LEK & SOWAT : « TOUT POUR ÉVITER L’OUBLI ! »

Lek & Sowat

Graffeurs en duo depuis 2010, Lek & Sowat définissent leur travail comme du Land Art Urbain. En avril, ils ont rendu hommage au peintre abstrait Georges Mathieu, dans une œuvre collective au rez-de-chaussé de la Monnaie de Paris. Interview haute en couleur.

Votre exposition à la Monnaie rassemble JonOne, Nassyo, Camille Gendron et Matt Zerfa… des artistes dont la démarche va de l’intervention sauvage filmée à la « recherche sur la dynamique de l’aérosol ». Comment s’est déroulé le montage ?
Sowat : On a monté cette exposition en deux phases. D’abord, un commissariat d’exposition, en travail rapproché avec Éric de Chassey, l’un des commissaires de l’exposition principale de Georges Mathieu. On a tâché de questionner ce qui est venu, selon nous, après le peintre. Puis une phase d’intervention et de création in situ. Notre idée, c’était que tout le monde peigne en même temps, pour accompagner les artistes qui n’ont pas forcément l’habitude de créer dans un lieu institutionnel comme la Monnaie de Paris.

Dans vos projets, il y a toujours une dimension architecturale. Comment l’avez vous appliquée à la Monnaie de Paris ?
Lek : Quand tu commences à visiter des lieux abandonnés, tu es obligé de t’adapter à l’environnement. L’une de mes particularités, c’est mon style complètement disloqué, et ça me permet d’utiliser n’importe quel mur, toit ou sol. Quand je peins, je me dis que je mets autant en valeur ma peinture que le lieu. Et quelque part, au Musée de la Monnaie, ça a été la même chose. J’ai du exister avec mon vocabulaire dans un lieu qui a un caractère blanc, un « white space ». Pour ça, on s’est approprié tous les éléments possibles.
Sowat : Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il a étudié l’architecture et que ça a eu une grande influence sur sa peinture. Avec lui, il ne s’agit plus d’écrire un nom, mais de créer des ensembles immersifs en s’appuyant sur un bâtiment. Lui comme moi, sommes des enfants de la désindustrialisation, on grandit avec des usines abandonnées. Ces lieux, quand tu les découvres, ce sont des cathédrales. Tu es seul dans un ensemble de béton, de métal et de verre immense, ça produit un effet très particulier. Et on allait les chercher, alors que c’est antinomique avec l’idée du graffiti : tu es censé écrire ton nom là où tout le monde le voit. Mais ce qui appartient aussi au graffiti, c’est de lui trouver sa propre définition, sa propre identité. Le style, l’inaccessibilité d’un spot…

C’est votre définition du graffiti ?
Lek : Pour moi, le graffiti, c’est l’idée d’écrire son nom dans l’espace public, de manière illégale. Il y a une idée de calligraphie, de typographie. Tous les artistes qu’on a invités à La Monnaie de Paris sont des gens qui ont commencé à travailler sans autorisation et à écrire leur nom de manière stylisée dans l’espace public, quitte à ce que le public, lui, n’arrive pas à le lire. Souvent, le graffiti, c’est un jeu de piste entre les graffeurs. Ils arrivent à apprécier, reconnaître des signatures les uns des autres.

Vous êtes des enfants de l’urbex, même si à l’époque il ne portait pas encore son nom… C’est ce qui vous a appris à créer des lieux immersifs ?
Sowat : Bien sûr. Quand on est allé en repérage avec Éric de Chassey, on a commencé par visiter les parties hautes, cet espèce de salon d’honneur complètement délirant à la gloire de la République, les fresques au plafond… Et puis ils nous ont amenés au rez-de-chaussée, dans les Méridiennes et on a vu ce « white cube ». Et on s’est dit que les gens allaient rentrer dans ces salles comme dans une espèce de grotte primordiale, avec de la peinture partout autour d’eux. Et puis, comme des joyaux, il y aurait des dessins de Georges Mathieu à certains endroits.

De 2015 à 2016, vous travaillez au sein de la Villa Médicis. Vous êtes l’un des premiers duo d’artistes issus du graffiti à y avoir résidé…
Lek : Rome nous a changés. On est parti sans nos familles, pendant un an, on était dédié à l’art. C’est la richesse de la Villa : non seulement tu travailles, mais tu vis avec des auteurs, compositeurs, artistes autour d’une grande cour. Il y a toujours une soirée, un événement dans l’un des ateliers. Notre voisin d’atelier était un auteur interprète de musique classique japonaise, Kenji Sakai. Dans le genre mignon, il nous a écrit une Sonate. 

Vous vous êtes adaptés à ces institutions, mais l’apprentissage s’est également fait de leur côté non ?
Lek : C’est marrant, parce que ces institutions mettent du temps à valider et considérer les choses. Au début, on le prenait personnellement. On se disait que le graffiti était maudit, qu’il ne rentrerait jamais dans les musées. On était écorchés vifs. Et puis en parlant avec Sophie Duplaix, du Centre Pompidou, on a découvert que quand la performance est arrivée, elle a mis beaucoup de temps à être reconnue en tant que telle. Cette histoire ne fait que se répéter.
Sowat : Comme quand des musiciens créent des labels. Ils connaissent leurs segments par cœur, leurs scènes par cœur, ils voient avant les autres ceux qui vont devenir intéressants…

On a la sensation que les institutions culturelles et le marché de l’Art s’intéressent de plus en plus au graffiti. Vous le ressentez aussi ?
Sowat : Ce sont deux choses très différentes. La marchandisation du graffiti est arrivée très vite aux Etats-Unis avec des galeries comme La Fun Galerie, puis des collectionneurs européens ont fait voyager les graffeurs américains pour qu’ils travaillent sur toile, chez eux. Du côté des institutions culturelles, c’est à partir de 2009 qu’on voit les prémices d’un intérêt pour notre art.
Lek : Pour moi, cette entrée au musée est concomitante aux États-Unis et en Europe. Et c’est maintenant que les digues sont en train de lâcher. Au Bronx Museum, une institution phare à New York, une rétrospective est dédiée à FUTURA 2000, un graffeur devenu artiste contemporain. Le Palais de Tokyo vient d’ouvrir une exposition sur Rammellzee, un pionnier du wild style…

Vous parlez de cette entrée au musée comme un pas vers le droit à la conservation. C’est-à-dire ?
Lek : On fait tout ça pour éviter l’oubli. Parce que plein d’artistes qu’on a adorés ont fait des peintures importantes dans des lieux illégaux. Et on aurait voulu qu’elles soient conservées. C’est magnifique, c’est comme ça qu’on sauve une culture de l’oubli.
Sowat : Au Musée des Beaux-Arts de Nancy, une expo, « Aérosol », montre le travail d’un fond d’archive nommé Arcane fondé par Nicolas Gzeley. Tous des passionnés, des scanners fous, des enquêteurs, qui montrent le tout début du graffiti, des œuvres faites à l’aérosol, les mélanges avec les punks, les tout premiers pochoirs, gestes, artistes. C’est émouvant pour nous. Tous ces artistes qui créent naturellement, intuitivement, sans réfléchir à ce qui va rester. Et 50 ans après, des gens enquêtent dessus.

« Graffiti x Georges Mathieu », du 11 avril au 7 septembre 2025 à la Monnaie de Paris

 

Par Adèle Thiéry
Photos Davide Carson