[LES GRANDES INTERVIEWS TECHNIKART] : RENCONTRE AVEC MORRISEY, L’HOMME QUI PLOMBE À PIC

Morrissey Technikart

Paru dans le numéro 129 de Technikart

C’est le titre de son nouvel album: «des années de refus». Contre vents et moulins, Morrissey continue de dire non aux modes jetables, non à la people culture, leur opposant sa classe de crooner flamboyant. Rencontre exclusive avec le dernier des glam-rockers.

Juillet 1972, Manchester, citée industrielle du Nord anglais. Steven Morrissey vient de subir ses 13 ans. Mal dans sa peau, mal à l’école, mal dans sa famille, il peut ce soir sortir de son misérable quotidien : son père, brancardier à l’hôpital, l’emmène à son premier concert. T.Rex se produit au Belle Vue. C’est Hiroshima dans la tête de Steven. Il voit un autre monde possible. La vie magnifiée.
Au fond de la scène clignotent les lettres géantes T*REX. Au micro, un dieu, Marc Bolan, pantalon lamé or, redingote de smoking décorée de strass éclatants. Il irradie quand il chante son nouveau tube, Children of the Revolution. Steven l’a sous ses yeux, la révolution. C’est ce glam rock qui le fait se sentir vivant : les disques qu’il écoute religieusement dans sa chambre de Hulme, quartier prolo de la ville, les visuels qui le font fantasmer. David Bowie, ses cheveux roux qui virent au rouge, la pochette de The Man Who Sold the World où il pose, lascif, en robe. Roxy Music, leurs photos si glamours, leurs tenues si extravagantes.

Morrissey Technikart


ÉCHAPPER À LA MÉDIOCRITÉ

Le glam-rock : c’est l’alternative flamboyante aux musiques du moment, folk baba-cool ou progressif assommant, et à la crise qui fond maintenant sur l’Occident. Steven le comprend : l’art permet d’échapper à la médiocrité. Est-ce qu’on peut rêver d’une vie rangée, se contenter d’un bon salaire, doit-on comme papa et maman fonder un foyer ? Non, il n’y a aucune raison. Fantasmer sur une existence faite de fric et de baise ? Encore non.
Steven lit Virginia Woolf et Oscar Wilde, et se trouve des idoles encore plus folles. Jobriath, cette créature qui pose nue, intitulant un de ses albums Creatures of the Street. Et les New York Dolls. Steven, éberlué, les découvre pour leur première apparition à la BBC en 1973. Le chanteur, David Johansen, ressemble à Jagger – un Mick déguisé en pute de Broadway –, alors que le guitariste, Johnny Thunders, s’exhibe en cuir moulant et rouge à lèvres dégoulinant. La décadence personnalisée, si fascinante.

« JE SAVAIS QUE JE SERAI UNE POP STAR, MÊME SI J’AVAIS DE L’ACNÉ. »

FAN CLUB DES NEW YORK DOLLS
Steven quitte bientôt l’école. Il ne s’emmanche pas sur la même voie de garage que ses parents – travail, famille, avanies. Il va refuser de boulonner. Il a trouvé une occupation plus passionnante : s’occuper du fan club des New York Dolls, leur consacrer une biographie, écrire sur la musique. Et puisque les Poupées New-Yorkaises implosent en 1977, Steven s’en sent le courage, c’est évidemment sa mission sur Terre : former son propre groupe, reprendre le flambeau, s’imposer comme l’ultime, le dernier des glamorous stars.
Trois décennies plus tard. Steven, l’adolescent mé prisé, n’existe plus. Place à Morrissey, « the last of the famous glam crooner ». La BBC, chaîne sur laquelle il a découvert les Dolls, l’a nommé dans son duo de tête des « Top living icons ». The Independent a constaté : « La plupart des pop stars doivent attendre la mort avant de décrocher le statut iconique que Morrissey a atteint de son vivant. »

« DERNIER MESSIE POP »
Le magazine américain People le qualifie de « dernier messie de la pop ». Morrissey, qui atteindra 50 ans en mai prochain, reste fidèle à ce qui l’a révélé. Il s’est lui aussi offert des lettres de scène géantes à son nom, a enregistré le hit Cosmic Dancer de T.Rex, il a tourné avec David Bowie (l’ex-Ziggy lui ayant fait l’honneur de reprendre une de ses chansons), il a présidé à la reformation des New York Dolls et a fait rééditer l’œuvre de Jobriath, mort du sida.
« Je savais que je serai une pop star, même si j’avais de l’acné et qu’on me disait que je rêvais. Je savais, au plus profond de moi, que j’étais glamoureux. » L’héritage glam, Morrissey l’endosse. Le reste, le consumérisme pop-culturel, les conventions sociales, le cool et la fashion, il continue de l’honnir. Titre de son nouvel album : Years of Refusal, des années de refus.
A 18 ans, il traîne dans la mouvance no future. On le repère dans l’entourage des Buzzcocks, il deviendra même un proche d’Howard Devoto, qui forme Magazine. Lui, rallie le groupe punk Nosebleeds. Socialement handicapé, refusant d’écluser des pintes avec des potes, Steven passe son temps à lire, voir des films, écouter de la musique et écrire (il publiera le livre James Dean Is Not Dead). Il prend des médocs, reste au lit. Andy Warhol : « Tout est plus glamour quand vous le faites sur votre lit. Même peler des pommes de terre. »

Morrissey marin
QUERELLE D’EVEREST
Look marin pour Morrissey. Il bombe le torse, comme son nouvel album, façonné avec ses musiciens mi- rockabs, mi-plombiers, tous dédiés au culte de la personnalté – celui de sa majesté le Moz.

LA VOIX DE L’OPPRESSION
Un jeune guitariste, Johnny Marr, ose venir le déranger. Enfin, tout s’emballe. The Smiths sort son premier single en 1983. A l’époque, le meilleur groupe au monde est mancunien : New Order, qui vient de lancer la bombe électro Blue Monday. L’idée de The Smiths : faire le contraire, revenir aux guitares, inventer le futur en évoquant Elvis et The Kinks. Les numéros un de l’époque (Spandau Ballet, Duran Duran, Paul Young…) font dans la pop synthétique, véhiculent du yuppisme, prônent le fun. The Smiths s’attaquent bille en tête à la misère humaine.
Morrissey, dont l’ambition est de « capturer la voix de l’oppression », écrit sur l’horreur des conventions, sur le mépris et l’insurrection. Il chante cela avec classe, hauteur, amertume, humour, désespoir et mordant. Il a un discours (incorrect), une aura, les médias prennent l’habitude de lui demander son avis sur tout : la polémique rôde toujours.

« MORRISSEY », ARTISTE SANS PRÉNOM: LE CONTRAIRE DES PRODUITS DE LA STAR AC’.

Margaret Thatcher vient d’être reconduite à son poste de Premier ministre. Elle a lancé la guerre aux Malouines, fait copine comme cochonne avec Ronald Reagan, dirige le pays de l’ultralibéralisme dans son gant de fer. Les classes laborieuses morflent. Le 12 octobre 1984, elle échappe à une bombe de l’IRA. Cinq morts. Morrissey est interviewé. « La vraie tragédie, c’est que Thatcher en ait réchappé. » Désormais, des gardes du corps l’escorteront. En 1986, quand The Smiths sortent The Queen Is Dead, alors que Lady Di devient une idole inattaquable, le chanteur ne participe pas à la liesse populaire : « Diana n’a de sa vie jamais prononcé une seule phrase qui soit utile au genre humain. » Autres cibles : « Je ne supporte pas tous ces artistes du Top 50, Janet Jackson, Whitney Huston, ils sont abjects à l’extrême. »

«HORREUR DES DROGUES»
Quand le bassiste aura un problème d’héroïne, il trouvera un mot sur son pare-brise : « Andy. Tu as quitté les Smiths. Bonne chance et au revoir. Morrissey. » Un sacré rabat-joie, le Moz : « J’ai horreur des drogues. J’ai horreur des cigarettes. Je suis célibataire et j’ai un mode de vie très sain. » Il le proclame : « Nous sommes réactionnaires. » Plus tard : « The Smiths étaient en rupture avec tout ce que leur époque véhiculait. » Pourquoi s’inscrire en réaction à l’époque ? Parce que si les utopies s’effondrent, Morrissey refuse de céder au cynisme généralisé. Jerry Rubin et David Bowie, anciens porte-parole de la contre-culture, se sont reconvertis dans la finance, la pop devient synonyme de business (Madonna), le rock de bouffonnerie (Mötley Crüe), l’image supplante la musique (MTV), le marketing remplace la sédition. Il s’agit d’adopter une pose cool. A tout ça, Morrissey, hussard mi-Don Quichotte, mi-Huysmans, dit non. Sa façon de continuer le combat que tout le monde a abandonné : inventer une contre-contreculture, en privilégiant l’indépendance et le panache.

« THE SMITHS ÉTAIENT EN RUPTURE AVEC TOUT CE QUE LEUR ÉPOQUE VÉHICULAIT. »

SMITHSMANIA
Dès leurs premiers singles, The Smiths ravagent l’Angleterre. D’abord à petite échelle. Mais partout où ils se produisent, des légions se soulèvent. Chaque live est une célébration. Le charisme du chanteur stupéfie. Il donne tout. Il y croit. C’est une question de vie. Plus personne ne doit prononcer son prénom, même les membres du groupe sont sommés de l’appeler « Morrissey ».
Leur deuxième album, Meat Is Murder, détrône Born in the USA en tête des charts anglais. L’Amérique est prise d’assaut. Pour leur première partie, Morrissey choisit un show de drag queens. Backstage, des stars (Iggy Pop, Mick Jagger) se pressent pour féliciter le chanteur, qui refuse de les recevoir. Dans la chanson Voleurs à l’étalage du monde entier, unissez-vous : « J’ai essayé de vivre dans le monde réel plutôt que dans ma coquille, mais j’ai été lassé avant même de commencer. »
La Smithsmania atteint un paroxysme angoissant quand un teenager se pointe en 1987 dans une Page 29 radio de Denver. Il a un fusil, ordonne que la station ne diffuse que des chansons de son groupe adoré. Il ne se rend qu’au bout de quatre heures. The Smiths se rendent, eux, au bout de cinq ans. Nick Kent : « La nouvelle de leur séparation provoqua plus de suicides que les annonces réunies de la mort d’Elvis, de la séparation des Beatles et du split des Stones. »

FANS CHICANOS
Sans son groupe, le Moz ne chute pas, au contraire : son premier album solo, Viva Hate, se place directement numéro un des charts. Il se termine par la chanson Margaret on the Guillotine, l’auteur ajoutant : « Je m’en chargerais bien moi-même. » La police perquisitionne à son domicile. En 1990, Thatcher laisse sa place à John Major, qualifié par Morrissey de « terrible erreur de la nature ».
Le Moz a atteint la trentaine, il entretient son culte de la personnalité, séduit de plus en plus massivement le public américain, à l’heure où REM joue dans des stades. Morrissey bat le record des Beatles en vendant tous ses tickets pour son concert à l’Hollywood Bowl en vingt-trois minutes.
Il partira d’ailleurs s’installer à Los Angeles, sur Sunset Boulevard, dans la villa que Clark Gable a offerte à Carole Lombart, demeure autrefois habitée par Francis Scott Fitzgerald et John Schlesinger. Il fête Thanksgiving avec Pamela Anderson et une dinde vivante, prend le thé avec Nancy Sinatra. Il ne répond pas au téléphone, communique par fax. En dessous de chez lui campent ses nouveaux fans, des hordes de jeunes chicanos flamboyants, pour qui le chant tourmenté du Moz sonne comme un impératif cri de ralliement.

GANG DE ROCKAB
Musicalement, le Moz ne cède à aucune mode, restant fidèle à ses amours, le glam et la pop. Il a recruté un gang de rockab (vieillissants et interchangeables), se fait produire par des collaborateurs de Bowie (ou par n’importe qui), chantant magnifiquement des morceaux composés avec des seconds couteaux. L’important, à l’ère du téléchargement, c’est de se donner aux lives ardents, à un « never ending tour » galvanisant.
Le rock des années 90, c’est Nirvana aux Etats-Unis, Oasis et Radiohead en Angleterre. Des admirateurs du Moz, comme la nouvelle vague des années 00, Strokes, Libertines et Arctic Monkeys, comme certains artistes du hip hop (OutKast) ou de l’électro (LCD Soundsystem). Morrissey s’avère finalement moins rétro que les jeunots de The Last Shadow Puppets et Babyshambles. L’indie s’est muée en overground. Le mainstream redevient horrible.

« LE MOT CÉLÉBRITÉ EST DEVENU DÉGOÛTANT. »

NE JAMAIS SE REFORMER
Morrissey a tout dit ? Il peut le redire : l’artiste du refus reste une bouée charismatique, alors que la pop culture oscille entre le cimetière et le dépotoir, vidée de son sang par le jeunisme, le coolisme, le peopolisme et le consumérisme.
« Le monde ne veut pas vraiment, exclusivement, de Broccoli Spears, il existe aussi des auditeurs éclairés. J’ai chéri les célébrités, celles dont l’intelligence me touchait. Le mot célébrité est maintenant tellement dégoûtant, il ne semble s’appliquer qu’à toute personne qui mérite tout, sauf d’en être une. » Le Moz est une icône, pas un people. 75 M$ lui ont été proposés pour qu’il reforme The Smiths. « Je préférerais manger mes propres testicules, ce qui signifie quelque chose pour un végétarien comme moi. » Refusal. Panache. Et interview exclusive, en tête à tête, dans un palace londonien.

Morrissey Technikart
REPOS DU GUERRIER
Rare moment de répit pour Morrissey, engagé depuis belle lurette dans un «never ending tour». Ses lives restent des moments de grâce où le charisme du dandy rocker prend toute sa démesure.

BONJOUR, NAYS TOU MITE YOU…
Bonjour, vous arrivez de Paris ? Vous allez bien ?

ÇA VA, MERCI, ET VOUS ?
Moui… Dites-moi, vos cheveux… Ils sont vrais ?

C’EST UN GRIS NATUREL, LE STRESS, LA VIEILLESSE.
Ah… C’est… Chouette… Sacrés cheveux… C’est très important, ce genre de choses. Très. Vous attendez depuis longtemps, vous avez bu quoi ?

TROIS CAFÉS.
Ah. Professionnel, pas d’alcool ? Moi, je bois une Corona.

JE NE SUIS PAS ANTI-ALCOOL.
Vous avez pu écouter l’album ?

OUI, J’AIME BEAUCOUP LA CHANSON «WHEN I LAST SPOKE TO CAROL».
Ah oui ? Vous dites ça pour me faire plaisir ? Ça n’a pas d’importance ?

COMMENT ÇA ?
C’est juste par politesse ? Vous le ressentez ?

«SEBASTIAN», C’EST UNE CHANSON DU GROUPE GLAM COCKNEY REBEL.
Tout à fait. Et Sebastien, c’est le fils de Charlie Browne, un homme qui a travaillé avec moi. Son enfant représente beaucoup de choses. Il l’a eu avec Susan, qu’il a rencontrée à un concert, j’étais sur scène, à Boston, ils sont tombés amoureux. Il y a la musique, il y a la vie.

CE N’EST DONC PAS UNE POCHETTE IRONIQUE.
Il y a de l’humour, aussi. Cette pochette vous a plu ?

OUI, S’AGISSANT DE VOUS, AVEC UN ENFANT, IL Y A DE QUOI ÊTRE INTERLOQUÉ.
Ah ah ! Pour paraître normal, j’aurai dû porter quoi ?

TOUT SAUF UN BÉBÉ ! SANS PARLER DE CET ACCESSOIRE, VOUS ÊTES EN FORME SUR CETTE PHOTO, À BIENTÔT 50 ANS…
Mais, je ne les aurai qu’en mai prochain…

OUI, ET VOUS AVEZ L’AIR PLUS RELAX QU’À 25 ANS.
C’est vrai, merci. C’est l’occurrence du temps, le physique est donc bien relié au cerveau, et comme je me sens mieux dans ma tête, ces derniers temps, ça se ressent extérieurement. Quand j’étais plus jeune, j’étais PERSÉCUTÉ, ABÎMÉ. Je suis quand même plus relax maintenant. Mais… Relax, vous voyez ce que je veux dire, j’ai des limites.

OUI, VOUS RESTEZ MALGRÉ TOUT DANS LE REFUS QUE L’ACCEPTATION, D’OÙ LE TITRE DE VOTRE NOUVEL ALBUM, «DES ANNÉES DE REFUS».
C’est comme ça que je vois ma position artistique, dans le milieu musical. Depuis le début, je me vois contraint d’apposer des refus à toutes sortes de pressions diverses. Tout le monde cherche à vous faire accepter des choses que vous ne voulez pas. Pour rallier la grande famille des célébrités de la pop culture, vous devez accepter certains compromis. Je n’appartiens pas à ce monde-là. J’ai toujours refusé de me soumettre. Ce n’est plus la pop culture, c’est la pute culture. J’ai toujours compris que je devais me dissocier de l’industrie musicale. Que ce qu’elle attendait ne correspondait en rien à ce que moi, je voulais créer. Quand on a du succès, qu’on touche un large public, évoluer dans le mainstream, c’est un combat. Je le relève, et je refuse. C’est : « Non. Non ! Pas pour moi, NON. »

VOTRE PREMIER ALBUM SOLO S’INTITULAIT «VIVA HATE», LÀ, C’EST «VIVA REFUSAL». POURTANT, AVEC VOTRE STATUT ICONIQUE ET LE FAIT QUE VOUS SOYEZ UN ARTISTE QUI DURE DEPUIS VINGT-CINQ ANS, ON DOIT VOUS CHOYER ?
Pas du tout. Il me faut encore et toujours adopter le refus.

LE DÉGOÛT PEUT FORMER LE GOÛT. VOUS, C’EST: LE REFUS FORME LA CRÉATION.
Il me préserve, donc en effet me permet de créer. Il faut se protéger. Le refus permet d’écarter les mauvaises personnes, les glissements vers la médiocrité, le nivellement par le bas.

C’EST UNE POSITION MORALE OU ESTHÉTIQUE ?
C’est la voie pour continuer à faire de l’art. Le succès dans la pop est une mise à l’épreuve, douce et heureuse pour certains, horrible pour moi : car le succès vous éloigne de l’art lui-même. On vous contrôle en vous apportant sur un plateau des distractions qui n’ont plus rien à voir avec la musique elle-même.

VOUS AVEZ COMMENCÉ DANS LES ANNÉES 80, UNE ÉPOQUE OÙ LA MUSIQUE POPULAIRE, AUTREFOIS SYMBOLISÉE PAR LES BEATLES, LES STONES, BOWIE, DEVENAIT UNE MUSIQUE HIDEUSE, CELLE DE WHITNEY HOUSTON, FOREIGNER, SAMANTHA FOX. LE REFUS DU NIVELLEMENT, IL VENAIT DES LABELS POST-PUNK: EN FAIT, VOUS ÊTES RESTÉ FIDÈLE À CETTE ÉTHIQUE, CELLE DE L’INDIE.
Mmmh… A l’esprit d’indépendance, plutôt.

chrissie hynde morrissey
VIANDE = MEURTRE
Avec Chrissie Hynde des Pretenders, qui vient de faire un duo avec lui. Ils sont tous les deux végétariens. Pamela Anderson soutient également le combat de la Peta, elle qui a reçu Morrissey pour Thanksgiving. La dinde était vivante, dans tous les sens du terme.

C’EST CE QUE SIGNIFIE INDIE, INDÉPENDANCE ?
A la base, oui, mais l’indie est devenue un genre musical, genre auquel ma musique n’appartient pas. Justement parce que je suis indépendant – d’un genre, de tout –, j’ai toujours été viscéralement attaché à ça : l’indépendance. Aujourd’hui, plein de musiciens se réclament de l’indie-music à tort et à travers. Je leur laisse ces allégations. L’indie, c’est devenu un look, une posture. S’en réclamer, c’est la promesse d’épater une masse de gens. Alors qu’au début des années 80, c’était une profession de foi, avec aussi la promesse de ne toucher qu’un public très réduit. The Smiths ont marqué aussi parce que personne ne nous attendait. Venir de l’indie ménage une surprise, c’est comme taper sur l’épaule de quelqu’un. Il était alors très difficile pour des indépendants de toucher une large audience. The Smiths a réussi, mais nous étions isolés. Maintenant, quand je regarde les charts anglais, c’est comme si le chart indie des 80’s s’était transféré dans le mainstream. C’est injuste pour les admirables artistes de l’histoire indie, tous passés à la trappe, alors qu’aujourd’hui, n’importe quel morceau inintéressant qui copie vaguement le son indie se vend très bien.

QUE L’INDIE SOIT DEVENUE MAINSTREAM, ÇA VEUT DIRE QUE VOTRE COMBAT MENÉ AVEC THE SMITHS A DÉBOUCHÉ SUR UNE VICTOIRE ?
Une victoire, oui, pour un résultat en demi-teinte. Car si l’on peut se féliciter que certains groupes indies aient aujourd’hui du succès, à côté de ça, je n’ai, pour ma part, reçu aucun crédit pour cette victoire. Personne ne va s’en charger. Quand The Smiths a signé sur ce label indépendant, Rough Trade, ils ont bénéficié d’un visage public, en l’occurrence le mien. Ils ont pu dire qu’ils avaient une pop star, et le changement est venu de là. Je me sens un peu lésé pour tout ça. Mais bon…

QUAND VOUS ÉTIEZ DANS L’INDIE, AVEC THE SMITHS, VOS RÉFÉRENCES, C’ÉTAIENT CELLES, PROCHES, DU PUNK ET DU POST-PUNK, LES BUZZCOCKS ET MAGAZINE, ET, PLUS ANCIENNES, CELLES DU GLAM-ROCK. EN FAIT, VOUS AVEZ INSUFFLÉ DU GLAM DANS L’INDIE. C’EST LA MISSION QUE VOUS VOUS FIXEZ, ÊTRE LA DERNIÈRE DES GLAM-STARS ?
Le glamour, oui. C’est aussi dû au fait que je suis un affranchi. C’est dur à maintenir, cet affranchissement, il y a tellement de pression pour qu’on se plie, on cherche sans cesse à réduire vos ambitions. Je refuse de faire partie du troupeau. Tout le monde veut une vie chouette, tranquille…

PAR VOUS ?
Oh non !

POURQUOI ?
C’est surtout que je n’ai pas le choix. Je n’ai pas un caractère qui s’adapte à ça, la sociabilité…

VOUS VOUS SERVEZ DE VOTRE CÉLÉBRITÉ POUR QU’ON VOUS FOUTE LA PAIX.
Je ne suis pas une célébrité. Pas une célébrité. Mon statut n’a rien à voir avec ce mot.

« LES VALEURS DE LA POP: LES VENTES ET LA POPULARITÉ. JE LES RÉCUSE. »

ET LE SUCCÈS ?
Pas pour la célébrité. Je veux le succès pour moi, pour ce que je crée, pas pour le regard des autres, pour épater la galerie. Quand on dit que la pop music vend de l’anticonventionnel, ce qui est important, c’est le verbe « vendre » : les valeurs de la pop sont basées sur les ventes et la popularité. Valeurs que je continue de récuser.

QUAND VOUS ENREGISTREZ UN NOUVEL ALBUM, COMME CE «YEARS OF REFUSAL», C’EST DANS QUEL BUT ? PROPOSER DE BONNES CHANSONS, OU FAIRE PASSER QUELQUE CHOSE DE PLUS ?
Il faut déjà que j’ai envie d’enregistrer. L’envie provoque la nécessité. Viennent alors les notions d’importance, et même de dignité. Je ne prends pas ce que je chante à la légère.

ON NE SENT PAS CHEZ VOUS L’ENVIE MUSICALE D’ÉVOLUER VERS DES TERRITOIRES DIFFÉRENTS: VOUS FAITES DU MORRISSEY, UNE SORTE DE VISION ATEMPORELLE DU GLAM-ROCK.
Une musique glamour organisée. J’ai une équipe qui travaille de façon très liée vers un but : éviter le cafouillage.

LE GLAM-ROCK, C’EST LA MUSIQUE QUI VOUS A FAIT VOUS SENTIR ENFIN VIVANT, QUAND VOUS ÉTIEZ TEENAGER ?
Exactement. Quelle importance ! J’avais à peine plus de 10 ans quand T.Rex, mais aussi Bowie avec The Man Who Sold the World, ont tout changé. Au-delà de l’étiquette glam-rock, il y a une vision flamboyante. Vous ne pouvez pas vous imaginer l’effet que ça faisait, à l’époque, de voir tous ces artistes arborer du maquillage. Maintenant, ça passe inaperçu, c’est même un peu ridicule, en tout cas, ça n’a plus aucun sens, mais en 1971-1972 ! Tellement étrange. Plus qu’osé : dangereux. C’est en effet à ce moment-là que j’ai commencé de trouver un sens à ma vie. Dans un premier temps, j’étais fasciné. Et puis une évidence s’imposera : cette musique sera ma raison de vivre. Je savais qu’il ne pouvait n’émerger de mes influences bizarres que quelque chose d’unique. Tous les artistes que je trouvais glamour quand j’étais adolescent, la plupart des gens s’en moquait. Aujourd’hui, ils sont reconnus, on les trouve en effet glamour, finalement…

LES ARTISTES DU GLAM INVENTAIENT UNE NOUVELLE FAÇON DE VIVRE, PLUS STIMULANTE, PLUS LIBRE. VOUS, VOTRE MUSIQUE, LA CONCEVEZ-VOUS AUSSI COMME UNE SOURCE DE LIBÉRATION ?
Ce qui est bon pour moi n’est pas obligatoirement bon pour les autres. A chacun de se libérer comme il peut. Le libre-arbitre. Je ne traite pas mes auditeurs potentiels comme des idiots : ça, c’est une incitation à l’affranchissement. Alors qu’il me semble que la plupart des artistes donnent à leur public exactement ce qu’ils pensent qu’ils veulent entendre. Je ne recherche pas cette misérable sympathie. Il y a ce paradoxe : créer une distance peut favoriser le rapprochement. Refuser la démagogie, c’est une forme de libération.

VOUS AVEZ ENREGISTRÉ CE NOUVEL ALBUM À LOS ANGELES…
Oui.

C’EST UN ENDROIT OÙ VOUS VOUS SENTEZ BIEN ?
C’est une ville qui me fascine encore. Un bon endroit pour ma musique, pour l’inspiration, pour ma tranquillité. On n’y ressent pas le malaise provincial, ça va encore, là-bas.

« PLUS ON ATTEND DE NOTRE RAPPORT AUX AUTRES, PLUS NOTRE VIE EST HORRIBLE. »

IL SEMBLAIT DÉLIRANT QUE VOUS, LA POP STAR SI ANGLAISE, VOUS VOUS SOYEZ INSTALLÉ DANS LA VILLE DE 50 CENT ET AXL ROSE. MAIS QUAND ON ÉCOUTE UNE CHANSON COMME «WHEN LAST I SPOKE TO CAROL», ÇA SEMBLE MAINTENANT QUASI NATUREL.
Ah oui ? C’est pour le côté latino de Los Angeles. J’avais écouté de la musique avec ce son de trompette, je m’en suis inspiré.

ÇA VOUS SEMBLE ÉTRANGE QUE LA COMMUNAUTÉ LATINO VOUS IDOLÂTRE ?
Je suis surtout flatté. Quand je vois tous leurs tatouages « Morrissey »… Je trouve ça touchant. Qu’ils se fassent brûler mon nom sur leur peau. L’effet… Je me sens leur dévoué, aussi.

ILS SONT LES PARIAS DU RÊVE AMÉRICAIN.
Oui, d’une certaine manière.

CE N’EST PAS COMME SI C’ÉTAIT LA CONGRÉGATION DES JOUEURS DE GOLF DE MALIBU.
Oui. Beaucoup ont trouvé ça étrange mais le lien ne me semble pas du tout absurde. Je suis très fier de ce titre, « le chanteur des parias ».

CELUI-CI VOUS A-T-IL TOUJOURS PLU ?
Oh, oui.

POURQUOI ?
Parce que j’en suis. Je me sens asocial. C’est la vérité, j’en suis un. Alors que j’ai des milliers de fans, je suis à peine toléré par l’industrie, jamais invité par MTV, je reste un artiste en marge. Ce n’est pas que je me sois assis et ai décidé : « Allez, je vais être un marginal. » Je le suis au plus profond de moi-même. Donc, je n’ai pas le choix.

VOUS VOUS ÊTES POURTANT INTÉGRÉ À LA SOCIÉTÉ.
Non. Absolument pas. Les valeurs que favorise la société ne sont pas les miennes. Je ne veux pas former un joli couple, je ne veux pas m’intégrer aux clichés d’une existence douce et heureuse et parfaite. Il y a assez de gens qui se sont ralliés à ça, on n’a pas besoin de moi.

C’EST DU REFUS OU DE L’INCAPACITÉ ?
Les deux. Je suis tellement individualiste. Je refuse d’être capable de penser comme mes voisins. J’ai mes réflexions personnelles, pourquoi devrais-je m’adapter à des groupes d’êtres humains, me plier à la façon de penser des autres ? Je survis comme ça depuis des années, je contrôle mon corps, il y a pour moi peu de raisons de fréquenter ceux qu’on appelle mes semblables.

VOUS ALLEZ BIEN DANS QUELQUES FÊTES, PARFOIS ?
Ah ah, des parties ? Non, non. C’est trop fastidieux, vraiment. La présence de gens me déséquilibre, devoir parler… Trop difficile.

AVEC THE SMITHS, VOUS CHANTIEZ COMBIEN IL EST DIFFICILE DE VIVRE DANS CE MONDE. ÇA RESTE UN DE VOS SUJETS LES PLUS IMPORTANTS ?
Oui. Ce n’est pas un sujet qui varie selon les modes. En tout cas, je ne vois pas comment je ne pourrais plus écrire sur ça : le fait qu’on soit persécuté dès qu’on souhaite que notre vie ne soit pas désespérante, qu’il y ait toujours des barrières à notre bonheur, qu’il soit si difficile de se sentir bien, que la société, les gens, soient des freins, qu’on se sente toujours contrôlés… Ecrire sur la condition humaine, il n’y a là rien de périmé, ce sera toujours « in progress ».

Couv morrissey

«LIFE IS A PIGSTY», UN TITRE SUR VOTRE PRÉCÉDENT ALBUM…
Eh oui, la vie est une porcherie, non ? Une torture. L’humain doit en baver, le calvaire ne se termine que quand on meurt, c’est si sadique.

C’EST LE SUJET DE CETTE NOUVELLE CHANSON, «THAT’S HOW PEOPLE GROW UP» ?
Je parle du fait qu’on doit, dans un premier temps, essayer de trouver sa place dans le monde, que tout nous semble impossible, qu’il faut être fort et que quand, enfin, on y arrive, on s’aperçoit d’une chose : on est seul. Pour le reste de sa vie. Plus on aura de l’espérance, plus on sera romantique, rêveur, excentrique, plus on attendra de notre rapport aux autres, plus notre vie sera horrible. On reste seul. La vie, c’est juste se développer soi-même.

IL Y A LA MUSIQUE, LES FILMS, LES LIVRES…
Voilà. C’est juste ce dont on a besoin.

LONGTEMPS, LA POP MUSIC A ÉTÉ CONSIDÉRÉE COMME UN ART MINEUR. SOUVENT, LES ARTISTES POP PASSENT POUR DES PRIMATES. VOUS AVEZ INSUFFLÉ UNE DIMENSION LETTRÉE…
Ça me semble tellement important. Mais quand vous vous engagez dans cette voie, vous risquez beaucoup. Car la critique sera plus virulente. On m’attaque continuellement sur mes paroles, mes déclarations, ma pensée, en fait. Je dois répondre de mes écrits, de ma volonté de ne pas jouer la facilité, l’inconsistance. Alors que d’un autre côté, il y a tellement d’artistes qu’on laisse tranquilles ou même qu’on applaudit juste parce qu’ils sont démagogues ou qu’ils ne dérangent pas, tous ces groupes qui sont dans le calcul pour être dans le sens du vent… Eh bien, moi, je préfère prendre le risque d’être ridicule… en prenant des risques quant à ce que je dis.

LA CULTURE CONTINUE DE VOUS PASSIONNER, VOUS DÉCOUVREZ ENCORE DE NOUVEAUX FILMS, VOUS LISEZ TOUJOURS BEAUCOUP, VOUS ÉCOUTEZ DE LA MUSIQUE ?
Les livres, les nouveaux romans, certains me paraissent attirants, mais je sens d’avance la déception… Le reste, oui, oui, sans cesse.

QUOI ?
J’ai vu beaucoup de films ces derniers temps… Mais… Rien de bien. Non, rien à retenir. Je vis dans l’espoir. Vous n’en avez pas à me recommander ?

IL Y A TOUTES LES SEMAINES DES VIEUX FILMS PLUS OU MOINS OUBLIÉS QUI SONT PROJETÉS DANS DES CINÉMAS PARISIENS: UN BONNE RAISON DE VENIR VOUS INSTALLER À PARIS, APRÈS LOS ANGELES, ET ROME… D’AILLEURS, VOTRE NOUVEAU SINGLE S’INTITULE «I THROW MY HANDS AROUND PARIS»…
Pourquoi pas. C’est possible.

VOUS N’ÊTES PLUS À ROME ?
Non. Je suis dans le coin, là, mais je n’ai pas de maison, je vais de ville en ville, sans attache fixe.

VOUS TRIMBALLEZ TOUS VOS LIVRES, DVD, DISQUES ?
J’ai beaucoup de bagages.

AH ?
La plupart de mes affaires sont dans un garde-meuble, actuellement.

VOUS ÊTES UNE SORTE DE MYTHE VIVANT, PUISQUE VOUS AVEZ DÉJÀ CHANGÉ DES MILLIONS DE VIES AVEC VOS CHANSONS. AVEZ-VOUS ENCORE QUELQUE CHOSE À PROUVER ?
Bien sûr. Déjà, à ceux qui me suivent depuis aussi longtemps et qui vont continuer d’écouter mes nouelles chansons, je ne dois pas les décevoir. Ensuite, il y a toujours de nouvelles personnes à convaincre, des gens qui ne me connaissent pas. Et puis, il y a les autres artistes autour de moi. Je dois me prouver que je reste essentiel par rapport à eux. Ça pourrait être facile, je trouve actuellement la musique si fausse. Disons que j’ai toujours des choses à dire. La musique reste ma raison de respirer. Beaucoup de nouveaux groupes, toutes les saisons, clament leur admiration pour ce que je fais, c’est bien que j’ai toujours ma place.

« JE N’AI PAS DE MAISON, JE VAIS DE VILLE EN VILLE, AVEC MES BAGAGES. »

VOUS PENSEZ ENCORE QUE «TOUS LES JOURS SONT SILENCIEUX ET GRIS», OU ALORS, CERTAINS JOURS VOUS VOUS MARREZ BIEN ?
Ah ah ! Je suis plus tolérant avec moi-même. Quand vous êtes jeune, vous êtes plus dur avec vous-même, vous voulez sans cesse vous prouver quelque chose. Et puis, vous arrivez à 23 ans, et puis votre mère meurt, et puis vous apprenez la tolérance.

SI VOUS DEVENEZ HEUREUX, VOUS AUREZ MOINS DE CHOSES À DIRE.
Je suis prêt à prendre le risque.

MAIS VOUS PENSEZ TOUJOURS RESTER DIFFÉRENT ?
Je n’ai pas le choix.

VOUS AVEZ LE STATUT D’ICÔNE POP, VOUS ÊTES CONSIDÉRÉ COMME LE DERNIER DES ROCKEURS GLAMOUR, ET CELA, EN REFUSANT DE FAIRE COMME VOS COLLÈGUES MADONNA, MICK JAGGER, KANYE WEST, QUI ONT ACQUIS LEUR HAUT RANG EN S’AFFICHANT COMME BÊTES DE SEXE. EST-CE UN CHALLENGE SUPPLÉMENTAIRE ?
Un challenge pour moi de quoi ?

« THE SMITHS, IL Y A EU UN DÉBUT, UNE FIN, IL NE FAUT PAS CHANGER ÇA. »

DE REFUSER DE VOUS AFFICHER COMME UN TOMBEUR SURSEXUÉ.
Mmmh… C’en est un, oui. C’est une telle pression de s’expliquer sur ce sujet. On n’aime pas obligatoirement être forcé de parler de choses intimes. Mais ce sujet passionne, ça reste un angle attractif, surtout si on tombe sur quelqu’un comme moi qui, en effet, n’affiche pas le même discours que ceux que vous venez de citer. Dois-je expliquer ma vie, me justifier là-dessus ? Ai-je une réponse ? Ce n’est plus physique, pour moi, c’est métaphysique. Mais il faut que je donne une réponse, et bien sûr, une réponse intelligente… C’est parfois éreintant, exagéré.

VOUS ÊTES UNE ANOMALIE, PAS TANT PARCE QUE L’ACTE N’EST PAS VOTRE PRIORITÉ, MAIS PARCE QUE POUR ÊTRE UNE POP STAR, IL VAUT MIEUX CLAMER QU’ON EST ASSOIFFÉ DE SEXE.
L’attitude de Madonna, c’est juste du marketing, elle ne représente finalement rien de sexuel, ça n’a aucune importance de savoir à quel point elle s’est habillée de façon scandaleuse. Elle procède comme ça, et concrètement, ça n’a rien de sexuel, c’est un cliché. Elle ou tous les autres, c’est assez atterrant qu’on puisse vendre des millions et des millions de disques en ne faisant que jouer sur les clichés, ça me sidère, pour eux et pour leur public, n’ont-ils vraiment pas conscience que chacun joue un jeu hypocrite ?

LA POP MUSIC, C’EST AUSSI CE CLICHÉ CONTRE-CULTUREL: SEX & DRUGS & ROCK’N’ROLL. VOUS, C’EST NO SEX & NO DRUGS.
D’une certaine façon, la contre-culture s’est muée en mensonge : fini le côté spontané, les artistes rock se comportent de la façon qu’on attend d’eux, ou plutôt qu’ils pensent qu’on attend d’eux… C’est devenu un carcan dans lequel on doit s’inscrire pour avoir l’air décontracté. Alors que si vous regardez les artistes de la génération contre-culture, aujourd’hui, ils se comportent de la façon la plus saine possible. Il y a une inversion des générations, un retour en arrière.

PETE DOHERTY, QUI NE CESSE DE CLAMER QUE VOTRE MUSIQUE EST LA PLUS SUBLIME D’ENTRE TOUTES, PERPÉTUE CETTE MYTHOLOGIE DE LA DÉGLINGUE…
Vous pouvez aimer quelqu’un sans chercher à l’imiter. Sans vouloir devenir une copie. Peut-être Pete Doherty aime-t-il surtout ma musique ?

« JE PRÉFÈRE PRENDRE LE RISQUE D’ÊTRE RIDICULE… »

ET VOUS, QUE PENSEZ-VOUS DE LA SIENNE ?
Mmmh… Après The Libertines, je n’ai jamais écouté de près.

ON VOUS SENT À DEUX DOIGTS DE DEVENIR UN CROONER, MAIS NON, VOUS RESTEZ UN GLAM-ROCKEUR.
Ou alors, je suis un glam-crooner qui fait du rock. Je ne choisis pas, tous les éléments sont emmêlés.

DEPUIS QUARANTE ANS, MCCARTNEY A DROIT À CETTE QUESTION: QUAND LES BEATLES VONT-ILS SE REFORMER ? JAMAIS N’ACCEPTEREZ-VOUS LES SOMMES COLOSSALES QU’ON VOUS PROPOSE POUR REJOUER AVEC JOHNNY MARR, OU N’EN ÊTES-VOUS PAS SI SÛR QUE ÇA ?
Ça n’arrive jamais que je ne sois pas sûr. Ou que je puisse être tenté par ce qu’on appelle un compromis. Ça n’a rien de personnel, je n’ai pas besoin d’être grossier : The Smiths, c’est arrivé, il y a eu un début, une fin, c’était quasiment parfait. Il ne faut pas changer ça. (Sa manageuse revient.) Benoît, c’est terminé.

ENTENDU. POUVEZ-VOUS ME SIGNER UN 45 TOURS ?
Bien sûr.

CELUI AVEC LA PHOTO DE CANDY DARLING ?
Quelle photo, non !?

J’AI VU RÉCEMMENT «WOMEN IN REVOLT»…
Ah oui, mais vous avez aimé ça ?

BEAUCOUP.
C’est un film… très triste.

MERCI ENCORE.
Vous repartez à Paris ce soir ?
«YEARS OF REFUSAL» (DECCA/BARCLAY).


PAR BENOÎT SABATIER