Entre une mélancolie planante et une énergie unique qu’il puise dans ses racines ivoirienne, Jeune Morty signe à 23 ans Éponyme, une quête personnelle sous forme de recueil musical. Interview.
Après avoir été longtemps attendu, ton projet Éponyme est enfin sorti, comment tu te sens ?
Jeune Morty : Tellement bien, c’est une bénédiction que les gens puissent l’écouter, le critiquer et en parler. On a pris notre temps et je pense que tout le monde en est fier !
Tu te rappelles dans quel état d’esprit tu étais à la genèse du projet ?
C’était le chaos, une période vraiment instable pour moi et je faisais de la musique pour la cristalliser. Tout a pris forme de manière organique, j’ai rencontré mes beatmakers, Viking et Silverknight. On ne se connaissait pas du tout, mais on s’est mis à créer ensemble, spontanément. C’est ça, Éponyme, un disque fait d’instants qui retrace la quête vers l’épanouissement personnel et la reconnaissance.”
Éponyme est porté par toutes tes références. C’est un projet très visuel, où ton univers devient presque palpable.
Ma musique s’est construite autour d’une mosaïque de souvenirs. Mon enfance en Côte d’Ivoire, le salon de coiffure de ma mère, les tantes, la musique ivoirienne, les battles de coupé-décalé et de zouglou torse nu avec mon cousin. La télé avec les feuilletons de là- bas et les telenovelas de ma mère. Moi, j’étais scotché à Disney Channel avec : Les Sorciers de Waverly Place, High School Musical, Les Jonas Brothers et Justin Bieber, qui me donnait envie de devenir une popstar. Puis l’arrivée en France, l’adolescence en banlieue, les codes de la cité, les bagarres et les grecs… sauf que je portais des Jordan 4 quand tout le monde avait des TN.
La culture ivoirienne occupe une grande place dans ton univers…
Oui, bien sûr, j’ai grandi dans le Djula, le dialecte de chez moi, au milieu d’un vrai cocon familial. La Côte d’Ivoire, c’est un melting pot : on prend ce qu’on aime ailleurs et on le rend ivoirien, surtout dans la musique. Et puis il y a l’énergie unique d’Abidjan, les makis, la fête, les marchés… J’y étais encore le mois dernier pour un show, c’était incroyable.
Quelle est ta routine quand tu es à Abidjan ?
Je me lève, j’ouvre les fenêtres, j’écoute les oiseaux, je respire l’air chaud, je fais un masque. À dix heures, je mange un attiéké-poisson. J’attends mon gars Axel, il débarque dans une voiture de fou, et on va au marché : choper les dernières pièces fraîches, tout ce qui nous tape dans l’œil. Sentir l’ambiance, blaguer avec les gens…ça tient éveillé.
Ton écriture est très imagée, directe et empreinte de poésie.
C’est marrant parce que je n’écris jamais. Je vais devant le micro et ça sort, c’est comme si je vivais ce que je racontais, en temps réel. Enregistrer est un moment de transe : les images figées dans ma tête se transforment en mots, en mélodie, en gimmick et ça crée une explosion de couleurs sonores.
Quels sont les artistes qui t’inspirent dans ce sens-là ?
J’admire ceux qui se réinventent tout au long de leur carrière. Des figures comme les Red Hot Chili Peppers ou encore David Bowie, qui n’a cessé d’évoluer en poussant toujours plus loin les curseurs de sa créativité. Et bien sûr, la Jet Set ivoirienne et Douk Saga, créateurs du coupé-décalé, wqui ont su porter leur énergie et leur vibe comme un étendard pour diffuser leur vision et leur lifestyle.
Dans la mode aussi ?
Bien sûr, silhouettes élancées, pièces cintrées. C’est ce style-là qui m’a toujours parlé. Je vois la mode comme le fait de décorer sa silhouette.
Que ce soit en live ou en studio, on te sent très expressif dans ta manière de bouger et de chanter. Quel est ton rapport à la scène?
Sur scène, j’ai un déclic presque animal, les sens s’aiguisent, je ressens chaque beat. C’est électrique, cet échange d’amour pur avec le public. Plus tard, je veux que ce soit normal de voir Jeune Morty retourner le Rolling Loud ou Coachella.
On perçoit une véritable émulation autour de ta musique. Beaucoup disent percevoir chez toi quelque chose d’unique, qu’ils cherchent depuis longtemps. Comment vis-tu cette effervescence ?
Je la ressens depuis des années moi-même. C’est-à-dire que le fait d’exposer ma musique et qu’elle parle à certains est un accomplissement immense…mais, je suis un éternel inaccompli, je suis rarement sûr de moi. Je fais juste des erreurs qui finissent par créer de belles choses, parce qu’il n’y a que comme ça que je me sens vivant. C’est ça être organique…”
Après Éponyme, tu travailles déjà sur ton premier album, Jeune Morty… Est-ce une poursuite de ta quête d’identité ?
Pour moi, les deux sont liés : oui, c’est la quête de mon identité, une continuité naturelle de mon cheminement, mais je veux que ce lien reste instinctif, libre à l’auditeur de le ressentir ou pas. Éponyme est un recueil, cet album sera une vraie déclaration…
Par Max Malnuit
Photo Pierre Cathala
Stylisme Cikotheque & Levi Mankessi