ENRIQUE MARTINEZ, FNAC BOSS : « CONNECTER TOUT LE MONDE ! »

Enrique Martinez

Invités à Lisbonne à l’occasion du festival Fnac Live, nous avons découvert de la bonne musique portugaise au bord du Tage, mais aussi trinqué avec Enrique Martinez, le PDG espagnol de la Fnac – adopté par la France. Rencontre en toute détente.

Légende photo : FNAC LIVE LONG_ Alors que le soleil se couche sur le jardin de Torre De Belém, le groupe You Can’t Win, Charlie Brown réveille la foule avec leur titre « Over the sun / Under the water », suivi du morceau « Pro Procrastinator »… Ambiance grandes vacances assurée.

Premier week-end de juin, alors que la saison des festivals commence, je débarque à Lisbonne, convié par le Fnac live. Le festival met en avant des artistes portuguais dans un décor de rêve, le parc de la Torre de Belém, en bordure du Tage. Déjeuner avec vue, rencontre avec l’ambassadrice, petit passage au festival, avant de retourner dîner le soir au resto Dos Presuntos.

Le lendemain, c’est festival, et le temps est magnifique. On commence avec une remise de prix qui récompense des créateurs de jeux-vidéo indépendants ou de jeunes musiciens. Je rencontre plus tard Gisela Joao, divine chanteuse de fado – musique lyrique aussi populaire que mélancolique –, ou encore les gars de José Pinhal Post Mortem Experience, un groupe qui fait revivre la musique de feu José Pinhal, artiste portuguais mystérieux qu’internet adore. Génial.

Entre deux concerts, alors que des artistes circadiens sur des échasses pervertissent la population à l’amusement – tout le monde se met à faire des roues et des jongleries –, je discute avec Enrique Martinez, directeur du groupe Fnac-Darty depuis 2017. L’occasion d’échanger sur l’avenir du marketing, le Web3, ou encore sur l’influence de Tik Tok.

On a récemment vu des statues géantes de l’artiste japonaise Yayoi installées devant des magasins Vuitton, des marionnettes sur les colonnes Morris pour la sortie du film Super Mario, des sacs Jacquemus en version géante se déplacer dans Paris… Est-ce qu’on pourrait voir cette Disneylandisation du marketing arriver à la Fnac ?
Enrique Martinez : Sans en arriver là, oui ! On fait déjà du show casting par exemple. Quand il y a un lancement ou un événement, on amène des figures, des personnages, on fait des mises en scène, ou une implantation spéciale en magasin. Pour le lancement du manga One Piece, on a fait un lancement de nuit, avec une bonne partie du magasin des Champs-Élysées en exclusivité. Tout était décoré, on avait les personnages, etc. Ça attire énormément les passionnés, donc on va le faire de plus en plus.

On voit en ce moment un rapprochement entre le gaming et l’univers du luxe ou de la mode… On peut penser que des gammes premium de produits gaming vont arriver dans vos magasins. On verra un jour une collab’ entre une marque de gaming comme Razer, et un Hermès par exemple, sur un clavier ou une chaise de gaming ?
Les gamers cherchent vraiment l’efficacité et la performance, l’ergonomie, parce qu’ils y passent beaucoup de temps. Je ne pense pas qu’un siège Hermès… Quoique… L’autre jour, un ami m’a dit qu’il était à Los Angeles, et qu’il y avait une salle de cinéma privée avec 50 places, et que tous les sièges étaient en cuir Hermès. Donc pourquoi pas (rires).

Razer a récemment fait une collab’ avec la marque de lunettes RetroSuperFuture, ou encore sur une chaussure de skate…
C’est un peu la même chose que pour les accessoires Ferrari à une époque, ou tout ce qui est lié aux volants. Le gaming est une industrie incroyable, entre les consoles, le pc gaming, le cloud, et tout ce qui est casque, qui va arriver bientôt, il va y avoir beaucoup de nouvelles choses à faire. Le gaming est une des activités qui consomme le plus de temps aujourd’hui, et qui s’est ouverte aux moins jeunes, et surtout aux femmes.

Aujourd’hui, la prescription auprès des plus jeunes se fait en grande partie en ligne, au travers des médias digitaux. Quelle est votre stratégie en la matière ?
On a une plateforme qui s’appelle L’éclaireur, qui intègre l’ensemble de toutes nos activités et de celles de nos partenaires, nos festivals, les personnages qui collaborent avec nous, qui gèrent les réseaux, les entretiens avec des artistes, etc. Dès qu’on fait des événements, ça fait monter le trafic, c’est assez impressionnant. On commence à être un média culturel de référence en termes d’audience.

« CERTAINS DE NOS EXPERTS SONT PRESQUE DEVENUS DES INFLUENCEURS… » 

 

Vous êtes également sur TikTok.
Bien sûr. Pour les contenus culturels, TikTok devient un canal hyper-prescripteur, même pour le monde du livre. Et pas simplement pour des livres de gamins comme on peut le lire. Non, non, ce sont souvent des lectures de prescription intellectuelle. On a aussi des « influenceurs » qui collaborent avec nous, qui sont des canaux exclusifs, et ça fonctionne très, très bien. Certains de nos experts sont aussi presque devenus des influenceurs qui scénarisent leur expertise.

Au travers de votre projet NFT, Minteed, vous souhaitez aussi développer une relation plus moderne avec les artistes ?
Cette plateforme permet d’initier les artistes au monde du Web3 et des cryptos. On veut leur permettre d’entrer dans cette logique de contrôle de leur création, dans un univers virtuel, mais pas que, où ils peuvent contrôler toute la durée de vie de leurs créations, les droits, les ventes, les reventes, et il peuvent surtout animer une communauté de passionnés de leur travail. On ne veut remplacer personne, mais plutôt créer une technologie qui permet de connecter tout le monde.

Fnac Live23 - Nenny
QUE NENNY_
À 20 ans, l’artiste franco-portuguaise Nenny occupe déjà la scène comme une pro, avec une musique mêlant dance hall, R&B, et hip-hop, le tout avec style. A suivre de près.


Le Web3 invite à une plus grande répartition des richesses. Êtes-vous prêts à sacrifier un peu de vos bénéfices à court terme, pour vous engager réellement dans le Web3 ? Un peu comme vous l’avez fait avec la réparation d’appareils tech…
Cette technologie a un modèle économique différent. Parce qu’il n’y a pas que la transaction qui compte, parce qu’on peut accompagner cette transaction dans la durée, notamment sous un mode un peu plus service. Donc on veut mettre les moyens pour que ça se développe, et ne pas penser tout de suite à gagner de l’argent. On fait très attention au sujet crypto et spéculatif, parce que ce n’est pas notre but. Les personnes qui font des one-shot et qui gagnent des milliards, ce n’est pas le sujet.

On imagine bien comment une place de concert tokenisée pourrait être l’équivalent des trophées dans les jeux-vidéo, qu’on pourrait afficher sur ses réseaux, et ainsi montrer durablement à tout le monde qu’on y était… Étant un des principaux acteurs de la billetterie en France, qu’en pensez-vous ?
Ça va clairement arriver. C’est typiquement ça, parce que l’expérience d’un concert dure à vie, ça ne se résume pas à écouter de la musique pendant deux heures. Ça fait partie d’une expérience unique et vitale, et c’est dommage que ça s’arrête le jour-même.

On commence à entendre dire que pour vendre des NFTs au grand public, il vaut mieux ne pas parler de NFT…
Ça rejoint un peu ce qu’on fait en ce moment pour la billetterie des Jeux Olympiques, où les billets doivent être en digital. Par contre, on a lancé une option « fan ticket », où on achète un « hard ticket » – pour pas grand chose –, qu’on peut garder. 

Les gens ont donc encore besoin et envie d’objets en dur ?
L’envie de s’entourer d’objets est capitale. C’est pour ça que les livres en physique continuent d’être si importants. On s’entoure aussi de livres parce que ça parle de qui on est, et de qui on veut être. Avec une tablette, c’est différent.

On ne lit d’ailleurs pas toujours les livres qu’on achète, et il est impossible de retrouver cet effet en achetant un e-book…
Le e-book, c’est très pragmatique. Les personnes qui pensent que la culture, c’est juste une question de pragmatisme ont tout faux. Résumer la passion au besoin, c’est une folie.

www.fnac.com


Par Jean-Baptiste Chiara
Photos : Vera Marmelo