{LE MONDE DU SEXE} DES CORPS DE MÉTIER

chirurgie de réassignation sexuelle

Notre duo a rencontré Sarra Cristofari, spécialisée en chirurgie de réassignation sexuelle à l’hôpital Tenon, à Paris.

Sarra me reçoit à Tenon, ce grand hôpital avenue Gambetta, dans le 20ème. Pour la première fois depuis de longues semaines, j’ai pris ma moto. Ce n’est sûrement rien pour vous, mais je dois avouer qu’en ces temps obscurs et cloitrés, qu’en ces temps prostrés d’enfermement, j’ai senti un souffle de liberté me frapper le visage – pas de masque sous le casque et l’air m’attrape comme s’il se jetait en moi. C’est grisant bien entendu. J’ai toujours, pour ça, aimé les motos et les mobylettes : la liberté des routes sans le confinement de l’habitacle.
Je me gare rue de la Chine – l’importance de ne pas y être allé à pied. Sarra vient me chercher à l’entrée de l’hôpital, côté pro allais-je dire – une entrée annexe en tout cas, que l’on n’emprunte pas sans badge. Ascenseurs, collègues, gel hydro alcoolique puis nous y sommes, dans son bureau. Ici, Sarra ne reçoit pas de patients, elle travaille seule, derrière un ordinateur.
Nous devons avoir globalement le même âge – c’est à dire pas très vieux. Sarra porte des lunettes à monture noire, façon RayBan de vue. Derrière son masque, je sens comme un sourire, quelque chose de bienveillant, de doux probablement, de serein aussi. Il se dégage dans son allure une certaine aisance, ce que j’appellerai une honnêteté avec soi – le fait de savoir que l’on est à sa place sans devoir ajouter quoi que ce soit pour le souligner.
Sarra, d’ailleurs, me parle absolument normalement. Je ne sens pas un instant la condescendance que peuvent avoir certains spécialistes quand ils s’adressent au profane.
Le propos est complexe pourtant, technique aussi. Sarra est chirurgienne. Elle opère ici, à l’hôpital Tenon. Officiellement, c’est de la chirurgie esthétique, mais on ne donne pas dans le lifting ou le botox anti vieillissement. Non, Sarra opère des personnes qui changent de genre. On ne dit plus transsexuel depuis bien longtemps – tout simplement parce qu’il s’agit d’un changement de genre qui n’a rien à voir avec la sexualité justement.
Les hommes trans passent d’un genre féminin à un genre masculin. Les femmes trans, c’est l’inverse. Le statuquo, parle de transidentité, c’est à dire le fait, pour une personne transgenre, d’avoir une identité de genre différente du sexe assigné à la naissance.
Les mots, bien sûr, ont leur importance – ce n’est certainement pas moi qui vais vous dire l’inverse. Nommer quelque chose, bien le nommer, c’est aussi le rendre possible. Après, les catégories, parfois, peuvent avoir quelque chose d’englobant, de trop vaste ou de trop réducteur. Sarra opère des personnes qui sont toutes différentes les unes des autres. Je crois que c’est aussi simple que ça. Les demandes, elles aussi, sont variées.
Sarra façonne les visages et les parties génitales. Parfois seulement l’un, parfois les deux. Féminisation ou masculinisation.

ON DÉCIDE ABSOLUMENT DE QUI L’ON SERA, DE QUI L’ON EST. 


Ces opérations sont prises en charge par la sécurité sociale si l’on se plie à un protocole. Il faut, pour se faire opérer à l’hôpital public, attester d’au moins une année de suivi psy et d’une année de prise d’hormone. N’en déduisons pas que c’est un parcours simple. Ou gratuit.
Un tweet massivement repris il y a quelque temps s’offusquait de la gratuité d’une opération de changement de sexe quand les yeux ou les dents restaient payants. Cet argument (pas nouveau) est absurde. En effet, pour qu’un dossier soit pris en charge par la CPAM, la personne souhaitant être opérée doit tour à tour rencontrer un psychiatre, un endocrinologue et un chirurgien. Il faut ensuite attendre au moins deux ans pour obtenir un certificat. On demande aussi « une expérience de vie réelle » où la personne trans doit vivre comme le genre dans lequel elle s’identifie. Ce point est largement commenté par certaines associations. Quoi qu’il en soit, la procédure est complexe, longue, lourde, lente. Ce n’est absolument pas une opération de chirurgie esthétique gratuite ou anodine.


UN GESTE DE LIBERTÉ ABSOLUE

Dans la majorité des cas, Sarra opère des femmes trans. L’opération de masculinisation d’un sexe féminin est pour l’instant moins probante que la vaginoplastie. Donc, dans 90% des cas, pour les opérations liées à l’appareil génital, à Tenon, on part d’un pénis pour arriver à un vagin.
Les vulves comportent ensuite l’ensemble classique, grandes et petites lèvres, vagin, clitoris, système urinaire. Concrètement, ça fonctionne de la même manière – de la position à prendre sur les toilettes jusqu’au plaisir sexuel – la zone érogène du clitoris étant constituée par l’ancien gland.
Sarra me parle très naturellement des gestes techniques, des différentes méthodes, etc.. Comme un chirurgien classique, direz-vous. Oui, mais voilà, aussi bien techniquement que terme d’acceptation sociale, la chirurgie de réassignation sexuelle est globalement plutôt récente. La première opération connue date de 1922, sur la personne de Dora «Dörchen» Richter en Allemagne en 1922.
Mais Sarra m’explique surtout à quel point, depuis quelques années, les médecins se sont multipliés sans que la demande ne diminue. Depuis l’année dernière, Sarra propose la première option en France destinée aux étudiants en médecine centrée sur le sujet, à la Sorbonne. On avance.
Alors, bien sûr, ça reste quelque chose de fascinant, comme un geste de liberté absolue. Il en va, je crois, ainsi, de tous les choix d’identité, genre ou non. On décide absolument de qui l’on sera, de qui l’on est. Pourquoi est-ce si difficile à faire accepter à certains ? Peut-être parce que cela annule les pensées d’une création divine. Je ne sais pas. Des humains qui opèrent des humains, ce n’est pas vraiment la révolution. Mais dès que ça touche à ce qui se passe dans nos calbuts, dans nos culottes ou dans nos strings, les idées se crispent.
J’ai rencontré Sarra dans son bureau vide. Sonia l’a suivie au bloc, le mercredi suivant. Je n’y étais pas, mais je suis certain que j’y aurai vu, comme Sonia, une femme parfaitement à sa place – précision et dynamique rare.


Par Oscar Coop-Phane
Photo Sonia Sieff