« AU SECOURS, MON AVATAR PREND LE DESSUS ! »

mon avatar prend le dessus

Si l’identité numérique est une projection de soi à partir de l’identité réelle physique, elle n’en est pas moins influente. Y compris sur nos cerveaux fragiles ? 

À la genèse de l’identité se trouve cette merveilleuse relation d’un être à lui-même. Sauf que cette identité est quelque peu troublée par les réseaux sociaux et applications qui régissent une bonne partie de notre vie quotidienne. « L’outil numérique accroît le répertoire de nos identités et multiplie les rôles et les postures que nous pouvons adopter », nous expose le sociologue Olivier Desouches. 

Le lien entre identité physique réelle et identité numérique est complexe. En présentiel, nous nous présentons différemment selon que nous sommes au travail, avec des amis, ou lors d’un rendez-vous amoureux. Idéalement, en ligne, il devrait en être de même. Sauf qu’il est bien moins évident de maîtriser toutes ces identités numériques avec lesquelles nous jouons en fonction des réseaux que nous utilisons. Selon Fanny Georges, chercheuse sur les identités virtuelles, nous devrions « bien séparer toutes nos identités numériques, en particulier notre compte professionnel de notre compte personnel, afin de nous prémunir des malentendus et des stéréotypes ». Les identités numériques seraient donc inconciliables ? Pire encore : nous n’aurions pas intérêt à vouloir les concilier au risque de liaisons dangereuses.

IDENTITÉS RETOUCHÉES 

Problème : aujourd’hui, même au sein d’un seul réseau social, il devient compliqué de se cantonner à un unique usage. Le seul Instagram, par exemple, sert autant de vitrine professionnelle, que pour ses photos de vacances et ses soirées endiablées. De quoi s’y perdre un peu. Instagram est donc passé d’un usage privé à un usage professionnel et privé. La maîtrise de son identité est plus malléable.

En même temps (comme dirait l’autre), le numérique permet aussi de se présenter avec une image sublimée ou truquée. « L’identité numérique est forcément une identité sublimée de soi qui ne correspond pas vraiment à la réalité confirme Olivier Desouches. Je pense notamment au fait de retoucher ses photos ou de ne présenter qu’une facette de sa vie qui fantasme une réalité plus monotone. Cela peut être dangereux ». L’instagrammeur et ancien candidat de télé-réalité Thibaut Morgado avait confessé avoir un tel contrôle de son apparence et de son image qu’il n’était jamais lui-même dans ses photos Instagram.

En créant ces identités retouchées, le numérique engendre une certaine tyrannie du corps en contradiction paradoxale avec la nature digitale de nos identités. Il faut toujours plus de filtres, plus d’images pour attirer l’attention. Cela a forcément pour conséquence « une dévalorisation du corps réel du point de vue de la représentation de soi, car comparés à ces mises-en-scène désincarnées et sublimées par les filtres, le corps réel peut paraître bien banal », complète Fanny Georges.     

La tension entre identité réelle et identité virtuelle est palpable. « Je pense maîtriser mon identité numérique mais j’ai aussi parfois l’impression qu’elle m’influence plus que prévu. Il y a des moments où je me rends compte que je suis mon identité virtuelle dans la vraie vie parce que c’est une meilleure version de moi-même », me dit une amie, Chloé, avec un rictus angoissé. C’est au moment où l’identité numérique prend le dessus sur l’identité réelle physique que des tensions apparaissent. Selon Fanny Georges, deux options s’offrent alors à l’individu : soit une lutte courageuse et un brin idéaliste pour que la réalité rejoigne la fiction, soit un sentiment d’imposture voire de phobie sociale… À vous de choisir ! 


Par 
Anaïs Delatour
Photo DR