« Ce n’est point dans une ménagerie où l’on tient en cage les secrets de Dieu qu’on apprend à connaître la sagesse divine : il faut l’avoir surprise, cette sagesse, dans les déserts, pour ne plus douter de son existence ». Chateaubriand capture en une phrase ce que le désert révèle en songe : la magie et la superbe de la page blanche. Depuis quelques années, l’Arabie Saoudite écrit dans le sable l’histoire de son épiphanie culturelle et dessine les plans de la future capitale des Arts au Moyen-Orient.
Riyadh est une ville comme aucune autre. S’étendant sur plus de 1973 km2, elle ne cesse de grandir et de se moderniser, on s’y déplace quasi exclusivement en voiture, dans notre cas un tonitruant 4×4 conduit par un véritable pilote (en Arabie Saoudite on conduit très vite et pour le Français que je suis, très dangereusement). Bien installé dans ce salon ambulant, on sillonne la ville de galeries en restaurants, et inversement, sur des routes qui semblent infinies.
Je suis tout de suite frappé par à quel point ce voyage est un véritable spectacle des sens. Où que nous soyons, demeure toujours une variation luxueuse de parfums d’épices, de musc et de vent sec. Les repas, invariablement fastueux, sont comme des peintures par touches d’odeurs, de parfums et de textures chamarrés. Et la chaleur ambiante pèse autant qu’elle apaise, en plein mois de décembre…
Les œuvres que nous découvrons sont souvent très colorées et mobiles, toujours d’une finesse rare et d’une justesse artisanale à taille humaine. Les artistes y racontent et leurs histoires et leurs espoirs avec toute la fougue d’un art jeune et prolifique. Je suis particulièrement étonné par la quantité et la diversité des œuvres que je découvre. De tous ces travaux se dégage le désir de dessiner le fil rouge entre deux générations, entre deux visions du monde, qui pourrait sembler oxymoriques, et qui pourtant, cohabitent avec harmonie. C’est difficile à comprendre quand on n’y a pas assisté, mais dans un pays si jeune, le besoin de libertés nouvelles est aussi important que celui de racines profondes, et l’équilibre n’est pas l’affaire d’un jour, mais les deux mondes semblent avoir trouvé une harmonie qui leur appartient et peut accueillir une épiphanie artistique.
Ainsi la ville au mille malls conjugue tradition et modernité avec une cohérence déconcertante. Très protocolaire et religieuse, Riyadh accueille néanmoins un public averti et sensible à l’art contemporain ; c’est plusieurs centaines de familles de tous les milieux qui viennent découvrir la dernière exposition de la Misk Art Week, ouverte à tous, et gratuite. Misk Art est une des cordes à l’arc de la Misk Foundation, un espace de rencontres et d’échanges, qui vise à faire la promotion de l’art contemporain, la curation d’artistes du Golfe et la création de résidences pour accompagner cette nouvelle vague de création saoudienne, tout un programme !
Après un repas traditionnel, dégusté avec délectation, par terre sur un coussin et – quelle joie – avec les mains, nous quittons Riyadh pour nous envoler vers Jeddah, à la fois insatiables et impatients.
À peine arrivés, nous partons à la découverte de Art Jameel, un complexe flambant neuf dédié aux artistes, où se mêlent arts visuels, performances, spectacles d’humour, studios d’enregistrements et salles d’archives, bref, tout ce qu’il faut pour accompagner cette nouvelle ruée vers l’art. En un mot une oasis de collaborations et d’expositions pour toute cette génération de jeunes artistes du Golfe. À l’instar des acteurs culturels de Riyadh, cette initiative confirme l’omniprésence des femmes dans le master plan culturel du pays, ce qu’on ne peut qu’encourager ainsi que ce désir d’ouverture sur le monde.
Ville portuaire, Jeddah était déjà tournée vers l’ailleurs depuis longtemps et offre un autre regard sur le pays : le protocole y est plus élastique et, comme partout dans les pays arabes, mais ici plus encore, la chaleur de leur accueil y est plus que rafraîchissante.
Impatient de mon passage sur le tapis rouge du Red Sea Film Festival 2021, je demande à notre affable guide, Faris, de m’accompagner choisir une thauwb (tenue traditionnelle pour homme), qui fit ravage sur le photo call et auprès des saoudiens qui nous accompagnèrent. Je décidais donc de me rebaptiser Melchior d’Arabie, humilité légendaire oblige.
Cette première édition du festival est un indéniable succès, les stars saoudiennes et internationales se pressent pour découvrir ce nouveau cinéma (qui rejoint les quelques centaines de nouvelles salles qui ont poussé ex nihilo depuis la levée de leur interdiction). Et nos stars françaises ne manquent pas à l’appel, et Catherine Deneuve, Vincent Cassel, Thierry Frémaux, Jack Lang et j’en passe, foulent le tapis rouge et assistent à la projection du Cyrano de Joe Wright. On dirait Cannes en hiver. Nous finissons cette belle rencontre avec Jeddah en visitant sa vieille ville qui résonne d’histoires et n’a rien perdu de son charme séculaire, en dînant face à la mer sous un ciel d’étoiles qui semble annoncer le plus joyeux des levers de soleil.
Je suis parti en Arabie Saoudite, je l’avoue, avec des idées préconçues et un mélange de curiosité et d’appréhension. Fardeaux de l’ignorance… Et pourtant, j’y ai rencontré l’envie, le paradoxe, la création, la jeunesse de l’Histoire, une variation nouvelle du respect, une avidité de couleurs, et l’intuition profonde qu’il se passait ici, quelque chose d’extraordinaire qui méritait qu’on en parle. Combien de fois assistons-nous à la floraison d’une culture nouvelle ? Qui peut se targuer d’avoir été là en premier quand tout a changé ? Pourquoi s’encombrer d’aprioris quand on peut célébrer l’envol et l’espoir ? Je ne suis pas naïf, je suis optimiste.
Le Prince Ben Salman, a lancé en 2016 Vision 2030, un plan de réformes, à la fois sociales, d’amélioration des services à la population tout en revalorisant la culture, l’héritage et l’identité saoudienne, et économiques pour sortir le pays de sa rente pétrolière en diversifiant son économie, mais aussi politiques en prônant transparence et participation de la société civile.
Hegel disait : « l’histoire n’est pas le lieu de la félicité. Les périodes de bonheur y sont des pages blanches »… Autorisons-nous à croire au bonheur, même s’il n’est âgé que d’une page. L’Arabie Saoudite est définitivement exotique, à part, il s’y passe un truc, indicible parce que fragile, on n’ose pas en parler de peur qu’il s’effondre, et pourtant pour tout ceux qui l’auront vécu, cet avant-goût d’avenir, il y aura toujours dans nos imaginaires ce clin d’œil de l’Histoire. Soyons optimistes, quels que soient les défis, quelles que soient les obstacles, toutes les plus belles bagarres, tous les plus grands bouleversements, sont enfants de l’art et des artistes. Je prends donc le parti de croire et de célébrer la création, en attendant d’en déguster le succès, cher désert, ce n’est qu’un au revoir.
Par Melchior Riant