EN DIRECT DE BURNING MAN : IN DUST WE TRUST

burning man 2022

Bienvenue dans le désert du Nevada, à Black Rock City, où se retrouvent les disciples du Burning Man. En deux-roues sous 45°, du sable plein les godasses, notre burn-reporter est partie en trip-immersion. Compte-rendu. 

Il est 21 h 30 quand je passe enfin la gate. J’ai fait 11 heures de route depuis Los Angeles en RV (camping-car), 4 heures de course au supermarché, et 5 heures de queue pour entrer à Burning Man. 11 heures de route parce que plusieurs loueurs de RV ont fait faillite avec le Covid et il n’y avait rien à louer à Reno ou San Francisco depuis des mois avant l’événement, m’obligeant à prendre le seul RV dispo à Los Angeles. Puis 4 heures de courses parce qu’il faut tout prévoir avant d’arriver. Sur place, y’a rien à acheter, aucune transaction commerciale. Alors il faut évidemment prévoir l’eau (deux litres par jour par personne… on est dans le désert), la nourriture pour cinq jours, mais aussi la lumière pour être visible la nuit et ne pas se faire renverser par une art car, du matériel pour se faire de l’ombre dans le désert, le vélo, le cadenas … et le plein d’essence pour tenir les 12 heures de queue à la sortie de Burning Man, si nécessaire. Et pour finir, 5 heures de queue qui mettent les nerfs à rude épreuve parce que, cette année, il y avait un gros manque de bénévoles et seulement trois gates d’ouvertes (sur 12 habituellement) pour faire circuler des milliers de voitures. Bref, ça a été un vrai périple d’arriver au saint des saints du Black Rock Desert. Mais que c’est bon d’être de retour. Je retrouve bien l’ambiance si particulière de Burning Man. Ce sol crevassé, cette lumière surexposée, cette chaleur accablante et l’odeur indescriptible de l’air poussiéreux. Car oui, ce désert a bien une odeur. 

Cette année, j’ai choisi de faire le « burn » en solo camper, c’est-à-dire sans faire partie d’aucun camps à thème organisé et donc, je n’ai pas d’emplacement prédéfini. Dès l’entrée dans Burning Man, il faut que je trouve ma place idéale, en périphérie avec une vue sur le désert à 180°. Il est tard, je me gare dans un endroit qui a l’air pas mal. Les voisins les plus proches viennent direct se présenter. Ils m’offrent une effigie du Man en friandise et  un « F*ck your burn’ », l’expression employée par les burners pour se souhaiter un bon Burning Man. Trop impatiente, je zappe le dîner, et j’enfourche mon vélo pour aller vers Esplanade, là où tous les sound camps sont installés en bordure de la vaste étendue de désert, appelée playa.

Un éblouissement sensoriel commence, les milliers de vélos illuminés vont dans tous les sens, le son de l’electro à bloc vient de partout, les lasers des arts cars, qu’on repère de loin, m’attirent dans la nuit… Mais ma première balade tourne court. Je m’aperçois, dépitée, que j’ai une roue crevée. C’est un coup dur, dès le premier soir, d’être au milieu de la playa et de rentrer à pieds. Burning man sans vélo c’est jouable, mais c’est difficile. La surface à parcourir est immense. C’est un cercle de 5 km de diamètre. Il faut alors trouver un bike repair camp. J’y arrive à bout de force d’avoir poussé mon vélo dans le désert. Laura, une bénévole française qui vit à New York m’accueille sympathiquement. Elle me change direct la chambre à air. Tout est simple, efficace et même gratuit. À Burning Man, il n’y pas d’échange d’argent, ce sont des camps de bénévoles qui offrent ce service. C’est le don, un des dix principes de Burning Man. On se prend dans les bras et on se dit « f*ck your burn ». 

I HAVE DUST IN FUNNY PLACES

La dust, c’est ce sable fin comme du talc qui recouvre tout le désert de Black Rock, qui se dépose sur toute les surfaces, s’infiltre dans tous les interstices des tentes ou des camping-cars, mais aussi dans tous les orifices… « I have dust in curious places », est une blague récurrente à Burning Man, car oui j’en ai vraiment partout ! La dust, on s’en plaint à longueur de journée, mais elle fait partie du paysage. Elle rend l’atmosphère onirique, floute les contrastes, couvre et découvre l’horizon selon le vent, cache ou dévoile les œuvres de la playa. Les white-out (comme un black-out mais en blanc) où le vent soulève le sable comme des vagues et empêche de voir à trois mètres, sont légion. Je porte un masque de ski et un foulard sur la bouche pour survivre aux tempêtes mais la dust reste le must. Les vétérans s’accordent pour dire que les conditions ont été particulièrement sévères cette année : éclairs la nuit du lundi, tempête de sable le mercredi et toute la journée du samedi, températures à plus de 45°C tous les jours avec des pics à 53°C et 50 nœuds de vent qui ne laissent aucune chance aux tentes pas assez solidement plantées… Miracle de Burning Man, le samedi vers 20 heures, la tempête est retombée, et le ciel était parfaitement clément pour l’événement culminant : la mise à feu du Man.

WHAT’S NEXT ?

Une grande partie des burners viennent et reviennent à Burning Man. Certains depuis une vingtaine d’années. Pour ma troisième fois, je cerne mieux ce qui me fera revenir encore. L’immensité des possibilités d’abord. Ce n’est pas un organisateur qui propose et 70 000 participants qui reçoivent sur le modèle des festivals classiques. Ici, chaque camp offre une expérience, que ce soit par la musique, les talks sur tout type de sujet, le yoga, des tacos, la collecte de tes phéromones ou les orgies. L’app Time To Burn répertorie tout, et la liste est vertigineuse. 

Ensuite, il y a les œuvres disséminées dans le désert comme abandonnées là, pour le plaisir des burners. On peut monter dessus, entrer dedans, les traverser à vélo, s’y endormir, les manipuler, et parfois agir pour les animer. Après trois ans sans Burning Man, mon anticipation était grande et je sillonnais le désert, avide de découvertes d’œuvres mais étrangement, je n’ai pas retrouvé l’émerveillement et la stupéfaction ressentis lors des opus précédents devant des installations majeures. Un cru 2022 artistiquement moins spectaculaire que ce que j’avais espéré. Il y avait quand même une nouvelle installation d’Arthur Mamou Mani, le génial architecte du temple de 2018. « Catharsis » est une structure multi-fonctions ouverte à tous pour chiller en journée ou assister au concert du Black Rock philarmonique comme dans un amphithéâtre. La nuit venue, l’art se passait aussi dans le ciel nocturne avec des drone shows hallucinants qui me stoppaient net alors que je déambulais à travers le désert. Et évidemment, il y a la musique. Des sets déments au coucher du soleil, des sons que je n’ai jamais entendus en clubs et des DJ qui font vibrer la foule. Toutes les nuits, plusieurs dizaines de possibilités musicales se présentent, alors je pédale et goûte à tous les sons proposés par les sounds camps et les art cars jusqu’à trouver mon bonheur. Et je l’ai trouvé systématiquement dans une joie euphorique.

Enfin, l’ensemble de l’événement émane une énergie et une spiritualité païenne qui résonne en moi. La première fois, en 2018, que j’ai vu le Man brûler, j’ai pleuré. Des larmes de chagrin et de lâcher prise avec la prière silencieuse de laisser mes peines partir en fumée avec le Man. Cette année, j’ai versé des larmes de joie et de gratitude d’être présente pour vivre ce moment privilégié, et j’ai formulé le vœu de revenir l’année prochaine.


Par 
Eve Cohen
Photo Yagiza Studio