MODE D’EMPLOI : LE CLUBBING INCLUSIF

Mode d'emploi Le Clubbing inclusif

Chaque vendredi soir, vous vous demandez comment éviter les mix ringards, les camarades de teuf barbants et des entrées au prix fort pour une ambiance irrespirable ? Notre reporter night est partie à la recherche des nouveaux lieux du clubbing inclusif. La fête sera mixte ou ne sera pas.

Légende photo : DISCO, I’M COMING OUT_ La Philarmonie de Paris dédie une exposition à l’avènement des musiques électroniques des années 1970. Les boules à facettes illuminent la scène downtown de NewYork, comme ce cliché du Paradise Garage, l’une des premières boites à se consacrer uniquement à la danse, prise par Bill Bernstein en 1979.

Quand on pense teuf électronique, c’est tout un univers nocturne libre, interlope et accessible qui s’ouvre à nous. Ses ancêtres, Rave et Free Party, y sont pour beaucoup dans cette image, d’autant que ses créateurs n’avaient rien du rich white male. Habitants du ghetto de Detroit, Latinos ou Queers, ils ont créé une musique revendicative et communautaire, ainsi que les lieux de vies parallèles pour les accueillir. Quelque 50 ans plus tard, la Philharmonie de Paris rend hommage au dancefloor festif et politique avec son exposition « Disco ». La scénographie, toute en néons et paillettes, parcourt l’histoire de cette musique, de sa naissance dans les mouvements activistes des années 1970, jusqu’à son déclin dans les labels commerciaux quelques années plus tard.

Pourtant, la fête n’est pas finie. Le 17 janvier dernier, c’était l’opening du Mia Mao, à la Villette. Aux commandes, Arnaud Perrine, également propriétaire du Kilomètre 25 et du Glazart, aussi situés dans le 19e arrondissement. Il s’est fait accompagner à la DA du DJ Electric Rescue, figure de la techno parisienne, pour présenter 3000 m2 de dancefloor dans un ancien entrepôt de peau à cuir. Objectif ? « Redonner à Paris son statut de capitale des nuits électroniques ». Les créateurs du lieu revendiquent l’influence berlinoise, notamment pour leur politique anti-photographie. Pissotières à l’extérieur, davantage de toilettes pour les filles à l’intérieur, bus pour se faire tatouer, et set de près de 4 heures par Laurent Garnier pour son opening, le lieu peut accueillir jusqu’à 2300 personnes – le record de la capitale. À Paname, le clubbing se réinvente. Plus soigné, plus spontané mais aussi beaucoup plus inclusif ? Nous sommes allés à la rencontre des nouveaux acteurs de la disco parisienne. Voici leurs cinq règles à graver sur les platines.

01. PROGRAMMATION, MON AMOUR

« On répond tout simplement à différents goûts ! ». Pour Renaud Barillet, directeur de La Bellevilloise et de Dock B entre autres, c’est par la pluralité des programmations qu’on multiplie les profils dans le public. « Si on mêle des programmations exigeantes et des contenus populaires et simples d’accès, on réunit et stimule la curiosité. » Pour certains, afficher cette ouverture aux styles, aux idées et aux origines est un parti pris politique. À la Direction artistique du Virage, Rag choisit de booker des profils d’artistes, qu’ on n’a pas « vus et revus », pour ne pas avoir un public trop uniforme : « Si on programme des artistes déjà affiliés à une communauté, on peut être sûr que celle-ci va les suivre. On peut faire une soirée pop avec une musique très large, si c’est un collectif gay qui le fait, ils vont drainer un public gay. »

02. TRANSPARENCE TOTALE

La musique électronique a ceci de particulier qu’elle est à l’origine une protestation. « Elle réunissait des communautés qui ne trouvaient pas leur place dans les cadres existants », rappelle Tommy Vaudecrane, président de Technopol. « Avec sa démocratisation, cette musique a infiltré les lieux de fête plus normés. On ne sait plus exactement où on met les pieds : on a besoin de transparence de la part des établissements et des organisateurs ». En bref, il faut pouvoir être conscient de ce qu’on va avoir en termes d’accueil, de services, de publics. D’autant que certains événements n’ont pas vocation à devenir mixtes. Pour Rag, DA du Virage, « il y a évidemment un entre-soi recherché. Quand je fais les Wet For Me, le public est majoritairement lesbien. Et je tiens à ce qu’il le reste. »

03. ALL ACCESS GRANTED

La démocratisation des musiques électro n’entraîne pas à elle seule la mixité sociale. Tommy Vaudecrane explique : « Depuis 35 ans, naissent de gros lieux de divertissement, avec une offre de musique électronique généraliste, des DJ qui coûtent très cher, où on vend des tables, des bouteilles ». Il faut des clubs engagés, faciles d’accès, et une politique tarifaire. Ce qui ne se fera pas sans l’aide d’acteurs publics, administratifs et institutionnels selon Renaud Barillet : « Économiquement, il serait judicieux qu’une vraie politique publique de la culture considère les lieux festifs musicaux et dansants qui font état d’un véritable engagement artistique, dont le modèle est précaire ». On en est encore loin : en décembre, notre ministre de la Culture Rachida Dati était au Mazette – péniche électro du quai de la Rapée, dans 12e arrondissement – pour annoncer son nouveau label Club Culture, qui soutient les « lieux d’expression artistiques et de fêtes » accessibles, paritaires et qui luttent contre les Violences Sexistes et Sexuelles.

04. CLUB AUGMENTÉ

Pour Renaud Barillet, la solution se trouve dans les « lieux territoires », qui croisent le live, le bar, la restauration… Une manière de mélanger des personnes venues assister à un concert, et celles venues se retrouver, s’amuser autour d’un verre. « On doit aller au-delà de l’idée du simple club. La diversité d’offres entraînera la diversité des publics ». Du côté d’Alexis Stark Bears, photographe des clubs parisiens, c’est la multiplication de lieux de fête qui est importante. « On a un peu toujours l’image de l’entrepôt un peu cracra, hérité des free party. Mais parmi tout le panel de lieux et d’organisateurs qui proposent différentes expériences, on trouve à la fois Furtive, qui va proposer des soirées dans des lieux surprises, nichés en banlieue. Et de l’autre côté du spectre, Essaim, le club du 10e, propre et carré. »

05. SÉCURITÉ ET LIBERTÉ

Reste un éléphant dans la salle : quid de la sécurité en club ? « Les personnes en charge de la sécurité d’un lieu ne sont pas toujours formées à la diversité du public, souligne Alexis Stark Bears. Ce sont pourtant des problématiques qui se posent pour les personnes transgenres ou les publics queer ». Par contre, certains marqueurs existent, comme le label international nommé ISO 20121, qui témoigne d’un engagement écologique et social. Une éducation est nécessaire aussi du côté des publics d’après le photographe. « Il faut une charte sévère sur les comportements à risques, que ce soit hurler sur tous les drops, bousculer, être trop drogués ou le consentement. C’est quelque chose qui peut paraître logique pour certains, mais ce sont des comportements que je vois tous les weekends ». Approche plus transversale de cette sécurité, les Conseils de la Nuit réunissent depuis 2014 des associations (de riverains, de pro’, de prévention), des professionnels du milieu, et des acteurs spécialisés (transports, sécurité, culture) pour encadrer au mieux la ville nocturne. Alors, on danse ?


Par 
Adèle Thiery