« LA CONNASSE VOUS SALUE BIEN ! »

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Derrière le personnage d’Andréa Martel, la redoutée adjointe de l’agence ASK dans 10%, se cache l’ex-Connasse de Canal, Camille Cottin. La comédienne nous décrypte sa filmo quasi-impeccable*, construite à coups de « non » bien sentis et de seconds rôles fortiches. Une parfaite numéro deux ?

Le signe des grand(e)s comédien(ne)s ? Rendre supportable, voire agréable, par leur simple présence, le visionnage du plus épouvantable nanar. C’est le tour de force réussi par notre coverstar, qui se retrouve ce mois-ci à l’affiche du nouveau Christophe Honoré, Chambre 212 (imaginez le remake d’un Alain Resnais par Patrick Sébastien). Depuis son rôle de Connasse en 2013 et de super-agent de 10% depuis 2015, Camille Cottin a su éviter la plupart des pièges tendus aux jeunes comédiennes estampillées « comiques » : tourner avec Jean Reno, jouer la jeunette dans les « quinqua-comédies », accumuler les panouilles dites « pour le percepteur »… Tout en se faisant repérer, discrètement, par les plus grands réals anglo-saxons. Nous interviewons d’ailleurs en direct du plateau d’un des projets US les plus excitants de 2020…

Hello Camille. Tu es à Marseille pour un tournage ?
Camille Cottin : Oui, du nouveau film de Tom McCarthy (Oscar du meilleur film pour Spotlight en 2016, ndlr). J’y joue une Française aux côtés de Matt Damon et d’Abigail Breslin, c’est tout ce que je peux en dire.

On est bien loin de ton tout premier film : Yamakasi d’Ariel Zeitoun en 2001.
Oh la la ! J’avais 20 ans (au moment d’être choisie pour le film en 1999, ndlr). Je passe d’abord le casting pour le rôle d’une des copines des Yamakasi, et je ne suis pas retenue. Mais on me propose celui de l’institutrice, où j’ai une phrase, voilà. Et après je ne ferai plus de cinéma pendant 15 ans !

Et Camille Cottin à 20 ans, ça donne quoi ?
Je sors du Cours Périmony (l’école dramatique créée par Jean Périmony, ndlr), après avoir vécu cinq ans à Londres (j’étais au Lycée français, on était partis là-bas avec ma mère, mon beau-père et ma soeur quand j’avais douze ans). À Paris, je fais une maîtrise d’anglais à La Sorbonne en même temps que mes cours de théâtre. Mes parents savent que je veux devenir comédienne, mais me demandent de poursuivre mes études. Et j’ai beaucoup aimé la fac, contrairement à l’école. On te laisse une certaine indépendance, tu gères ton travail comme tu veux…

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Et le mood artistique à la maison ?
Mon père est peintre (le peintre Gilles Cottin, ndlr), ma mère faisait plusieurs jobs (avant de s’arrêter de travailler pour s’occuper de mes soeurs). Elle était tournée vers l’art, la littérature, le cinéma, la musique… Mon père, même s’il était peintre, ne m’encourageait pas du tout à être actrice, trop dur selon lui. D’ailleurs, les six premières an- nées après Périmony, je ne ramenais vraiment pas d’argent du tout. Je gagnais ma vie en donnant des cours d’anglais, en étant vendeuse, serveuse… Et lui avait du mal à comprendre qu’en sortant d’une école à 20 ans, tu ne gagnes rien. À partir de 25 ans, je commençais à gagner de l’argent avec des voix, des pubs, ce qui permettait de payer les spectacles à Avignon. Quant à mon beau-père, qui avait bossé dans la finance, il était très exigeant, il me disait : « c’est magnifique d’avoir une passion, mais par contre, il faut y aller à fond, sois la meilleure. » Alors « la meilleure », je n’aime pas trop ce concept, mais ça m’avait marquée. On avait regardé Bonnie & Clyde, et il m’avait dit, « tu vois, il faut aller jusqu’au bout ». (Rires.)

Tu démarres dans les petites salles parisiennes.
Oui, on a joué, avec des amis rencontrés à Périmony, aux Trois bornes, et ses 40 places ! Au café d’Edgar dans le 14ème, on a fait des Festivals d’Avignon ensemble… Des trucs autoproduits, mais qui ouvraient des portes. Après, je suis entrée dans une troupe, pendant deux ans j’ai travaillé sur Le Maître et Marguerite de Boulgakov, pour le monter, et le soir j’allais jouer Week-end en ascenseur au café d’Edgar. C’était ça ma vie.

Avec le festival d’Avignon chaque été…
En tout, j’en ai fait sept à Avignon, dont un coécrit et produit avec une amie, Alexandra Chouraki : Le Lifting de Madame Benichou. Quand je dis « produit », c’est vraiment très artisanal : on se servait de l’argent gagné avec les pubs et les voix pour payer les billets de train des acteurs, louer la maison, imprimer les affiches, payer la salle, les costumes… C’est extrêmement formateur d’avoir à tout faire. C’est enthousiasmant quand tu es jeune, ça te permet de te dire : « tout est possible ». On peut se mettre à plusieurs pour trouver l’argent, on monte son truc, et on essaie de le faire exister parmi 1.300 spectacles. Avignon, ça peut être dur : il faut tenir 31 jours, tu joues non-stop… Et quand ça ne marche pas, c’est tendu… Mais ça te permet d’apprendre, d’une manière presque artisanale : faire l’apprentissage de son métier et le vivre – sans être dans l’attente.

Avant tes vrais débuts en 2013-2014, tu fais un pas- sage par la Troupe de Palmade.
(Elle coupe.) Comment ça, « vrais débuts » ?

Le début de ta médiatisation, alors.
Voilà, je préfère ! Souvent quand je faisais des interviews, on me disait : « et donc les années de galère ? » Mais ce n’était pas du tout des années de galère ! De toute façon tu n’as pas les mêmes besoins financiers à 20 ans qu’à 40 ans. Et si c’était à refaire, je le referais. C’est un moment de ma vie que je revivrais avec beaucoup d’entrain et de joie.

« J’AI FAILLI NE PAS POUVOIR FAIRE CONNASSE. »

Ces débuts sont liés à tes rencontres avec Noémie Saglio et Eloïse Lang, les créatrices de Connasse, et avec Mona Achache et Camille Chamoux, la réal’ et l’auteure du film Les Gazelles (2014).

Alors Chamoux, elle était déjà dans Le Lifting de Madame Benichou, c’est une old-school, et c’est elle qui m’a mise sur le casting de Connasse. C’est là que je rencontre Eloïse et Noémie pour la première fois.

Où en était le projet à ce moment-là ?
On était en février 2013, je les ai retrouvées dans l’appart de leur productrice, et elles ne savaient pas encore si ça allait être en caméra cachée. Elles avaient une prod’ qui produisait le pilote, mais aucune chaîne, c’était un peu nébuleux ! Mais sur le papier, c’était très excitant.

C’est donc ta pote Camille Chamoux qui te dit « y a ce personnage de connasse, j’ai pensé à toi ». Sympa.
En fait, elle préparait Les Gazelles (le film tiré de son spectacle qui sortira en 2014, ndlr), donc elle était hyper occupée. Elle connaissait la productrice qui lui raconte un peu le projet, et Chamoux lui dit, « appelle ma copine Camille ».

Et comment se passe le casting ?
Elles me disent « tu es dans un taxi » et je dois faire une impro. Noémie filmait, Eloïse était assise sur le canapé, elle ne disait rien, poker-face. On commence le casting, et Noémie me dit : « tu vas te présenter en connasse ». Je lui réponds : « mais tu vas me filmer avec çaaa ? ». Je l’ai déstabilisée. Elle n’avait pas compris que je commençais l’impro’.

Et Connasse passe sur Canal à la rentrée 2013, d’abord dans Le Before, ensuite dans le Grand Journal. Succès immédiat.
C’était complètement inattendu, fou. Je passe le casting en février, on tourne direct en mars, et Canal nous com- mande les épisodes fin juin, début juillet. C’était marrant, un peu vertigineux. Je ne m’y attendais pas du tout, je ne pensais pas qu’on ferait un succès. Je me disais : « la caméra cachée, c’est un concept des années 80 » ! Après, je trouvais les textes de Noémie et Eloïse drôles, ils me parlaient.

Vous formiez un trio fusionnel ?
Très tôt, il y a eu un moment où le projet était mis en danger (Canal+, qui voulait mettre en avant un « talent Canal », n’appréciait pas la participation de Camille Cottin à la série Pep’s sur TF1, ndlr). J’ai failli ne pas pouvoir faire Connasse. Et alors que je ne la connaissais que depuis quatre mois, Eloïse m’a dit : « de toute façon, si ce n’est pas avec toi, je ne le ferais pas ». Elle avait fait de la pub pendant 10 ans, c’était énorme pour elle de pouvoir lancer son truc sur Canal. Le fait qu’elle me dise ça, ça a scellé un truc.

*L’épouvantable Chambre 212 de Christophe Honoré est toujours en salle, hélas.
Les Éblouis de Sarah Suco : en salle le 30 novembre.

Suite de l’interview à retrouver dans le Technikart N°235

Entretien Laurence Rémila
(Merci Xavier Magot & Jean-Baptiste Chiara)

Photos Anaël Boulay
Make-up Leslie Dumeix
Coiffeur Olivier de Vriendt
Merci Le Serpent à Plume 24 Place des Vosges, 75003 Paris