DEAUVILLE 2023 : HOMME-CHIEN ET AMOURS IMPOSSIBLES

DogMan

Pas de stars lors du 49e festival du cinéma américain de Deauville, mais le très frelaté DogMan et deux grands films de femmes.

Photo : DogMan

Le 49e festival de Deauville exhale un parfum particulier. Exit les paillettes et les stars US qui ont fait la réputation du festival depuis sa création. Ainsi, Natalie Portman, Jude Law ou Peter Dinklage ont jeté l’éponge, suite à la grève des acteurs (la Screen Actors Guild, ou SAG). De plus, cette grève pour lutter contre la concurrence du streaming et de l’intelligence artificielle a bouleversé le calendrier et certains gros blockbusters manquent à l’appel. Et pour finir, Venise a cogné très fort cette année et réussi de belles OPA sur Michael Mann, Sofia Coppola, Bradley Cooper, Yórgos Lánthimos ou David Fincher que l’on aurait bien vus à Deauville… Néanmoins, Bruno Barde et son équipe ont concocté un cocktail bien frappé, composé de films indé US dont une majorité réalisée par des femmes, de quelques films de Cannes (dont notre chouchou, La Zone d’intérêt, de Jonathan Glazer), d’hommages (à la légende Jerry Schatzberg), de films français en avant-première…

VOL AU-DESSUS D’UN NID DE TOUTOUS

Le gros morceau du premier week-end, c’était malheureusement DogMan de Luc Besson. Peu familier des festivals, Besson, 64 ans, a débuté son opération séduction en famille à Venise, avant de débarquer à Deauville. Si on s’en tient au film (les malheureux journalistes qui ont évoqué dans leurs articles les problèmes judiciaires de Besson ont reçu un mail d’EuropaCorp, cosigné par un avocat), on pourra juste dire que c’est dans la droite lignée de son cinéma, à savoir d’une médiocrité sidérale et d’une bêtise anthologique. Il est question ici d’un enfant martyr, constamment battu par son père, puis jeté dans une cage avec des chiens. Blessé à la colonne vertébrale, il organise une fois adulte des cambriolages canins et chante le week-end dans un cabaret de drag queen. Voilà pour le scénario… Même si le prodigieux Caleb Landry Jones électrise certaines séquences, c’est simplement consternant et pour masquer le vide, Besson ressuscite l’esprit Disney, puis se lance dans un « best of » de son cinéma, si j’ose dire, recyclant des scènes de Nikita ou la fusillade Léon. En bonus, le film dessine un creux l’autoportrait de Besson, à savoir un petit garçon rejeté, traumatisé, qui obtient la rédemption par l’art, tout en restant un homme isolé et apeuré. Mais s’il reste la plupart du temps risible, DogMan donne vraiment la nausée quand le cinéaste filme son héros comme une figure christique où quand ce dernier chante, grimé en Édith Piaf, Non, rien de rien. Vraiment, Luc ?


« FUCK PIG »

Premier long-métrage d’une cinéaste de 35 ans Past Lives, nos vies d’avant est d’une toute autre tenue. La Coréenne Celine Song raconte une histoire d’amour toute simple entre deux ados coréens de douze ans. Ils se perdent de vue quand la famille de Nora émigre aux États-Unis, reprennent contact grâce aux réseaux sociaux à la vingtaine, et se retrouvent à la trentaine, se rendant compte combien sans le savoir ils se sont manqués. Sans effet, Celine Song raconte les vies gâchées, les amours sacrifiés, les affinités électives, l’impermanence des choses. Elle capte le souffle du vent dans les rideaux, le soleil qui inonde une pièce, des doigts qui se frôlent… C’est beau à pleurer.

Past Lives, nos vies d’avant
Past Lives, nos vies d’avant


À mille lieux de cette beauté pudique, Joanna Arrrow se met à nu, dans tous les sens du terme, dans La Vie selon Ann. Dans cette œuvre d’autofiction, elle incarne une jeune femme engluée dans un quotidien dépressif, entre parents à la ramasse et boulot dégradant. Branchée SM, elle s’adonne à des jeux de soumission avec des amants dominateurs, déguisée en cochonne avec l’inscription « Fuck Pig » inscrite sur l’abdomen. Bientôt, elle décide de s’engager dans une relation plus traditionnelle… Actrice, scénariste, monteuse et réalisatrice de son film, Joanna Arrrow signe une comédie BDSM brillante sur le désir et les dynamiques du pouvoir. « Un vrai film féministe », selon son auteur qui cisèle une série de saynètes à la fois drôles et/ou embarrassantes, étirant chaque séquence jusqu’au malaise. C’est drôle, insupportable et incroyablement émouvant. La révélation d’un talent insolent.

La Vie selon Ann
La Vie selon Ann


DogMan
, sortie le 27 septembre
Past Lives, nos vies d’avant, sortie le 13 décembre
La Vie selon Ann, sortie le 14 février


Par Marc Godin