OMAR SY : « MON MOTEUR RESTE LE MÊME… »

Ces derniers temps, le comédien aux 30 millions d’entrées est sur tous les fronts. À l’affiche de quatre films ainsi que de Lupin, la prochaine superprod’ Netflix, les prises de parole engagées de l’ancien gag-man de Canal ne passent pas inaperçues. De sa maison à Los Angeles (« ici au moins, on me demande zéro selfie »), notre coverstar revient sur cette année de grands changements.

Tu reviens avec une super-production Netflix, Lupin, et une première place au palmarès des « 100 qui peuvent sauver 2021 » selon Technikart. Que ferais-tu si jamais (comme pour Arsène Lupin), rien n’était impossible pour toi ?
Omar Sy : Le premier truc que je fais, c’est trouver une solution pour le Covid bien sûr ! Je crée un Covid inoffensif, toujours très contagieux, mais qui, au lieu de te donner des problèmes relous au niveau de la respiration, va te rendre mort… de rire. Ce sera un virus qui transmet le rire !

Chose devenue extrêmement compliquée. Même un sketch peut rendre la twittosphère totalement folle. On l’a d’ailleurs vu à tes dépens. 
Ça ne date pas d’aujourd’hui ! On sait bien ce qu’est cet endroit… Ce n’est pas nouveau.

C’est quand même une drôle d’époque où Omar Sy se retrouve accusé de racisme…
C’est une ambiance particulière… Je n’y prête pas plus attention que ça. Et justement parce que c’est Twitter : ce n’est pas la vraie vie.

Tu reviens sur les écrans avec Lupin. Qu’y a-t-il d’anglais dans cette série et qu’y a-t-il de français ?
Le côté anglo-saxon se retrouve dans le rythme de l’écriture et dans l’intrigue grâce à l’apport de George Kay. Ce qu’on a de français, eh bien c’est tout le reste : les acteurs, le réalisateur, le décor et évidemment le personnage de Lupin.

C’est une série très légère et en même temps, on y retrouve en filigrane l’évolution du racisme en France sur 30 ans, avec le personnage du père qui essuie quelques insultes dans les années 1980… 
Oui, c’est présent. Ça fait partie de l’histoire de ce personnage, de ce qu’il raconte et de ce qu’il porte. C’est une série qui parle de transmission, d’héritage et de filiation. On retrouve cet aspect-là aussi avec le Lupin de Maurice Leblanc et la manière dont on a traité son père, qui était un racisme social. C’était la France à cette époque-là et nous, c’est la France aujourd’hui. On avait envie de parler de cette revanche et de montrer la France telle qu’elle est ces dernières années, en assumant tout.

En France aujourd’hui, et c’est très bien montré dans la série, il y a tout un pan de la population – les femmes et les hommes de ménage, etc. – qui demeure parfaitement invisible. Et d’ailleurs votre personnage d’Assane se sert de cette « invisibilité » pour commettre certains de ces crimes. 
C’est ça ! Il s’inspire du personnage de Leblanc qui avait ce patriotisme mais qui, en même temps, était hyper au clair avec l’époque et la société dans laquelle il vivait. Il avait une bonne analyse de la société, c’est pour ça qu’il arrivait à se faufiler un peu partout, dans tous les niveaux des couches sociales. Aujourd’hui, le personnage d’Assane est obligé de faire la même chose que son modèle et « mentor » : le Lupin de Maurice Leblanc… En France, il y a des gens qu’on ne voit pas. Il y a une catégorie sociale qu’on ne voit pas. Si on n’a pas envie d’être vu, on se met là-dedans et on est tranquille. Donc Assane s’en sert pour faire ses larcins ! Pour nous, c’était intéressant d’en parler. Ça sert notre personnage dans son fonctionnement.

Et adolescent, quel était ton livre de chevet ?
Je t’avoue qu’à part des BD comme Dragon Ball et les Chevaliers du Zodiac, je ne lisais pas grand-chose ; c’est arrivé beaucoup plus tard. 

Tu étais au CP avec le petit frère de Jamel Debbouze, Karim, et c’est comme ça qu’il t’a remarqué. Il a fini par te proposer de faire un sketch sur Nova en 1996, quand tu avais 18 ans. D’où venait ta tchatche ?
Ça vient d’un environnement. Autour de moi, ça charriait à toute patate, il faut avoir quelques cartouches ! Tu apprends à avoir l’esprit un peu vif et à te faire charrier. Tu te fais tirer dessus, alors il faut être capable de répondre. Tu te rends compte aussi que ça marche bien avec les filles quand t’es drôle. Ça aide ! C’est quelque chose que tu vas aiguiser au fil du temps, c’est de la survie.

Et aujourd’hui, que te reste-t-il de tes années Nova ? De tes débuts auprès de Bizot ? 
Jean-François Bizot, et pas que lui ! Il y avait aussi Rémy Kolpa Kopoul et Jacques Massadian, celui qui a repéré Jamel et qui donc, par voie indirecte, m’a permis d’accéder à Nova. J’ai une petite émotion en entendant ces noms parce que c’est quand même le point de départ. Ce que je suis aujourd’hui, ça part de la considération qu’ils m’ont donnée. Je n’aurais pas pu être le mec que je suis aujourd’hui s’ils ne m’avaient pas regardé comme ils m’ont regardé. J’en garde beaucoup de gratitude ! Ça a été un révélateur : j’ai eu cette surprise que ces gens-là me considèrent.

Et ensuite tu as été, comme beaucoup de talents de chez Nova, repéré par Canal+ et son directeur des programmes, Alain De Greef. 
Alain De Greef, c’était un personnage qu’on croisait de temps en temps, qui était toujours hyper-doux, très calme avec nous. Il connaissait nos prénoms et ça voulait dire quelque chose parce qu’on a été pendant longtemps, avec Fred [Testot], « les potes de Jamel ». Il ne nous disait pas grand-chose, mais le peu qu’il nous disait nous servait beaucoup et nous aiguillait. Il y a juste une fois ou on a eu un rendez-vous avec lui à cette époque et il nous a dit : « Jamel part (il arrête Le Cinéma de Jamel en 1999, ndlr), proposez-nous quelque chose ».

Avec Fred Testot, vous créez le Visiophon et intégrez pleinement la famille Canal. J’oublie d’autres « anges gardiens » qui t’ont permis de bien débuter ? 
Ah bah oui, t’en oublies plein ! Il y a Pierre Lescure, Arielle Saracco (aujourd’hui directrice de la fiction à Canal, ndlr), Bertrand Delaire avec qui on a écrit avec Fred… Et bien sûr, le tout premier, Jamel, avant Nova.


Puis arrivent les futurs réals’ des Intouchables, Eric Toledano et Olivier Nakache. Ils te proposent un premier court-métrage en 2002. 
Ils m’ont fait un cadeau monstrueux : celui de m’ouvrir cette porte du cinéma que je m’étais, je ne sais pas pourquoi, fermé. Comme on ne m’avait pas permis ça, c’était, dans mon esprit, parce que ce n’était pas pour moi. Grâce à eux, j’y suis entré… sans savoir que ça allait être ma vie. 

Les années Nova et Canal ont été des années de création pure pour toi et ton binôme Fred Testot. Aujourd’hui, tu es un acteur au service des textes des autres. Cette création personnelle te manque-t-elle ?
Non, parce que pour moi, il s’agit d’une même chose – mais qui a évolué avec le temps. C’est un espace de création qui s’ouvre. De Nova à Canal et jusqu’à aujourd’hui, je n’ai fait qu’apprendre. Aujourd’hui, ce que je suis en train de faire quand je monte un projet et que je produis Lupin avec Netflix par exemple, c’est la continuité de tout ça , ainsi que l’addition de toutes ces recherches de création. 

Parmi les quatre films dans lesquels tu as joués cette année, il y en a un qu’on apprécie particulièrement chez Technikart : Tout Simplement Noir. de Jean-Pascal Zadi. Tourné l’été 2019, il montre un Omar Sy que les protagonistes pensent « désengagé » mais qui, en fin de compte, se révèle plus engagé qu’eux. Cette année 2020, la réalité a rattrapé la fiction ? 
J’avais lu ce projet que je trouvais très marrant surtout avec cette espèce de running-gag sur mon personnage, enfin du moins sur l’image qu’on se fait de moi. Ça m’a fait marrer de jouer mon propre rôle. Je trouvais très intéressant sa manière de voir les choses et sa façon de nuancer tout ce propos. Ce truc qui n’est pas évident : comment on se positionne quand on est artiste ? À quel moment on le fait pour soi ? À quel moment on le fait vraiment pour « la cause » ? Toutes ces questions-là se posent et deviennent systématiques. Il y a, dans l’écriture de Jean-Pascal, quelque chose de beaucoup plus fin qu’il n’y parait. Tout ce qu’il a abordé dans son film a pris beaucoup plus d’ampleur par la suite. 

Tu vis à Los Angeles depuis quelque temps et tu as participé aux marches pour George Floyd cette année. Tu vois une différence entre la France et les États-Unis sur ces questions ?
Je ne suis pas très habilité à faire cette comparaison-là car je ne suis ni historien ni sociologue et c’est là que tout se situe. C’est purement social et historique. Il y a beaucoup de choses qui entrent en compte par rapport à ce qui peut se passer là-bas et en France. L’Histoire est autre. Il s’agit de deux choses totalement différentes.

Tu as grandi à Trappes, d’après ce que tu en sais, comment la situation là-bas a-t-elle évolué depuis tes 16 ans ?
J’en ai aucune idée : je ne vis plus à Trappes et je n’ai plus 16 ans. Ça fait deux bonnes raisons pour ne pas répondre à cette question. Je sais que c’est différent parce que la société a changé et la communication a bougé. Ce qui serait intéressant, ce serait d’aller le trouver, cet Omar Sy d’aujourd’hui, et d’aller lui poser la question. Aujourd’hui, on fait des suppositions, on essaye d’interpréter… Mon avis là-dessus n’est pas foncièrement intéressant.

Tu vis à Los Angeles, tu enchaînes les succès… On pourrait te croire à l’abris du racisme, mais il se manifeste : quand tu joues le rôle de Knock, quand tu es à l’affiche d’une série qui prend pour titre Lupin…  
Ça existe, c’est bien présent. Heureusement que ça ne m’empêche pas d’avancer, heureusement que ça ne m’empêche pas de jouer Knock, que ça ne m’empêche pas de jouer Lupin… Si j’avais écouté et pris personnellement toutes les remarques et les choses racistes que j’ai entendues depuis que je suis né, je ne serais pas là en train de faire cette interview, je n’aurais pas fait un dixième de tout ce que j’ai pu faire. Effectivement, il y a des gens que ça paralyse, pour qui c’est un vrai frein. C’est là qu’est le souci. Ce sont ces gens-là qu’il faut considérer. Le racisme vient avec un manque de connaissance de l’autre. Et aujourd’hui, il y a de moins en moins d’échanges. Il faut réanimer les interactions entre les groupes – qui se sont d’ailleurs autoproclamés groupes. Mais on fait comment ? Ça, je n’ai pas la réponse.

On voit d’ailleurs cette tentative d’apaisement dans Lupin
Oui, il y a un peu de ça effectivement. Si on dit « réconciliation », ça passe par le pardon donc par quelque chose de noble. 

Aujourd’hui, quel est ton moteur ?
Le moteur reste le même : raconter des histoires qui mettront en évidence la partie lumineuse de l’humanité. 

À travers tes prochains films ?
Pour mes prochains projets, c’est un peu compliqué à annoncer, avec le Covid on ne sait pas trop où on en est et où on va. Pour le moment, ce qui est sûr, c’est la sortie de cinq épisodes à partir du 8 janvier 2021 de Lupin sur Netflix puis les cinq autres plus tard. Et le dernier Jurassic World – fin 2021 ! J’ai quelques projets sur le feu mais après l’année 2020 qu’on a connue, c’est très compliqué de se projeter. Pour tout le monde !

Et pour finir : un espoir pour 2021 ?
Vivre une année différente de 2020. Ce serait pas mal d’avoir un petit contrepied…

 

Entretien Laurence Rémila 

Photo Marcel Hartmann
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