GARETH EDWARDS : « JE SUIS DEVENU METTEUR EN SCENE POUR OBTENIR LE RESPECT DE MON PAPA »

ROGUE ONE

Le 31e festival du film fantastique de Gérardmer a rendu hommage à l’Anglais Gareth Edwards, réalisateur d’un Godzilla, de Monsters ou de Rogue one. Rencontre avec bricolo de génie dont le dernier film, The Creator, est nommé aux Oscars.

ENFANCE

Gareth Edwards : Mon père était vraiment branché sport : rugby et golf. Moi, pas du tout ! Les seuls moments où nous étions proches, c’était quand nous allions au videostore et que nous choisissions une cassette à louer. Avant de regarder chaque film, mon père m’en parlait longuement, que ce soit Le Parrain ou Le Bon, la brute et le truand. Il me donnait le contexte, m’expliquait pourquoi ces films étaient importants. On les regardait et je sentais l’admiration de mon père pour ces cinéastes. Et j’ai dû penser que si je faisais un jour des films, mon père pourrait dire des choses sympas sur moi. Je crois que je suis devenu metteur en scène pour obtenir le respect de mon papa. Je ne lui en ai jamais parlé. Je ne sais pas ce qu’il pense de mes films, même s’il me dit toujours des choses positives quand je l’invite à mes avant-premières.

INFLUENCES

J’ai grandi avec Star Wars, j’avais deux ans quand le premier, Un nouvel espoir, est sorti. On avait un magnétoscope Bétamax à la maison et j’ai détruit la cassette de Star Wars à force de la voir et de la revoir. Je suis le plus grand fan au monde de Star Wars, s’il y avait des J. O. Star Wars, je gagnerais sans aucun problème la médaille d’or. 

À 11 ans, en vacances en Arizona avec mes parents, j’ai allumé une vieille télé dans un motel perdu. On est tombé sur un épisode de La Quatrième dimension. Ça m’a explosé la tête et au moment du twist final, je me suis endormi, et j’ai donc raté la fin. Le lendemain, mon père m’a raconté la fin et c’était tellement incroyable que c’est resté en moi. Et je me suis dit que ce pourrait être un métier.

DÉBUTS

J’ai fait une fac d’arts en Angleterre et je voulais être réalisateur, pas faire des effets spéciaux. J’ai copié Steven Spielberg et j’ai envoyés des lettres aux studios hollywoodiens. Mais moi, par contre, j’ai reçu un ‘‘Non’’ franc et massif. Mon colocataire à la fac concevait des effets spéciaux digitaux. C’était l’époque du premier Jurassic Park et je me suis acheté un ordinateur, avec Windows 95. J’ai bricolé des petits bouts films avec des robots et des dinos. J’ai fait une bande démo et tout le monde a tilté sur ce petit bout de film avec mes SFX. Personne ne croyait que je l’avais réalisé avec Windows 95. Mais bon, on ne prenait pas au sérieux, j’aurais bien voulu que l’on reconnaisse un petit talent de réalisateur… Je me sentais comme une actrice qu’on engage uniquement parce qu’elle a de beaux seins. Moi, je faisais des effets spéciaux mais c’était pour passer à la mise en scène, ce n’était pas une fin en soi. J’ai accumulé les échecs. Même mon clip vidéo n’a pas marché, alors que Chris Cunnigham et Jonathan Glazer ont cartonné avec leurs clips musicaux et ont réussi à mettre le pied dans la porte du cinéma. Ma chance, c’était de maîtriser les outils qui donnaient l’illusion que mes images semblaient avoir coûté bien plus cher. J’avais 35 ans quand j’ai réalisé mon premier film. J’avais l’impression d’être un loser total !


MONSTERS

Une compagnie m’a contacté et je les ai assurés que je pouvais tourner un long-métrage pour plusieurs milliers de livres. Trois mois plus tard, j’étais au Mexique pour Monsters. Je ne pouvais pas trop montrer les monstres ou les aliens du scénario et j’ai réalisé les 220 plans d’effets spéciaux dans ma chambre, avec mon PC, pour 25 000 dollars. J’avais très peu d’argent, quelques techniciens et deux acteurs, je me suis donc concentré sur l’histoire d’amour.

GODZILLA

Godzilla parle de la menace nucléaire et du traumatisme d’Hiroshima. Juste avant notre tournage, il y a eu la catastrophe de Fukushima, une menace qui vient de l’eau et qui détruit tout sur son passage… Ce n’est pas évident de faire passer ça dans un fil popcorn de studio. On ne voulait pas faire peur au studio avec un film arty, mais la parabole nucléaire est au cœur du film et je suis très fier du discours de Ken Watanabe sur Hiroshima.

Vous savez, on ne peut pas se battre contre un gros studio, engager un bras de fer, encore moins gagner. On n’est pas toujours d’accord, mais ça reste poli et on essaie les compromis. En cas de gros désaccord, tu es viré !

ROGUE ONE

Je travaillais Godzilla, et je savais que J.J. Abrams allait bosser sur un nouveau Star Wars. Je reçois un mail de LucasFilm. Je n’ai pas pu y aller mais six mois plus tard, on a bavardé. Le lendemain, je reçois deux idées par mail. « Est-ce que l’une d’elle t’intéresserait ? » Il y avait une pièce jointe qui contenait deux histoires. J’ai lu la première et je me suis dit que c’était super, mais pas pour moi. Puis, j’ai lu la seconde, un prequel à Un nouvel espoir. J’ai débord pensé que c’était une très mauvaise idée, un sacrilège. Puis j’ai réalisé que c’était moi qui dirigerais et donc je me suis dit que c’était une super idée, et j’ai bien sûr accepté ! Star Wars, c’était impossible de refuser, c’est à l’origine de ma vocation, c’était un rêve, comment aurais-je pu dire non ? Sur le tournage de Rogue one, je me suis mis une pression de dingue, il m’était impossible de foirer ce film, je suis le plus gros fan au monde de Star Wars. Et les fans m’auraient insulté toute ma vie.
Lors de la promo du film, j’ai reçu un coup de fil de George Lucas. C’était très positif, il était très gentil, mais j’étais tellement impressionné que je ne me rappelle plus de rien.

THE CREATOR

C’est un film en réponse aux frustrations de Rogue one ou de Godzilla, un film en mode guérilla, avec peu d’acteurs, de décors, la liberté d’un film indépendant, avec un gros budget pour les SFX. The Creator n’a pas tellement marché, et je ne vais pas m’acheter un yacht, ni même une voiture. Mais le studio est fier du film, de son look, donc je vais pouvoir en réaliser un autre .

LES BLOCKBUSTERS ACTUELS

Je crois vraiment qu’il y a un avant et un après les CGI (effets spéciaux numériques). Avec les effets spéciaux en image de synthèse, vous pouvez TOUT faire, donner à voir tout ce qui est dans votre tête. Avant cela, vous étiez terriblement limité. On aurait pu penser que les films allaient devenir meilleurs avec les CGI, mais ils sont devenus moins bons. Et mes films préférés ont tous été réalisés avant l’invention de l’image de synthèse. Je pense que la technologie a engendré une sorte de paresse dans la narration. Certains pensent qu’ils peuvent y aller très vite sans un script béton, et que les effets vont tout résoudre. Le tournage de la plupart des gros blockbusters commence, alors que les scénarios ne sont pas finalisés, ça m’est arrivé pour mes deux gros films… D’ailleurs, je n’aime pas le look digital et j’ai vraiment essayé que The Creator ait un look années 70.

UN NOUVEAU STAR WARS ?

S’ils m’appellent pourquoi pas ? Mais j’ai déjà gagné le gros lot, pas sûr que ce soit une bonne idée pour moi de rejouer. Je dois me concentrer sur des projets personnels et originaux. 

 

Par Marc Godin