MORY SACKO MEETS YOUSSOUF FOFANA

Mory Sacko meets Youssouf Fofana

L’un a créé le plus bel établissement étoilé du 14e, l’autre est la tête pensante de la Maison Château Rouge, les deux sont des génies du crossover stylé. Technikart les a réunis pour un dialogue autour d’un café. Au menu : création, transmission et… l’art de la collab’.

Nous sommes ici chez Mory Sacko* et le maître des lieux nous a servi son café, Le Zambia. La Zambie t’inspire-t-elle, Youssouf ?
Youssouf Fofana : C’est amusant, parce que je travaille en ce moment sur une collection, et le point de départ pour les couleurs, c’est un maillot vintage de la Zambie. On a tiré ce fil et construit toute une gamme colorée à partir de là, ce qui a donné toutes les nuances de la collection. Mais ça s’est fait spontanément, ce n’était pas du tout calculé…

Et tu t’y connais en café, Youssouf ?
Y.F. : J’ai appris quelque chose : là où l’on cultive du café, il faut aussi faire pousser du cacao. Il doit y avoir une culture mixte pour que cela fonctionne.

Avant ta collab’ avec Nespresso, Mory, quel était ton rapport avec le café ?
Mory Sacko : C’est assez récent. Avant, j’en buvais à peine, et toujours sucré, donc ce n’était pas vraiment du café. Grâce à cette collaboration, j’ai pu en découvrir plus sur le sujet. Et quand j’ai ouvert mon premier restaurant (Mosuke en 2020, ndlr), je m’y suis mis pour ne pas passer à côté de quelque chose d’important. Aujourd’hui, j’en bois seulement deux par jour : un le matin et un l’après-midi.

On imagine que tu reçois énormément de propositions pour développer ton restaurant, aussi bien en France qu’à l’international.
M.S. : Bien sûr, et il ne faut pas tout refuser, certaines propositions sont vraiment intéressantes : j’ai ouvert pas mal de pop-ups, surtout l’été, ce qui me permet de tester de nouvelles choses. Mais pour la partie gastronomique et pour Mosuke, qui est la cuisine la plus personnelle que je fais, on a pris le chemin inverse. Entre l’ouverture du restaurant en septembre 2020 et aujourd’hui, on a d’ailleurs supprimé dix couverts. On a réduit la capacité pour gagner en précision, en qualité de service et en suivi client, afin d’aller encore plus loin dans l’expérience qu’on propose…

Mosuke, ton restaurant étoilé, serait l’équivalent de la haute couture, et les pop-ups etc, de collections plus accessibles…
M.S. : En tout cas, je me sens bien avec ces deux formats. Pour moi, l’essentiel, c’est de préserver le restaurant gastronomique. Peu importe où on sera demain, l’idée restera la même : un restaurant volontairement petit, où l’on pousse l’expérience au maximum. Ensuite, ce qu’on fait ici nous inspire pour proposer des choses à plus grande échelle, avec des volumes plus importants et des prix plus accessibles. Je n’ai pas envie de cuisiner uniquement pour 20 personnes par jour, j’ai envie que ma cuisine touche un maximum de monde.

« UNE BONNE COLLABORATION, C’EST UNE QUESTION DE RESPECT MUTUEL. » – YOUSSOUF FOFANA

 

Youssouf, tu es énormément sollicité, toi aussi, pour participer à des collabs’. Quel est pour toi le secret d’une collaboration réussie ?
Y.F. : C’est avant tout une question de respect mutuel. Quand une grande marque approche un jeune designer ou une plus petite structure, il faut qu’elle le fasse avec considération pour son univers et son identité. Il ne faut pas transformer l’artiste, ni l’orienter vers quelque chose qui ne lui ressemble pas juste pour des raisons commerciales. Laisser au créatif la liberté d’exprimer pleinement son art, c’est souvent là qu’on obtient les plus belles collaborations.

Mory, tu suis le travail de Youssouf depuis longtemps. En quoi sa marque était-elle une inspiration pour toi ?
M.S. : Depuis toujours, il fait ce qu’il veut, à sa manière, avec une vraie direction dans son travail. Il incarne une certaine vision de Paris et de la France, et c’est fort d’avoir des ambassadeurs comme lui. Avant d’être connu, je suivais déjà ce qu’il faisait et je portais sa marque avec fierté. D’un point de vue de la représentation, c’est important, mais aussi du point de vue purement créatif : il réussit à mélanger notre héritage d’Afrique de l’Ouest avec la culture occidentale. Ça se fait intelligemment, sans compromis, et c’est inspirant.

Et Youssouf, que représente Mory pour toi ? 
Y.F. : Tout pareil, les mêmes mots, la même ponctuation ! Je pense que c’est aussi ce qui nous a fait nous connecter rapidement. Tu parlais de représentation : pour moi, l’enjeu est de réinventer et de montrer une nouvelle vision de la France. Historiquement, l’art de vivre français et le luxe sont très liés à Versailles et à Louis XIV, puis après la Seconde Guerre mondiale, à l’image que de Gaulle a soutenue. Aujourd’hui, en tant que jeunes ayant grandi ici, on veut aussi laisser notre empreinte. Nous sommes fiers d’être Français et de notre parcours. La mode et la gastronomie sont des industries qui façonnent la France et son rayonnement international, et des personnalités comme Mory en sont des fers de lance. Je suis fier de lui, je me reconnais en lui, et ça inspire la jeunesse.

Et le Café Maison Château Rouge, c’est pour quand ?
Y.F. : Tu parles du produit ou du lieu ? (Rires.) Le lieu, je l’imagine facilement : un mix entre un café très traditionnel parisien et des touches inspirées du quartier, qui est vivant et riche en éléments graphiques. Il s’agirait de synthétiser ces influences. Pour le café en lui-même, ce serait un café qui n’a pas le goût du café… comme ça, je peux le boire ! En fait, ce serait un thé à la menthe avec une petite pointe de café !

Et sinon, les ingrédients d’un café Maison Château Rouge ? 
M.S. : Latté, lait de coco, un peu de sirop d’érable, une épice… un vrai café parisien revisité.

Maintenant, il faut un nom ?
(Les deux ensemble :) : Le Château Rouge !

Youssouf, en ce moment, tu investis l’ancien immeuble Tati pour y créer un Grand Magasin Éphémère. Quel est le secret selon toi pour bien recevoir ?
Y.F. : J’ai beaucoup appris sur ce sujet. Je n’avais jamais vraiment formalisé cette idée, mais ce qui compte pour moi, c’est la sincérité dans l’accueil. Même avec des maladresses, l’important est d’avoir une véritable intention humaine envers les gens qu’on reçoit. Mettre des mots là-dessus permet de mieux transmettre cette vision à nos collaborateurs pour qu’ils l’intègrent pleinement. Et la transmettent à leur tour…

*Mosuke par Mory Sacko – 11 Rue Raymond Losserand, 75014 Paris & Mosugo Paris 14 par Mory Sacko – 22 Rue Raymond Losserand, 75014 Paris

Grand Magasin Éphémère par Youssouf Fofana (anciennement Tati Barbès), 2 Boulevard Marguerite de Rochechouart, 75018 Paris


Entretien Adrien Wasser, Gabrielle Langelvin & Laurence Rémila
Photos Basile Bertrand