FRANCINE DEROUDILLE : « UN PHOTOGRAPHE DÉSOBÉISSANT »

Francine Deroudille

Insouciance de l’enfance, naissance de la publicité en couleur, momentum artistique et littéraire, l’œuvre photographique de Robert Doisneau est à découvrir au Musée Maillol. Rencontre avec la co-curatrice de l’exposition, sa fille Francine Deroudille.

Robert Doisneau a exposé ses photos aux États-Unis dès les années 1950, bien plus tard en France. Comment l’expliquez-vous ?
Francine Deroudille : À New York, le musée d’art moderne MoMA se dote d’un secteur photographique très tôt, qui manque au Centre Pompidou lors de son ouverture en 1977. Mon père s’est fait remarquer par Edward Steichen, formidable éditeur qui vécut à Paris et connaissait bien les photographes parisiens pour lesquels il éprouvait une affection particulière. C’est lui qui l’a amené aux États-Unis.

Votre père racontait que s’il n’avait pu faire que de la couleur, il aurait oublié le noir et blanc. Mensonge ou vérité ?
Mon père était le roi de la pirouette. Bien entendu, ce n’était pas vrai. Il disait qu’une des qualités essentielles pour un photographe, c’était la désobéissance. J’ai travaillé pour beaucoup de photographes, à l’agence Rapho. Si cette génération avait choisi le noir et blanc, c’était pour des raisons économiques, non esthétiques. Dès qu’ils avaient la possibilité de faire en couleur, c’est-à-dire s’ils avaient une commande pour un magazine américain, ils travaillaient en couleur.

En parcourant l’exposition au Musée Maillol, on remarque qu’il a travaillé ses photographies comme un cinéaste ses séquences. Rêvait-il de 7e art ?
Il a travaillé pour Tavernier, qui lui avait demandé de faire les carnets de croquis du tournage du film Un dimanche à la campagne.

C’est tout ?
On a voulu montrer que dès les années 1930, il rêve de cinéma. C’est quelque chose qu’on remarque tout particulièrement dans la séquence « 14 juillet, rue des Canettes » : il a photographié cette rue alors populaire toute une journée où un bal devait s’y tenir le soir. Si la Fémis avait été créée plus tôt, il y serait entré !

Dans les années 1930, il travaille pour Renault. Quel était son rapport à la photographie publicitaire ?
Il avait classé l’ensemble de ses photos publicitaires dans un dossier qu’il a appelé : « Niaiseries publicitaires ». Pour autant, il essayait chaque fois de trouver un dérivatif pour en faire quelque chose d’amusant. C’est son caractère, il arrive toujours à faire une pirouette pour traiter son sujet avec humour. En cela, son œuvre est à rapprocher de Sempé. Ils se comprenaient très bien.

Et ces années Vogue ?
Il va pénétrer dans le monde luxueux de l’après-guerre, lorsque les fortunes reviennent en France et veulent se montrer. Il y a des grands bals mondains, des mariages fastueux, le renouveau culturel de la vie artistique parisienne et mondaine est à son comble. Il est engagé par Michel de Brunhoff pour couvrir tout cela. Il a pensé que mon père, dont il connaissait les photographies de banlieue, allait regarder autrement ce monde-là. Mon père rompt son contrat après trois ans. Il était difficile à mettre en cage, ennuyé par les commandes incessantes. Mais il continuera à travailler pour Vogue, car Edmonde Charles-Roux, avec qui il a collaboré, devenue rédactrice-en-chef, puis directrice, va lui passer commande pendant des années.

En 1989, il publie L’Imparfait du subjectif chez Belfond, un exercice autobiographique tardif. Écrivait-il beaucoup ?
Ses plus grands amis étaient écrivains. Blaise Cendrars l’a découvert. Il a eu une amitié forte avec Jacques Prévert. Robert Giraud, l’auteur du Vin des rues, a été comme un frère pour mon père. Il ne s’est permis l’écriture que lorsqu’ils ont disparu. À partir de là, il s’est mis à écrire et à très bien écrire, avec un soin énorme. Il se mettait dans un état de concentration incroyable. Si on passait à côté, il s’arrêtait ! C’était un photographe littéraire. Il ne donnait de titres qu’aux photos qu’il reconnaissait comme bonnes.

« Robert Doisneau Instants Donnés », du 17 avril au 12 octobre 2025, au Musée Maillol.

Par Alexis Lacourte