Menacée de mort dans son pays, l’actrice iranienne Zar Amir Ebrahimi, prix d’interprétation à Cannes pour Les Nuits de Mashhad, a illuminé le festival de Saint-Jean-de-Luz avec le magnifique L’Étrangère.
Quelle est la genèse de L’Étrangère ?
Zar Amir Ebrahimi : La réalisatrice Gaya Jiji cherchait son héroïne, Selma, une femme qui a fuit la Syrie, laissant derrière elle un fils de six ans et un mari disparu dans les geôles de Bachar al-Assad. Elle m’a vue dans Les Nuits de Mashhad, mais je suis un peu traumatisée par les histoires de réfugiés, d’exilés, je reçois beaucoup de scénarios là-dessus et je suis souvent déçue par l’image que l’on donne d’eux. Pendant des mois, j’ai refusé de lire le script, mais le producteur m’a convaincue.
Vous avez dû fuir votre pays en 2008, vous êtes exilée et donc vous n’avez pas obligatoirement jouer ce rôle au cinéma ?
Les exilés n’ont pas envie de rejouer cela sur un écran, de le revivre. J’ai une copine qui refuse tout simplement, qui ne veut pas tomber dans ce piège, cette caricature. Gaya vient de Syrie, moi d’Iran, je lui ai fait confiance. J’adore l’histoire qu’elle raconte, cette histoire d’amour avec le mari qui revient. Mais un jour, j’aimerais bien jouer une vraie Parisienne, cela fait dix-huit ans que j’habite ici. J’ai même toutes les qualités d’une Parisienne, je râle beaucoup !
En Iran, on parle le farsi, ici, vous parlez arabe.
En Iran, on apprend un peu l’arabe classique. J’ai bossé avec un coach, une comédienne libanaise, et elle m’a beaucoup aidée. C’était affreux (rires), vraiment très dur.
Le film m’a semblé très juste, loin de la caricature habituelle sur les exilés ou les sans-papiers.
Tout est très bien dosé. Je suis passée moi aussi par toutes les étapes de mon personnage, les démarches pour obtenir le droit d’asile avec l’OFPRA, j’ai dû donner des preuves que j’étais en danger dans mon pays… Mais moi, à Paris, j’étais bien entourée, alors que mon personnage doit se battre continuellement.
Vous êtes actrice, mais l’année dernière, vous avez co-réalisé le formidable Tatami, avec Guy Nattiv, l’histoire d’une judokate en lutte contre le régime iranien.
J’avais déjà réalisé des courts-métrages et des docs. Guy ne se trouvait pas légitime de faire le film seul donc il m’a proposée de le co-réaliser, alors que l’on ne se connaissait absolument pas. On s’est tout de suite formidablement entendu car on vient de cultures qui se ressemblent, même s’il est juif et que moi, je suis athée, il est Israélien et moi Iranienne. Tout était très risqué : un film en noir et blanc, sur le sport féminin, l’Iran et Israël… Et pourtant, ça a marché !
Vous travaillez actuellement sur votre premier long-métrage, que réaliserez seule ?
J’en suis au financement mais c’est compliqué en ce moment… Je veux raconter mon histoire et je jouerai dedans.
Est-il envisageable que vous retourniez un jour dans votre pays ?
Absolument pas ! J’ai fait un film israélien, j’ai donc franchi la ligne jaune, Israël, c’est encore pire pour eux que ce qui m’a valu de m’enfuir (la diffusion d’un film intime avec son compagnon, qui aurait pu lui valoir cent coups de fouet, dix ans d’interdiction de travail et six ans de prison, NDR). Mais j’ai encore de l’espoir, je suis optimiste quand je vois les manifestations des femmes. Elles ont gagné, elles ont gagné, elles ne mettent plus le hijab, elles sont libres. Leur courage est dingue !
Infos sur le festival de Saint-Jean-de-Luz www.fifsaintjeandeluz.com
Par Marc Godin
Photo : © 2025 FIF Saint–Jean–de–Luz, Studio photo Komcébo, Mathieu Mengaillou