Et si les Français faisaient un back to basics vers une économie à visage humain ? C’est ce que révèle une étude menée par Cluster17 pour Harmonie Mutuelle : 86 % des Français souhaitent le développement d’entreprises mutualistes dans leur région. Décryptage.
« On observe un retour massif à la demande de solidarité dans l’économie », décrypte Jean-Yves Dormagen, président de Cluster17. Derrière ce regain d’intérêt pour le mutualisme, on retrouve une lassitude croissante envers les excès du capitalisme de rente. Les Français ne sont pas devenus des trotskystes pour autant, mais ils veulent que les choses aient du sens. Et si le profit n’est plus le seul horizon indépassable ? Dans le sondage, 59 % des personnes interrogées affirment qu’il est souhaitable de développer des entreprises dont le but principal n’est pas de générer du profit. Chez les jeunes de 18 à 24 ans, ce chiffre grimpe à 67 %. « Ce n’est pas une lubie de gauche ou un élan nostalgique : c’est une demande sociale de réinvention du modèle économique. Plus d’un Français sur deux estime souhaitable le développement du non-lucratif. Cette aspiration traverse les âges, les sexes, les classes sociales », confie Dormagen. Une révolution silencieuse, qui commence à la caisse du supermarché, passe par le choix de sa mutuelle, et s’invite jusque dans les conseils d’administration.
MUTUALISME : C’EST QUOI TON JOB ?
On pourrait croire que ce retour de hype mutualiste repose sur une image d’Épinal un peu datée, entre syndicalisme de papa et portraits sépias des pionniers de la mutualité. Faux. Pour 49 % des Français, le mutualisme, c’est avant tout l’absence de but lucratif. Pour 46 %, c’est une gouvernance démocratique. En clair : un modèle économique où l’humain reprend la main sur l’actionnariat. « C’est une manière concrète de répondre à la crise de confiance envers les grandes institutions », confirme Vincent Manfredi, élu d’Harmonie Mutuelle. « La gouvernance par les adhérents est un antidote à la défiance, un remède à l’abandon. »
Les Français ne sont pas naïfs : ils savent que l’économie a besoin d’oxygène. Mais ils veulent qu’il soit respirable. Quand on leur demande dans quels secteurs le profit devrait devenir secondaire, les réponses sont claires comme de l’eau de roche sociale : la santé (80 %), l’éducation (74 %), les services à la personne (70 %). Autrement dit, tout ce qui touche à la vie réelle, à l’humain, au soin. À l’opposé, seuls 28 % estiment que le profit devrait être secondaire dans la grande distribution. Message reçu : qu’on vende des baskets, très bien ; qu’on gère un hôpital comme un supermarché, non merci. « Le mutualisme séduit parce qu’il répond à une double fatigue : celle du politique et celle du marché. Dans nos données, les clusters les plus défiants à l’égard du système – comme les Révoltés, les Réfractaires ou les Apolitiques – expriment une adhésion forte à l’idée de structures sans but lucratif. Ce n’est pas un vote idéologique, c’est un vote par le vécu », explique Jean-Yves Dormagen. À la question « seriez-vous prêt à vous engager dans une mutuelle pour soutenir des actions de solidarité ? », 52 % répondent oui. Pas de raz-de-marée, mais un socle solide, qui montre que le mutualisme n’est plus seulement un modèle économique : c’est une boussole morale. Chez les jeunes, les diplômés, les classes populaires, les solidaires ou les sociaux-démocrates, le modèle fait mouche.
QUÊTE DE VISIBILITÉ
Paradoxalement, les structures mutualistes sont déjà omniprésentes. 79 % des sondés disent utiliser une mutuelle de santé, 27 % une banque coopérative, 19 % une coopérative de consommation. Le mutualisme est partout, mais ne dit pas toujours son nom. Il est discret, low profile, à rebours du storytelling triomphant des licornes de la French Tech. Et pourtant, il capte une attente : celle d’une économie de la décence commune. « On assiste à une forme de revanche du collectif. Pas idéologique, mais pragmatique. Trois quarts des répondants soutiennent le développement d’entreprises mutualistes dans leur région. C’est une demande silencieuse mais structurée d’une économie du lien plutôt que du gain », indique le patron de l’Institut Cluster 17.
Ce retour du mutualisme ne vient pas d’un think tank bobo ni d’un coup de com’ ministériel. Il est sociologique, transversal, enraciné. « On voit bien que les gens n’attendent plus qu’on parle à leur place : ils veulent participer, choisir, construire. Le modèle mutualiste, c’est ça », explique Vincent Manfredi d’Harmonie Mutuelle. L’étude révèle une France fatiguée de la jungle néolibérale et avide de commun. Une France qui ne croit plus aux miracles du tout-marché mais continue de croire à l’efficacité du collectif. Une France qui se dit qu’on peut peut-être réinventer l’économie, non pas contre le réel, mais avec d’autres règles du jeu. Et si c’était ça, la révolution douce ?
Par Louis Bretagne