Faut-il sauver les trottinettes électriques?

LA QUESTION QUI FÂCHE (MAIS PAS TOUT LE TEMPS)

Vandalisées par les vieilles dames et la cible répétée de mystérieux gangs, les trottinettes électriques ont encore quelques progrès à faire ! Mais pour notre collaborateur, Olivier Malnuit, ce n’est pas le moment de faire machine arrière…

Inventé, il y a plus d’un siècle aux Etats-Unis, sous le curieux sobriquet d’Autoped (Auto Operated), la trottinette à moteur peut-elle faire exploser la majorité, briser des familles et relancer cette guerre civile qui semble – en permanence – bouillir dans nos veines ? Au train où vont les choses, on peut sérieusement se poser la question. Tant le succès fulgurant – et un brin chaotique – des trottinettes électriques en libre-service, semble avoir ravivé de vieilles blessures dans les grandes métropoles françaises. A Paris, où de mystérieux gangs anti-trottinettes s’acharnent à couper leurs freins, brouiller leurs code-barres et les jeter dans la Seine, on ne compte plus les actes de vandalisme de mères de familles et de personnes âgées qui se défoulent à coups de poussettes, de parapluies et de cannes orthopédiques sur la moindre trottinette mal garée. Les rumeurs les plus folles circulent sur ces nouveaux cafés du commerce que sont les réseaux sociaux sur le nombre réel d’accidents de trottinettes, pour finir par rebondir sur les conversations de bureaux et les dîners en ville…

CRISE DE RÉGIME

On parle d’un nombre incalculable (et forcément caché) de victimes aux urgences, alors que justement aucune donnée fiable n’est encore disponible. On alerte sur une épidémie de chutes et de collisions en trottinettes (+23%) sans les mettre en perspective avec l’épidémie de trottinettes elle-même, pourtant bien réelle (+ 15 000 véhicules en un an). Le moindre accident grave – et il y en a forcément trop* – prend désormais des airs d’affaire nationale, alors que les piétons renversés par des voitures font rarement plus de trois lignes dans les journaux. Vent debout contre leur propre gouvernement, un groupe de députés La République En Marche est même allé jusqu’à s’opposer à la Ministre des Transports (Elizabeth Borne) à l’Assemblée, en soutenant – malgré les consignes de vote – un amendement pour le port du casque obligatoire en trottinette. Ce que la Ministre – c’est à dire le Président – a catégoriquement rejeté en arguant que « les Français en avaient marre qu’on leur impose des obligations. » C’est une broutille… Mais, l’air de rien, on n’est pas passé loin de la crise de régime !

« On parle d’un nombre incalculable (et forcément caché) de victimes aux urgences, alors qu’aucune donnée fiable n’est disponible ».

VÉLOS-CARGOS

Comment a-t-on pu arriver là ? Comment un jouet pour enfant avec une roue motrice et une batterie rechargeable a-t-il pu devenir, à ce point là, un sujet d’engueulade nationale ? Pour l’essayiste Paul Vacca (Incognita, Ingognita, Ed. Sonneur), « la trottinette cristallise les rancoeurs du moment parce que leurs utilisateurs semblent n’en avoir rien à secouer des autres. Quand ils passent devant vous, c’est comme s’ils faisaient une queue de poisson ou coupaient la file d’attente au supermarché. » Arthur-Louis Jacquier, le boss du Lime France, N°1 des trottinettes à Paris, va même plus loin : « Le succès a été si rapide que beaucoup d’utilisateurs n’ont pas eu le temps de prendre les bons réflexes. On a vu des comportements inacceptables comme rouler sur le trottoir, être à deux, ne pas respecter le code de la route, etc. Ce qui procure un vrai sentiment d’exaspération chez les citadins. » Un ras le bol populaire tel que la start-up a préféré prendre les devants avec une campagne d’affichage et une « Charte de bonne conduite » qui – ca ne manque pas d’ironie – grille la politesse aux autorités ! Alors que la Mairie de Paris vient seulement d’interdire la circulation sur les trottoirs et que le gouvernement planche sur un décret pour la rentrée, la start-up de Toby Sun a déjà déplacé ses zones de stationnement vers les parkings voitures et motos, mis en sourdine la sonnerie de ses véhicules entre 22h et 6h, installé de nouvelles stations de recharges dans les Franprix, recruté 50 « patrouilleurs » pour ranger les trottinettes en bordel, acheté des « vélos-cargos » pour récupérer celles qui sont cassées et créé une école de trottinettes (tous les samedis à 11h, Place Saint-Gervais, Paris 4ème) pour apprendre à ses clients à « trottiner responsable ».

MILLE MILLIARDS

Un nouveau coup de com’? Possible. Mais peut- être aussi le signe que, derrière toutes ces poussées de fièvre en ligne, se cachent aujourd’hui les nouvelles haines de classe (les bobos, les cadres, les écolos, etc) à bon compte et une tragique incapacité à voir le monde autrement qu’en surface. La trottinette électrique en libre-service ? C’est un business de plus de mille milliards de dollars (au moins) ! Des taxes (la Mairie de Paris a déjà pris sa redevance) et des emplois en pagaille (certes, pas tous en CDI). Et une baisse plutôt conséquente de la voiture et des 2 roues en centre-ville chez 47% de ses utilisateurs*. Certains la comparent même à un révolution aussi importante que le train à l‘ère du Far-West. Une chose est sûre : la marche arrière est impossible…

Olivier Malnuit (avec Mathilde Gauthier)

*Un piéton est décédé à Levallois après avoir été percuté par une trottinette, un utilisateur est mort à
Paris après une collision avec un camion.

*Sondage Odoxa pour Lime France