LE POINT PORCHER : OH ! LA BELLE BOURDE

macron bourde Schiappa

En politique on appelle « stratégie du chat mort » la façon dont on évite une question délicate en provoquant un buzz médiatique grotesque. Sans surprise, Macron est un pro de la technique. Explications par l’économiste le plus félin de France.

Légende photo : OUPSI !_ L’économie s’écroule ? La courbe démographique est en berne ? La loi immigration pose problème ? Pas de panique, notre Président en a une bien bonne à vous raconter.

Les chaines d’infos ont besoin d’un perpétuel renouvellement de leur grille de programme. Pour capter les téléspectateurs le plus longtemps possible, il faut qu’il y ait sur un même sujet des rebondissements multiples alimentés par des clashs et des prises de positions extrêmement radicales, ou qu’un nouveau sujet, jugé plus frais, en balaye un autre. Sur ce marché de l’information sensationnelle, il y a différents niveaux : les commentateurs que j’appellerais « buzz followers » (suiveurs de buzz) et les faiseurs d’informations que je qualifierais de « buzz makers » (faiseurs de buzz). Les premiers sont ceux qui commentent l’actualité dominante du moment sur la plateforme X (ex-Twitter) en espérant créer le buzz et se faire remarquer. Pour cela, il est nécessaire de prendre soit la position la plus radicale sur le sujet, soit de clasher une personne associée de manière importante au sujet. Cette stratégie du buzz n’a qu’un seul but : se faire remarquer et récupérer quelques interviews dans les médias.

Dans ce type de configuration, c’est la plateforme X qui donne aux chaînes d’infos la matière première pour alimenter leur grille de programme. C’est dangereux pour le fond du débat, puisque pour se faire remarquer dans le débat public télévisuel (celui qui a encore le plus d’audience), il faut tenir une position sans aucune mesure. Cela oblige chacun à choisir un camp, y compris ceux qui ont des analyses plus fines. Une fois que la position est dite sur X, des dizaines d’intellectuels et de commentateurs expliqueront ce qu’ils ont lu entre les lignes et pourquoi la personne qui l’a écrit ne pense pas forcément ce qu’il a écrit. Les « buzz followers » arrivent à tirer leur épingle du jeu en dégradant clairement les termes du débat, mais ils n’ont pas la capacité de mettre en place la fameuse tactique du chat mort afin de bouleverser l’agenda médiatique.

RÉARMER LA NATALITÉ

Pour cela, il faut être un « buzz maker », c’est-à-dire qu’il faut avoir suffisamment de poids dans la sphère médiatique ou politique pour pouvoir imposer radicalement un autre sujet aux médias. C’est le cas par exemple d’un ministre ou du président de la République. Cela se fait, dans le meilleur des cas, par l’intermédiaire d’une petite phrase comme celle d’Emmanuel Macron sur le « réarmement démographique », juste après la loi immigration, ou par un événement très étonnant comme la Une de Playboy par Marlène Schiappa en plein scandale sur le fonds Marianne.

Arrêtons-nous sur l’exemple du président de la République, embourbé dans la loi immigration qui mettait mal à l’aise une partie de son camp tout en révélant les accointances entre la macronie et l’extrême droite. Il lâcha, l’air de rien, la phrase choc « réarmer la natalité ». On ne peut pas concevoir que cette phrase ait été improvisée au dernier moment. Elle avait été pensée pour pouvoir faire le buzz d’abord sur les réseaux sociaux, et ensuite dans les débats télévisés. Tel un tourbillon, le sujet de la natalité a effacé tous les vieux sujets, dont celui de la loi immigration et de la droitisation « nouvelle » de Macron dans l’agenda médiatique. Une opération réussie, alors même que la plupart des experts nous disaient qu’il était encore difficile de dire qu’il y avait un problème structurel lié à la natalité dans notre pays. Certes, on observait une baisse de la natalité depuis 2010, mais personne ne pouvait dire si elle était structurelle ou conjoncturelle. La démographie s’observant sur des temps longs et la natalité ayant remonté au début des années 2000 pour redescendre ensuite, il était difficile de savoir si la baisse sur la dernière décennie n’était pas due au fait que les couples ont des enfants de plus en plus tard. Lorsque l’on regarde un indicateur plus pertinent comme la descendance finale (le nombre d’enfants qu’a une femme au cours de sa vie), on constate que les femmes qui ont 50 ans en 2023 ont en moyenne 2 enfants (ce qui n’indique aucune forme de problème de natalité). Celles qui ont 40 ans en 2023 en ont 1,9 (donc quasiment 2 et peut-être plus puisque de plus en plus de femmes ont des enfants après 40 ans). La seule vraie question qui vaille est de savoir si les couples ont des enfants quand ils le souhaitent ou si, compte tenu des conditions financières ou médicales, ils reportent parfois ce désir. Il aura fallu des dizaines de débats pour en arriver à cette conclusion. La stratégie du chat mort utilisée par Macron a donc bien fonctionné…

 

Par Thomas Porcher