposé de chanter dessus. Dans le morceau, il parle de pousser les limites de la musique électronique, ce qui me correspond bien. On partage par ailleurs tous les deux l’idée selon laquelle l’industrie musicale contemporaine est contaminée par trop d’éléments extérieurs à la musique – le marketing, les réseaux sociaux, les visuels… C’est bizarre. Je suis en pleine sortie d’album et j’ai l’impression que la musique ne compte que pour 10 %. C’est notre époque, on n’est pas en colère, mais on s’inscrit dans autre chose.

C’est pourtant la première fois, avec ce second album, que tu utilises une photo de toi pour ta pochette.
Pour beaucoup de gens, la musique électronique équivaut forcément à DJ. Ce n’est pas ce que je fais. Je joue mes morceaux depuis quinze ans. Je suis un compositeur, également un chef d’orchestre par la force des choses. Ma pochette intervient pour faire comprendre cela.

« JE ME DEMANDE : COMMENT MOZART SE SERAIT-IL HABILLÉ AUJOURD’HUI ? »

 

Dans un style Renaissance, tu défends finalement une perspective très historique de l’idée du compositeur.
Au travers de l’image, oui, je veux retrouver cette idée. Même si je ne me compare pas à lui, je me suis demandé comment Mozart aurait pu s’habiller aujourd’hui. C’est très romantique, mais je le suis. Quand je pars en tournée, je lis des poèmes dans l’avion. J’ai des statues dans mon jardin. Sur mon piano, il y a des peintures de scènes galantes. Bref, c’est moi. Mais je m’inscris tout de même dans la modernité, c’est une forme de second néo-classicisme. C’est l’exigence et l’élitisme musical de cette période que je veux apporter à la nôtre, quitte à la simplifier.

Tu as sorti un projet sur Beethoven en 2021 pour Deezer. Est-il une figure décisive pour toi ?
Reprendre de tels compositeurs a toujours été une ligne rouge difficile à franchir, parce qu’ils sont sacrés. Ce qui m’a convaincu, c’était de prendre cette occasion pour me plonger dans tous les détails de la Symphonie n°9 et tout retranscrire.

Qu’en as-tu compris ?
Que c’est beaucoup de technique. Une immense architecture dans laquelle tout a un sens. Il m’est arrivé de lever les mains, comme si la lumière du ciel tombait sur les partitions et de prendre la mesure de la beauté que j’étais en train de contempler. Dans mon album, il y a des influences d’écriture classique en quantité. L’ouverture de « Furia Electronica », un morceau foncièrement dubstep, démarre par une écriture champêtre pour trio à corde.

Tu as mis plusieurs années à le terminer. Ce second album a-t-il été compliqué à composer ?
Très. Je donne en moyenne cent concerts par an et j’ai une petite fille. J’ai changé de label, en passant de Deca Records à Polydor. Entre-temps, je ne refuse pas ce qu’on me propose. En 2014, j’ai fait dix-sept zéniths, l’ouverture du Festival de Cannes avec Camille Cottin… Il y a eu des documentaires, des films, des conférences et la création d’un festival avec Hugo Clément (l’Ocean Fest, ndlr)

As-tu eu envie de ralentir ?
Oui et non. Plus tu évolues, plus on te propose des projets intéressants. On est par ailleurs une bande, avec les tourneurs, les managers et les musiciens, si je tourne moins, ils travaillent moins aussi. Et puis, je reste méfiant, ça fonctionne aujourd’hui, mais est-ce que ça fonctionnera demain ? Je n’en sais rien. Alors je fonce !

From one blink to another, Polydor


Par Alexis Lacourte

Photos Axel Vanhessche
Makeup Elisa Roux
Full look Tod’s