L’histoire vraie (mais pour rire) de Larry David, le mec qui a créé « Seinfeld ».

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Vous croyez que Seinfeld est Jerry… mais c’est surtout Larry. Larry David. Retour sur notre rencontre, en 2003, avec le plus grand showrunner comique du début du siècle. 

Larry David raconte mieux que personne la blague du pauvre type qui se barre de sa boîte comme un prince et qui revient bosser le lendemain la queue entre les jambes. Facile : le pauvre type, c’est lui. « J’ai travaillé un an comme scénariste au « Saturday Night Live », de 1982 à 1983. Un cauchemar. J’avais un bureau tout près de l’ascenseur. Ma porte était grande ouverte. Des hordes de gens me passaient devant pour aller déjeuner mais personne ne m’a jamais adressé la parole. En un an, un seul de mes sketches a été diffusé à l’antenne, vers 1h05 du matin. Je haïssais Dick Ebersol, le producteur. C’est lui qui annulait tous mes sketches. Un jour, j’ai déboulé dans son bureau. Il était assis dans sa petite chaise de metteur en scène avec le nom marqué dessus et il avait son casque sur les oreilles. Il était 11h25, soit cinq minutes avant l’antenne. Je lui ai dit : « Ras le bol, cette fois je me casse de cette émission de merde, ça y est, j’en peux plus ! ». Et je suis parti. Mais en rentrant chez moi, j’ai réalisé que j’avais fait une grosse connerie. Je venais de m’asseoir sur 50 000 $. Résultat : je suis revenu le lundi matin. Je me suis assis à mon bureau, j’ai fait semblant de rien. Et Dick Ebersol aussi ; il ne m’en a jamais reparlé. »
 
 
Si ça vous rappelle quelque chose, c’est que la petite histoire est devenue par la suite, après gloire et fortune, un épisode à part entière de « Seinfeld » dans lequel ce gros minable de George Constanza s’enfonce pareillement dans les tréfonds de la misère humaine. « Sauf que lui se fait choper ! », se réjouit Larry David, 56 ans, chauve, cocréateur de la Sitcom La Plus Drôle De l’Histoire (marque déposée), comique angoissé et multimillionnaire (on estime à 200 M $ la vente des droits de « Seinfeld » en syndication).
 
Des « comedy clubs » mal éclairés de New York à « Curb Your Enthousiasm », sa nouvelle série HBO, en passant par George Constanza, David ne brosse que des variations déguisées de lui-même : être informe et totalement autocentré, sorte d’homme-éponge inapte au bonheur. Une version yiddish et follement absurde de Gary Shandling, cet autre nombril de la télé US qui, déjà pour le « Larry Sanders Show », s’imaginait dans le rôle-miroir de la star télé névrosée. Traditionnellement dans l’ombre des projecteurs (il a arrêté le stand-up il y a vingt ans, se jugeant « médiocre ») et de Jerry Seinfeld (qui récolta seul les lauriers), Larry David enclenche toutes les manettes dans « Curb… ». Il apparaît physiquement dans son propre rôle de « créateur de « Seinfeld » » (« Vous savez qui c’est ? », demande sa femme à l’hôtesse pour obtenir une table au restaurant), mène sa propre vie de comique célèbre avec galas et stars « nature » à la maison, et déclenche malgré lui les situations les plus viles et embarrassantes.

« Des comiques venus de la télé ». Une expression à priori inoffensive qui, selon que vous la prononcez en France ou sur le sol anglo-saxon, dénote pourtant un fossé culturel de la taille du Grand Canyon. Chez nous, elle désigne la frustration très snobinarde de ne plus être en mesure de créer des icônes drôles sur grand écran, comme du temps de Michel Simon et De Funès, et ne s’envisage qu’avec du mépris dans la voix. En Angleterre ou aux Etats-Unis, c’est relax, cool beans, pas de quoi se vénère : la recrudescence de clowns nés à la télé est un simple état de fait, une réalité industrielle qui ne date pas d’hier, ou alors l’hier de 1957. Il y a quelques mois, «Technikart » s’interrogeait sur l’incapacité chronique du PAF à faire rire (« C’est quoi cette blague ? », n° 130) et voilà qu’on fait l’article et la couv’ sur le génie cathodique à l’œuvre de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique. Tout est dit dans notre Histoire secrète de l’humour TV, une page plus loin… 

L’UNIQUE HORIZON

Après nous avoir laissé sans nouvelles pendant deux ans, Larry David, créateur de « Seinfeld » et grand trait d’union de la sitcom US, reprend du service avec la septième saison de « Curb Your Enthusiasm » (en septembre sur HBO). Deux ans pendant lesquels on n’a fait que se marrer (« The Office », « 30 Rock », « Little Britain »…), tandis que l’univers TV agonisait dans d’atroces souffrances. Il y aura toujours de la comédie à la télé, surtout en temps de crise. Pas d’argent ? Pas de moral ? Pas de problème : la comédie fait du bien par où elle passe et elle ne coûte pas cher. Au jour d’aujourd’hui, c’est l’horizon unique de la rentrée US 2010, et même de la suivante. « Glee » (Fox), « Modern Family » (ABC), « Sons of Tucson » (Fox), « Cougar Town » (ABC), « Parenthood » (NBC), « The Station » de Ben Stiller (Fox) ou « Bored To Death » avec Jason Schwartzmann (HBO)… Ça va pas être triste.

Sans l’émission spéciale consacrée par HBO à Larry David en 1999, Jason Alexander ra conte une fois de plus son anecdote favorite, à propos de George Costanza, son personnage dans Seinfeld : « C’était au début de la toute première saison de Seinfeld. Je lis un script et je m’adresse à Larry : “Tu sais, je crois qu’il faut réécrire cette scène. Non seulement, un truc pareil ne pourrait pas se produire dans la vraie vie mais en plus, personne n’y réagirait de cette façon.” Il me regarde fixement et me répond : “Non seulement, ça m’est arrivé à moi, mais c’est exactement comme ça que j’ai réagi.” J’ai compris alors que je le jouais lui. Toutes sortes de variations de Larry David ».
George était donc Larry. Râleur, chauve, névrosé, discutailleur au point de se faire tourner lui-même en bourrique. Sauf qu’il était italien, petit et un peu « chubby » (grassouillet), mal sapé et créé par Larry David. Alors que le vrai Larry est juif, grand et maigre, un peu fashion victim sur les bords et a été mis au monde par sa maman. Mais est-ce bien sûr ?

LA NAISSANCE DE «CURB»

En 1999, Seinfeld n’existe plus depuis douze mois. Larry David a quitté la série deux ans auparavant, rendu exsangue par sept ans de « show running » épuisant. Il a eu le temps d’écrire et de réaliser un film de cinéma, Sour Grapes, qu’il fait aujourd’hui mine d’oublier, contrairement au public – étant entendu qu’on ne peut oublier ce que l’on n’a de toute façon jamais vu. La proposition du « HBO Special » vient de Jeff Garlin, comique enveloppé en train de se reconvertir en réalisateur de « TV Specials », émissions d’une heure consacrées à des stars qui le méritent un minimum (il vient alors de tourner celles de Jon Stewart et de Dennis Leary). Concernant Larry, l’idée est toute simple : il s’agirait de chroniquer son retour sur les planches et à ce métier de « comedian » dont Jerry Seinfeld est le symbole pour l’éternité.
Après sept saisons de « show about nothing », sans doute Larry David se dit-il que tant qu’à se mettre à parler de « quelque chose », le plus simple, le plus naturel, serait effectivement de parler de lui. Dans cette émission spéciale de HBO, la plupart des éléments de la série à venir sont déjà en place : le style semi-docu, la caméra portée, les personnages secondaires (sa femme Cheryl, son manager Jeff, joué par Garlin), les amis stars et la chronique d’un Hollywood (et d’une Amérique) miné par des conventions sociales auxquelles le héros se montre réfractaire jusqu’au délire. Et même le titre : Larry David : Curb your Enthusiasm. En une heure d’émission, c’est fait. Larry David a créé le personnage le plus fabuleux de toute sa carrière : lui-même. Et cette fois, la ressemblance est totale.

DERNIÈRE SAISON ?

Curb la série existe depuis sept saisons et neuf ans maintenant. Des chiffres qui font peur aux superstitieux puisque c’est au bout de sept saisons que David avait lâché Seinfeld (avant d’y revenir boucler la boucle en écrivant le « series finale » en 1998). Au sujet d’une éventuelle fin de série, Larry dit qu’il ne sait pas : « Non, aucune idée. J’ai déjà pensé arrêter et, à chaque fois, je m’y remets. Il y a toujours ce moment où je me vois sur l’écran HD et où je me dis : “Mais qui a encore envie de mater les aventures de ce vieux ?” Vraiment, je ne peux pas répondre. »

Le top départ de la saison 7 sera donné le 20 septembre prochain. On raconte que l’intégralité du cast de Seinfeld y apparaît dans au moins deux épisodes. « On », c’est encore Larry David lui-même qui n’en dira pas plus « sauf si vous voulez bien attendre fin août pour sortir votre magazine ». Ah, mais non, Mr. David. C’est le hors-série séries télé de Technikart, ici, une institution des plages françaises, on sort en juillet, n’insistez pas. Que ce soit Larry, sa femme Cheryl, son manager Jeff ou la femme de son manager Susie, on n’attend pas septembre pour les retrouver live et en totale exclusivité. Sans cacher notre joie ni bouder notre plaisir, on le fait ici, et tout de suite.

Leo Haddad