La mode est une géographie du pouvoir. Et dans cet atlas très précis qu’est le seating, le premier rang, le fameux front row, constitue le baromètre de l’influence.
Le premier rang, cet espace historiquement réservé aux professionnels, s’est transformé en sphère médiatique et stratégique désormais dominée par les célébrités. Ces sièges Saint Graal reflètent les dynamiques de pouvoir et les tendances socioculturelles et économiques actuelles de l’industrie qui, en cette fashion week printemps-été 2026, ont été portées par les primo défilés des nouveaux directeurs artistiques. Alors que le front row est saturé d’images, le second rang s’offre une position plus discrète, mais parfois plus tactique.
LA NOUVELLE ÈRE
Les débuts de Matthieu Blazy chez Chanel, de Jonathan Anderson chez Dior ou de Jack McCollough et Lazaro Hernandez chez Loewe obligent à repenser les cercles. L’apparition de Madonna au défilé Saint Laurent a marqué le coup d’envoi du marathon de personnalités dans la capitale de la mode. Les autres maisons ont suivi. L’actrice Ayo Edebiri est la nouvelle égérie de Chanel, « où on a un vrai changement des personnalités qui étaient très spécifiques à la maison pendant des années. C’est une façon de montrer une nouvelle identité », observe la photographe Saskia Lawaks. Mikey Madison est le nouveau visage de Dior par Jonathan Anderson, qui s’est aussi entouré de ses muses habituelles de l’époque Loewe : Taylor Russell et Greta Lee. Les convives étaient davantage triés sur le volet, avec 800 places contre 1300 sous l’ère de Maria Grazia Chiuri.
Selon la capacité du lieu, « il y avait des front rows partout, raconte Saskia, organisés par marché, un pour les VICs par exemple. Cette saison, les marques ont voulu faire plus ou moins des petits défilés, il y a toujours ce sentiment d’exclusivité, donc le privilège immense d’y être invité. » Chez Loewe (ci-contre, le défilé Loewe SS26 à Paris, ndlr), l’ex-duo new-yorkais de la marque Proenza Schouler compose aujourd’hui avec leur place stratégique parisienne. « Une marque se doit d’être en phase avec la nouvelle direction mais aussi de respecter la communauté « historique » de celle-ci, explique Lucien Pagès, directeur de l’agence Lucien Pagès Communication. C’est ce que l’on a pu observer : un savant mélange d’invités « classiques » et des nouvelles arrivées venues du cercle du DA. »
UN BON TREMPLIN
La valeur d’un siège ne se mesure plus uniquement à sa distance du podium, mais à la qualité du regard qu’il permet. Le second banc accueille les regards critiques, les stylistes des célébrités, les sachants. Et cette place si proche de la première, « a toujours été un bon tremplin pour accéder au premier rang » suggère Lucien Pagès. Ils vont fondamentalement décortiquer la collection ou repérer la bonne tenue pour le prochain tapis rouge de la personnalité qu’ils accompagnent. On observe, sans la contrainte d’avoir à performer le statut, tels Olivier Gabet, conservateur au musée du Louvre, ou David Martin, rédacteur en chef de Odda Magazine, juste derrière les VIPs chez Dior. Chez Vaillant, à l’Opéra Bastille, les places en demi-cercle allaient jusqu’à huit rangées. Les influenceurs étaient voisins des journalistes du Elle.
On observe cette saison une multiplication des mises en scène circulaires. Elles floutent les frontières entre le premier et le deuxième rang, pour une meilleure immersion et sensation de proximité. Mais le seating reste « très variable en fonction de la stratégie et de l’ambition visuelle de chaque marque, explique Saskia, car aujourd’hui les shows ont de multiples prises de vues. » Cette nouvelle ère n’est pour le moins pas figée. Une célébrité en front row un temps, n’a aucune certitude d’y être la saison prochaine. Elle se calcule grâce au EMV (Early Media Value). Selon les rapports de Lefty et Karla Otto, Dior est en première place avec 90,57 M $ d’EMV, leadé par les acteurs thaïlandais Orm et Lingling qui ont généré près de la moitié de la valeur médiatique totale. Mais ne vous méprenez pas dans cette hiérarchie, même Anna Wintour a déjà expérimenté la lettre b du seating, en 2014, lors du show Valentino.
Par Anaïs Dubois




