Dix ans après sa création, Urban Art Fair redéfinit l’art urbain. Plus internationale que jamais, l’édition 2025 de Yannick Boesso explore le street art sous toutes ses formes, du hacking urbain au muralisme. Interview street art.
Vous êtes passé de l’industrie musicale à l’organisation d’expositions et avez fondé Urban Art Fair en 2016. Comment l’événement a-t-il évolué ?
Yannick Bosseo : En 2016, l’art urbain connaissait un vrai boom, dix ans après les premières ventes aux enchères chez Artcurial. Le marché se structurait et nous voulions réunir les galeries et artistes liés à cet écosystème, ce qui n’avait jamais été fait. Au départ, l’objectif était de montrer un large éventail de l’art urbain. Aujourd’hui, nous tendons vers une approche plus contemporaine. L’évolution du salon, c’est aussi celle de notre vision. On ne se contente pas d’accueillir ce qui vient à nous, nous cherchons vraiment des projets qui nous ressemblent. Cette année, le salon est plus international que jamais : sur 42 exposants, 11 pays représentés. Et surtout, 50 % de nouvelles galeries. Se réinventer est essentiel, et après presque dix ans, nous sommes moins dépendants du marché et posons nos propres choix.
Quelle est votre vision de la foire ?
Il s’agit d’élargir la façon dont on identifie aujourd’hui l’art urbain. C’est vraiment l’art dans la ville, et la ville comme une œuvre d’art également. Réfléchir également à une forme architecturale à intégrer à notre salon. Sans oublier le hacking urbain, c’est-à-dire utiliser le digital dans l’espace public.
L’art urbain est par nature éphémère et spontané. Comment capter cette énergie dans un cadre comme une foire ?
Certains murs commandés, appelé le « muralisme », restent dans le patrimoine. Ces fresques ont de moins en moins vocation à être repeintes, puisqu’elles représentent de gros budgets. En salon, en huis clos, il faut donner des clés de compréhension au public. Comme le dit Nicolas Laugero-Lasserre, dans ce passage entre la rue et le studio, on se demande : qu’y perd-on ? Qu’y gagne-t-on ? L’artiste a-t-il perdu l’aspérité, le contexte ? Ou au contraire, a-t-il trouvé une forme d’intemporalité en travaillant en atelier ? Il n’y a pas de règle, c’est subjectif. Je me pose moi-même la question: l’œuvre studio d’un artiste issu de la rue devient-elle intemporelle ? Si oui, pourquoi ?
Allez-vous dans la rue pour dénicher les artistes ?
Pas vraiment, je passe plutôt par les réseaux sociaux et les expositions. Ce que je regarde le plus, c’est plutôt le graffiti, les tags, ce qu’on croise au détour d’un chemin, souvent d’artistes méconnus, mais talentueux. Mais pour le marché de l’art, ce n’est pas comme de cette façon qu’on sélectionne la plupart du temps. Néanmoins, il y a un contre-exemple intéressant : Agnès B., une pionnière. En 2016, pour Urban Art Fair, elle a demandé à ses équipes de retrouver un artiste qu’elle avait vu dans la rue six mois plus tôt : Kraken, qui fait des pieuvres. C’est lui qu’elle a présenté. Donc ça arrive, mais cela reste rare. De notre côté, nous suivons les artistes et les galeries sur le long terme, notamment via les réseaux sociaux, qui sont devenus un outil incroyable pour partager et faire connaître l’art urbain.
La thématique de cette année semble être le mélange, entre Miami, L.A, Singapour, Montgomery, l’Europe…
Oui, nous collaborons avec le ministère de la Culture de Singapour, qui fait venir dix artistes. Nous travaillons déjà avec eux depuis un moment, et il est probable qu’on organise Urban Art Fair là-bas. Il y a aussi une délégation de Montgomery, en Alabama, ville clé des droits civiques aux États-Unis. Urban Art Fair présente un grand mur de 20 mètres avec une curation d’artistes que j’ai découverts à Montgomery. J’y vais depuis trois ans pour accompagner des artistes en muralisme, et cette année, c’étaient les Monkey Birds. On y réalise aussi des films documentaires qu’on présente ici. Nous reçevons des artistes majeurs, des galeries avec lesquelles nous n’avions jamais travaillé. C’est la découverte.
Banksy vous a-t-il inspiré pour Urban Art Fair Paris ?
Son film, Faites-le mur, m’a marqué. Il montre comment on peut créer un artiste et vendre n’importe quoi avec les bons prescripteurs. C’est une prise de conscience réussie, portée par un génie dont l’art fait réfléchir. Ses œuvres, souvent sociales, rendent l’art urbain accessible et percutant, à n’importe qui, à n’importe quel prix. Ça a été un déclencheur pour moi , j’ai eu envie de creuser plus loin.
Le Carreau du Temple est le lieu historique de la Foire, qu’apporte-t-il à l’événement ?
La Foire a aussi eu lieu à New York en 2017 et sous d’autres formats, mais le Carreau du Temple est notre ancrage. On y est arrivé peu après sa réouverture, donc on a grandi ensemble. Ce lieu a une vraie âme : ancien marché, vestiges templiers, architecture remarquable… Et surtout, il offre une lumière naturelle, fait rare pour une foire. Certes, cela complique parfois l’éclairage des œuvres, mais leur confère du caractère. C’est aussi un lieu qui nous a aidés à structurer notre modèle, grâce à son expérience des foires et son réseau de partenaires.
Avez-vous envisagé un autre lieu ou un format itinérant ?
Je veux garder cette implantation au Carreau du Temple, elle a du sens. J’ai pensé à un format plus grand, comme le Grand Palais, mais ce n’est pas d’actualité. En revanche, l’objectif est d’exporter Urban Art Fair à l’international, à Singapour, Miami ou ailleurs, d’ici deux ans.
Quelle place occupe la scénographie dans cette 9e édition ?
Comme le disait Marcel Duchamp, la manière dont on présente une œuvre conditionne sa compréhension. L’art urbain est un art contextuel : il faut savoir recréer des ambiances sans tomber dans le cliché des briques et de la rue. Chaque année, les exposants travaillent davantage la mise en scène, et nous avons vocation à les accompagne dans cette démarche. Cette année, la Galerie Belge Buronzu expose Danny Cortes, un artiste new-yorkais spécialisé dans les décors de théâtre et les miniatures urbaines. Leur stand sera une reconstitution d’une station de métro de Bushwick, un lieu emblématique du graffiti à Brooklyn. Nous avons aussi joué avec les couleurs et les fonds , pour encourager les galeries à ne pas se limiter aux murs blancs ou noirs. Certains exposants vont encore plus loin, intégrant des éléments immersifs. Imaginer de belles scénographies fait partie des choses les plus importantes à l’Urban Art Fair.
« DANS 50 ANS, L’ART URBAIN SERA INCONTOURNABLE SUR LE MARCHÉ DE L’ART CONTEMPORAIN. »
Les collectionneurs d’art urbain ont-ils changé en dix ans ?
Le profil des collectionneurs a évolué, mais certaines constantes demeurent. Comme dans l’art contemporain, l’âge moyen des acheteurs se situe entre 30 et 50 ans. Ce sont souvent des professions libérales, des entrepreneurs, ou encore des couples qui partagent cette passion. L’accessibilité financière joue un rôle clé : le panier moyen des œuvres se situe entre 2000 et 8000 euros. Avec des solutions comme le leasing, l’achat d’art est devenu plus accessible aux professionnels, qui peuvent l’intégrer à leurs investissements. Il faut aussi distinguer deux types de collectionneurs : ceux qui viennent de l’art contemporain et diversifient leur collection, et ceux qui sont exclusivement tournés vers l’art urbain.
Quelle est sa place sur le marché de l’art ?
L’art urbain prend une place de plus en plus importante et, dans 50 ans, il sera incontournable. Il est ancré dans une époque et une culture – hip-hop, propagande, street culture – qui le rendent identifiable et marquant dans l’histoire de l’art. Aujourd’hui, il occupe une place intermédiaire sur le marché, avec quelques ventes marquantes chez Sotheby’s ou Christie’s, mais encore peu fréquentes. Aux États-Unis, il n’existe pas vraiment de ventes aux enchères dédiées à l’art urbain, contrairement à la France où des figures comme Arnaud Oliveux et la maison Digard ont structuré un marché plus actif. À l’international, en dehors des grands noms comme Banksy, Haring ou Basquiat, les maisons de ventes restent prudentes, laissant le marché évoluer naturellement.
Urban Art Fair Paris, du 24 au 27 avril, 4 rue Eugène Spuller, Paris 75003
Par Raphaël Baumann