[LES ARCHIVES TECHNIKART] QUAND BENJAMIN BIOLAY SE CONFIAIT À TECHNIKART

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En 2007 Biolay nous racontait la nouvelle chanson française, sa dépression, sa femme Chiara, « Voici »… Entretien coup de boule. 

Benjamin, comment as-tu vécu le bide de ton précédent album ?
Avec A l’origine, j’ai enfin vécu le gros fantasme morbide de l’échec. Bonnes critiques et chiffres de vente de merde : 40 000 exemplaires alors que Virgin espérait quatre fois plus. La veille de la sortie, la maison de disques fait une fête et puis après, tu n’as plus personne au téléphone, la vraie solitude. Tu sors un disque, tout le monde s’en branle, d’autant que la crise du disque bat alors son plein et que tout le monde se fait virer. Ils ont eu une rhétorique hyper forte : pour éviter que les artistes ne les attaquent – c’est quand même eux qui fabriquent les disques –, ils ont tapé sur le consommateur avec des crétins comme Zazie et Louis Chedid qui disaient : « Il faut acheter ma musique. » J’ai cherché : il n’y a aucun morceau de Chedid à télécharger sur le Net ! Le problème, c’est la médiocrité de la production et l’incapacité à protéger la musique. La maison de disques, de toute façon, est une espèce en voie de disparition. 

Dans ta bio, tu te présentes comme un imposteur…
Je sais qu’il y a des gens qui me prennent pour un imposteur, moi aussi même si, de temps en temps, je me prends pour le roi du monde. Je reconnais que j’ai eu beaucoup de chance. Les gens me prennent pour le prince du quartier Latin alors que je viens de Villefranche-sur-Saône. A un moment, j’ai eu un truc un peu nihiliste et romantique dans cette posture de l’imposteur. Ce qu’on ne peut pas m’enlever, c’est que la musique, c’est mon truc depuis que j’ai 8 ans. Mais je comprends que mon parcours agace, d’autant qu’on vit dans un système où l’on est médiatisé trop vite. 

Tu viens de quel milieu ?
Ouvrier par ma mère, petit-bourgeois déclassé par mon père. Milieu de smicards avec des reliquats de culture bourgeoise. On écoutait Chopin le dimanche. Je suis un peu un mutant social. Comme tout ado, j’ai vite voulu me tirer très loin.

Ta réussite, c’est une revanche sociale ?
A un moment, oui. J’avais pas envie de vivre chichement. J’ai toujours été un flambeur avec les thunes, mais je suis resté socialiste : l’argent comme objectif, c’est immonde ; comme récompense, c’est cool.

Qu’est-ce qui t’a rapporté le plus d’argent ?
Henri Salvador. 1,5 MF, que tu coupes en deux avec les impôts. Le pactole de ma vie. Là, tu fais chauffer la carte et ça va pas s’arrêter. Comme ça se passait mal humainement avec lui, ça compensait. 

C’était quoi, le problème avec Salvador ?
C’est un gros connard, pas franc, pas généreux, compétitif. Il a encore la haine envers Charles Trenet. La première fois que je l’ai vu, il m’a dit de me méfier de Jacques Canetti, un directeur artistique de Barclay mort dans les années 70 ! 

Tu n’en as pas marre d’être comparé à Gainsbourg ?
Citer Gainsbourg à tout va, ça a été une maladresse mais une manière polie de ne pas dire que le reste de la chanson française me débecte à mort. Gainsbourg, je l’ai choisi par défaut dans le panthéon des guides des années 80, aux côtés de Coluche et Mitterrand. Je trouvais qu’il avait un bon job : écrire pour les femmes. Mais je me suis trouvé très vite coincé par cette référence.

Avec « Trash Yéyé », on a l’impression que tu es passé en mode Gainsbarre…
Je le trouve plus romantique, plus Gainsbarre. Love on the Beat, c’est intense, tu sens qu’il a envie de faire mouiller les meufs. Il a un truc très rock’n’roll, même s’il est passé par des moments de beauferie dégueulasses.

Tu parles beaucoup de cul sur cet album…
Je voulais pas être obscène, je voulais être cru. Je trouve que se faire sucer, c’est un des trucs les plus cool du monde. J’ai remarqué au final que l’album était super cul et super désespéré même si le fil conducteur reste quand même l’amour. Une pipe, c’est aussi une expression de l’amour un peu hypnotique.

Est-ce que c’est un disque de rupture ?
Sans tomber dans les détails privés, c’est un album qui relate une dépression sans être dans la complaisance. Je vivais dans un champ de mines, j’écoutais zéro musique, j’avais la haine de la chanson française, je voulais démolir tout le monde. Si j’avais été journaliste, j’aurais écrit des horreurs.
 

« LE PIRE, C’EST BÉNABAR.ET DE TRÈS LOIN. JE COMPRENDS PAS COMMENT ON PEUT AVOIR ENVIE D’ÊTRE CE GARS-LÀ. »

 

Tu te sentais pris au piège ?
Quand il y a des mouvements collégiaux, c’est inéluctable de te retrouver catalogué au milieu de gens avec qui tu n’as rien à voir. Moi, ce mouvement de la nouvelle chanson française me débecte, et si j’étais à votre place, je tirerais également dans tous les sens pour des raisons éducatives : il n’y a plus de mélodies, les thèmes sont sans intérêt, quotidiens, affreux mais… ça marche. Tu prends le métro, tu vois des affiches pour des Fabien Martin et des Martin Fabien qui ont tous la même tête. 

Ça t’emmerde vraiment d’être assimilé à Delerm et Bénabar ?
Le pire, c’est Bénabar. Et de très loin. Lui, c’est le champion. Je comprends pas comment on peut avoir envie d’être ce gars-là. Quand j’étais petit, j’avais envie d’être un Beatle ou un Platini. Tu te fantasmes pas en mec habillé en fonctionnaire des postes qui te dit : « Tiens, on va se faire livrer une pizza. » Voir Bénabar vendre 700 000, c’est pas normal.

Il y a un côté très réac’ à se recentrer sur le terroir ?
Un fantasme du terroir, tu veux dire ! Va voir le terroir, c’est des white trash, des ados qui vivent sur des départementales entre des McDo et des Monsieur Meuble, qui prennent du MDMA et font des plans cul sur Meetic. Le terroir est mort avec la désertification des campagnes. La vraie France, c’est des suburbs à l’américaine.  

La nouvelle chanson française ne privilégie-t-elle pas une connivence culturelle avec un public très bobo ? Tu ne trouves pas que Delerm, par exemple, véhicule un univers culturellement excluant ?
Trop segmentant, en tout cas. Moi, pour dire la vérité, le côté soirée étudiante me dégoûte. C’est renier tous les efforts qui ont été faits dans les années 80 par les adolescents, par Actuel, par Mitterrand. Alors que l’avenir de l’humanité, c’est le métissage, la nouvelle chanson française se concentre sur une classe sociale, une ethnie, blanche de surcroît. Moi, je veux pas être sur la photo avec eux.

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Travailler pour Salvador ou Gréco, c’est pourtant s’inscrire dans une filiation…
Salvador, j’étais fan quand j’étais petit. Quand je l’ai rencontré, il était à la ramasse. Salvador, c’est un artiste anecdotique génial qui a fait que des conneries dans sa vie. Gréco, faudrait être con pour refuser. C’était quand même la fille qui se tapait Miles Davis, qui était dans les camps. Elle incarne une France que j’aime, une idéologie forte. 

Tu fais une distinction entre le rock et la variété ?
Quand j’ai entendu les Naast, j’ai eu une pensée sincère pour Dominique Laboubée des Dogs (groupe français de la fin des années 70 – NDLR) qui est mort comme un con, dans la merde. Lui, c’était un vrai rocker. Pour moi les gamins, ils font de la variété, du Téléphone.

L’album que tu as composé pour Elodie Frégé, c’était de la provoc’ ?
Quand on m’a proposé de bosser avec Elodie Frégé de la Star Ac’, j’ai ricané comme un débile. Puis je l’ai rencontrée, je l’ai trouvée charmante. J’étais dans cette période dark où j’en avais rien à foutre, je me suis dit : « Je vais faire le pire de ce qu’on attend de moi. » 

Tu as souffert des critiques ?
Au bout du cinquantième tacle de Ludovic Perrin (journaliste à Libération – NDLR), j’ai pété les plombs. Il a porté plainte contre moi sur la base d’un SMS où je lui disais : « Maintenant, chaque fois que je te vois, c’est une baffe dans ta gueule. » Ce mec, il fréquente Raphaël, Bénabar, dans la vie, il veut écrire des textes. Il m’avait dit : « Toi et moi, on est l’attelage de rêve pour faire un disque avec Jacques Dutronc. » Au bout de la troisième tentative, je lui ai dit : « Tu passes pour un gros baltringue avec tes textes déposés à la SACEM alors que t’es journaliste à Libé. » Bon, il l’a mal pris.

Et avec le dessinateur Luz, qui y est allé au mortier avec sa BD « J’aime pas la chanson française » ?
Je l’ai attaqué car il a représenté Catherine Deneuve consolant mon ex-femme (Chiara Mastroianni – NDLR) en lui disant que Marcello aussi était un queutard. Moi, j’ai beaucoup de respect pour Mastroianni, que je n’ai pas connu. J’ai donc fait un procès à Luz.

Mais quand tu mets en scène ton couple sur « Home » et la promo qui s’en suit, tu suscites un intérêt voyeuriste sur ta vie privée…
Quand tu le fais, tu t’en rends pas compte. Tu fais un disque avec ta copine, pas avec Chiara Mastroianni. La grosse connerie, c’est d’avoir fait la promo ensemble. Faire la couverture de Elle, j’aurais dû dire non. Je regrette de l’avoir mise dans cette galère : elle s’en est pris plein la gueule alors que notre truc était sincère, à l’origine.

Comment tu as réagi quand tu t’es retrouvé dans « Voici » ?
C’est là que j’ai commencé à tomber en dépression nerveuse. C’était la honte : tu vas chez le coiffeur, tu te fais allumer. Ça m’a fait vraiment mal. 

Tu viens de jouer dans deux films (« Sang froid » de Sylvie Verheyde et « En visite » de Vincent Dietschy). Le cinéma, c’est une tentation narcissique irrésistible ?
Non, pas du tout. Je pense qu’il n’y a rien de plus narcissique que ce que je fais déjà, chanteur, où tu fais ta petite pute. Le cinéma, j’en avais rien à foutre. On me l’a proposé, j’ai accepté. 



Entretien Clovis Goux dans Technikart #114 paru en été 2007
Photo : Seb et Enzo