48 HRS. POUR RENVERSER HOLLYWOOD

Nick Nolte Eddie Murphy

En 1982, Walter Hill réalise 48 heures, un petit polar nerveux et comique avec Nick Nolte et un débutant de vingt ans venu de la télé, un certain Eddie Murphy. Il va non seulement lancer la mode du « buddy movie », mais surtout provoquer un séisme à Hollywood… 

« Je suis ton pire cauchemar, un Noir avec une plaque » (« I’m your worst fucking nightmare, man, a nigger with a badge. » Dans 48 heures, son coup d’essai au cinéma, Eddie Murphy, incarne un prisonnier roublard en costard Armani qui aide Nick Nolte, un flic bourru, à coincer deux psychopathes. Dans la scène la plus célèbre du film, Murphy pénètre dans un bar de rednecks racistes et mâte les bouseux avec son sens de la vanne et ses répliques qui tuent. Nous sommes le 4 août 1982, et toute l’équipe du film se gondole. Derrière la caméra, le réalisateur Walter Hill jubile, car il sait qu’il a découvert une mine d’or : Eddie Murphy, 20 ans, et un talent à faire imploser le box-office. « Il était magnifique, se souvient Walter Hill, 80 ans, regard bleu acier, veste en cuir noir sur chemise blanche, visiblement ravi d’être célébré au festival Reims Polar, en avril dernier. Il a bien sûr improvisé un peu, mais tout était écrit. Eddie a tout défoncé ! »

PIÈCE MAÎTRESSE

Avant d’être un des gros succès de l’année 1982, et de lancer la mode du « buddy movie », 48 heures est un projet qui a traîné pendant des années à Hollywood. L’idée de départ vient de Lawrence Gordon, producteur et collaborateur régulier de Walter Hill, qui avait entendu parler de l’enlèvement de la fille du gouverneur de Louisiane, et de l’association d’un flic avec un détenu pour la retrouver… Roger Spottiswood est alors chargé d’écrire plusieurs versions du scénario que Lawrence Gordon tente en vain de faire financer. Alors que le projet est initialement développé par la Columbia, il est récupéré par la Paramount. « C’est à ce moment que j’ai été impliqué, en 1976 je pense, et je me suis tapé plusieurs réécritures du scénario », se gondole Hill. Pour incarner le flic, les noms de Mickey Rourke, Sylvester Stallone, Burt Reynolds, Kris Kristofferson, Jeff Bridges, Gene Wilder ou Clint Eastwood circulent. « J’ai effectivement entendu parler de certains de ces acteurs, mais pas de tous. Mais ce que vous devez savoir, c’est que lorsqu’un film se monte, les producteurs balancent le script aux agents pour qu’ils le fassent lire à leurs clients. Parfois, les scénarios ne parviennent même pas aux acteurs. Larry Gordon a ramené Clint Eastwood dans nos filets, mais celui-ci a été très clair : il voulait interpréter le prisonnier, pas le policier, car il jouait déjà l’inspecteur Harry chez Warner. J’ai réécrit le scénario, mais Clint est parti sur L’Évadé d’Alcatraz, de Don Siegel, et il n’allait pas incarner deux fois un prisonnier dans un laps de temps si court. J’ai repris le scénario en faisant du personnage du détenu un noir, c’est mon idée. Ce qui n’a pas vraiment excité le studio, je peux vous l’assurer, et donc je suis parti vers de nouvelles aventures… »

Les années passent et, un beau jour, Lawrence Gordon appelle son ami Walter Hill pour lui demander s’il veut toujours mettre en scène ce film. Il accepte aussitôt. « Nick Nolte n’était pas une grosse star, mais il pouvait tenir un rôle principal. Il fallait lui trouver sa moitié. Richard Pryor était trop cher, c’était une star et les grosses vedettes ont leurs projets et sont bookées deux ans en avance. Mais qui veut attendre deux putains d’années ? » Gregory Hines est un temps envisagé, puis Denzel Washington. Jusqu’à ce que Walter Hill avance sa pièce maîtresse : Eddie Murphy ! « Tout le monde pense que j’ai découvert Eddie en regardant Saturday Night Live. Mais à l’heure où l’émission passait, j’étais soit ivre mort, soit endormi. En fait, ma femme, Hildy, était son agent, et c’est elle qui m’a fait découvrir Eddie. Ça montre qu’il est important de bien choisir avec qui l’on couche à Hollywood… J’ai adoré Eddie et j’ai fait suivre ses bandes à Don Simpson, à la Paramount. Une heure plus tard, ils décidaient de lui faire une proposition, alors que les grosses compagnies ont l’habitude de tergiverser pendant des mois. C’était un jeune garçon incroyablement talentueux. Je ne l’ai pas découvert, j’ai juste été le premier mec à le faire tourner ! »

UN DIAMANT BRUT

Avec ces deux acteurs, le film est enfin « greenlighté » et tourné entre San Francisco et Los Angeles, pour les intérieurs, à partir de juin 1982, pendant une cinquantaine de jours. Réalisateur  des Guerriers de la nuit, Sans retour ou du Gang des frères James, Walter Hill, fils illégitime de Raoul Walsh et de Sam Peckinpah, sait mettre en scène des films d’hommes, avec bastons, fusillades et testostérone. Il sait également que 48 heures repose en grande partie sur l’alchimie de son duo. Acteur de séries TV, vu dans Les Guerriers de l’enfer de Karel Reisz, Nick Nolte est une forte tête. « Il se plaignait constamment de la minceur des personnages. Il a décidé de jouer le sien en m’imitant, ce flic est donc un peu ma caricature. » De plus, Nolte a tendance à boire sérieusement et le scénariste Larry Gross, présent durant tout le tournage pour réécrire des scènes entières et des dialogues, le voit remplir son mug de jus d’orange et de vodka toutes les dix minutes. « Avant le tournage, j’ai expliqué à Nick qu’Eddie était un diamant brut, doué en improvisation, mais qu’il n’était pas encore un acteur, confie Hill. Je lui ai donc dit « Nick, il va falloir que tu agisses comme quand tu joues avec un enfant ou avec un chien. Tu vas devoir être bon à chaque prise, car la prise où Eddie sera bon, on la développera. » Il s’est mis à grogner comme quoi c’était injuste. Mais putain, la vie est injuste ! Toutes les bonnes prises d’Eddie sont dans le film mais Nick était bon dans TOUTES les prises. » 

« QUAND EDDIE A COMMENCÉ À CHANTER, J’AI ÉTÉ ASSEZ MALIN POUR COMPRENDRE QUE C’ÉTAIT DE L’OR MASSIF. » – WALTER HILL

 

Pour qu’Eddie Murphy soit le plus à l’aise possible, Walter Hill repousse ses scènes les plus difficiles pour la fin du tournage, notamment la séquence dans le repère des rednecks, ou la première apparition de Murphy en prison. « Eddie avait proposé de chanter un truc. Et il commence à chanter « Roxanne », de Police, c’était son choix, ce n’était pas dans le script. J’ai été assez malin pour comprendre que c’était de l’or massif. »

QUATRE MOGULS SUR LE DOS

Si Walter Hill se régale avec ses acteurs, les rapports avec la production vont être pour le moins… compliqués. De fait, Walter Hill va devoir se coltiner pas moins de quatre des plus gros moguls d’Hollywood : Michael Eisner, légende du 7ème art, président de la Paramount, puis à la tête de la Walt Disney Company de 1984 à 2005 ; Jeffrey Katzenberg, producteur et producteur délégué à la Paramount, puis chez Disney avec Eisner, avant de fonder DreamWorks SKG avec Spielberg et Geffen (le K de SKG, c’est lui !) ; Don Simpson, producteur allumé, associé de Jerry Bruckheimer, à l’origine de Flashdance, Top Gun, Le Flic de Beverly Hills ou Bad Boys, mort d’une overdose en 1996 ; et enfin, l’excentrique Joel Silver, qui a réinventé le cinéma d’action avec Predator, L’Arme fatale, Die hard ou Matrix. Quand on lui demande comment il a pu survivre à ces tyrans toxiques, Walter Hill éclate franchement de rire. « À l’époque, Joel Silver et moi nous entendions vraiment bien. Ce n’est plus le cas maintenant. C’était son premier film, mais je ne veux pas parler de lui. J’aimais bien Don Simpson. Il était dingue, sous coke, c’était encore récréatif à l’époque. Des années plus tard, il est devenu un vrai junkie, mais en 1982, ça allait encore. Moi, ma drogue, c’était l’alcool ! Très vite, Don s’est fait virer, ils lui ont filé un poste de producteur sur un autre film, et Jeffrey Katzenberg est arrivé dans le game. Il regardait les rushs, il a décidé qu’Eddie Murphy n’était pas drôle et me bombardait tout le temps de putain de mémos. Ils ont organisé un rendez-vous, mais j’ai refusé d’y aller : j’étais en train de tourner ! » De fait, Katzenberg suggère de remplacer Murphy par un comique obscur, Clint Smith, qui a un rôle microscopique dans 48 heures et qui joue dans la suite ratée de Y a-t-il pilote dans l’avion ? « C’était juste ridicule. Quand j’ai rencontré Katzenberg, je lui ai dit qu’il était complètement dingue. Eddie, pas drôle ? Puis, on a eu un gros entretien avec Michael Eisner. Je lui ai lancé : « Si vous virez Eddie, ça va vous coûter une putain de fortune de tout retourner ! » Je crois que cet argument l’a convaincu. » Avec Michael Eisner, le clash sera constant, puisque le président de la Paramount veut davantage de comédie. Et en référence au film Faut s’faire la malle… (Stir Crazy, avec Richard Pryor et Gene Wilder, 1980), il exigera à plusieurs reprises une séquence avec Murphy et Nolte déguisés avec des costumes de… poulet. « J’étais vraiment sur la sellette. Eisner pensait que le côté polar était trop important et que je serais incapable de boucler une comédie. Il avait tort, car il y a souvent de l’humour dans mes films. On ne s’est jamais vraiment bien entendus… » 

Nick Nolte Eddie Murphy
LES DÉBUTS DU FILM DE POTES_

Triomphe de l’année 1982, le film de Walter Hill va lancer la vague des « buddy movies » avec des films comme L’Arme fatale, Men in Black, Le Dernier Samaritain ou Bad Boys.


À sa sortie, le film est un triomphe et se classe septième au box-office de l’année, avec 78 millions de dollars de recette, devancé par E.T. de Spielberg, ou Tootsie. 48 heures lance la vague des « buddy movies » qui vont bientôt saturer les écrans : L’Arme fatale, Men in Black, Tango & Cash, Le Dernier Samaritain, La Relève ou Bad Boys« Pourtant, 48 heures n’est pas un buddy movie, mais un anti-buddy movie, assure Walter Hill. Nolte et Murphy ne peuvent pas se saquer, et ce qui est intéressant dans le film, c’est l’antagonisme des deux personnages qui se transforme en respect mutuel. J’ai vu quantité d’imitations de 48 heures, mais ce qui m’étonne toujours, c’est de voir à quel point elles sont mal faites, à côté de la plaque. Mais ça, c’est une autre histoire… »

48 HEURES DE PLUS

Après le succès de 48 heures, la Paramount veut mettre aussitôt en chantier une suite, mais Eddie Murphy enchaîne avec Le Flic de Beverly Hills, produit par Don Simpson. Eddie installe sa maison de production au sein de la Paramount, devient la plus grosse star de l’époque et engrange des cachets de plus en plus faramineux avec Le Flic de Berverly Hills 2, Un fauteuil pour deux ou Les Nuits de Harlem. En 1989, Hill reçoit un coup de fil de Larry Gordon qui lui assure que Murphy veut tourner une suite à 48 heures : 48 heures de plus. « J’ai demandé s’il y avait un script et bien sûr, il n’y en avait pas, se remémore Walter Hill. Nous étions déjà en décembre et ils voulaient sortir le film en été. J’étais partagé comme Nick Nolte. Je n’avais pas super envie de le réaliser, mais je ne voulais pas que quelqu’un d’autre s’en charge. J’ai accepté; et je l’ai écrit, même si je ne suis pas crédité au générique, avec John Fasano, Jeb Stuart et Larry Gross. Il fallait que le film ressemble le plus possible au précédent et en même temps, qu’il soit différent. On s’en est plutôt bien sortis. » 

À bientôt 30 ans, Eddie Murphy est une méga-star. « Il passait son temps au maquillage, était toujours avec son entourage, toujours en retard. Mais il n’a jamais remis en cause ma mise en scène ou la position de la caméra, comme le font habituellement les grosses vedettes. » Nick Nolte, lui, s’ennuie beaucoup sur le set et boit de plus en plus. « Il n’aime pas tourner s’il pense qu’il s’agit juste de faire un coup pour l’argent. Il était furieux. Contre lui-même, contre les producteurs. Il picolait sévère et avait hâte d’en finir. » Pour sa prestation, Murphy reçoit 7 millions de dollars (contre 450 000 pour le premier) et Nolte émarge à 3 millions. Le film va rapporter 150 millions et sera le plus gros succès de la carrière de Walter Hill. Mais l’inflation des salaires des stars, et les points de pourcentage du box-office brut, vont bientôt transformer le business, grignotant la rentabilité de certaines productions (les stars exigent dorénavant 20 à 25 millions de dollars par film, plus un pourcentage sur recette, ce qui a permis à Jack Nicholson de toucher plus de 50 millions pour le Batman de Tim Burton en 1989). « Les cachets ont commencé à augmenter drastiquement, jusqu’à en devenir ridicules. Les pourcentages n’ont rien arrangé. Ça a tué les films de genre plus modestes, comme les miens, je pense aux Guerriers de la nuit ou à Southern Comfort, et engendré cette mode des énormes blockbusters. Puis le public a changé, s’est rajeuni et les films de la Marvel – des attractions de parc de loisirs – ont à leur tour changé la donne… »

Si Eddie Murphy a généré des milliards de dollars avec ses films, Walter Hill n’a plus vraiment retrouvé la pureté de son cinéma des années 1970-1980. Il a tourné avec Bruce Willis, Sylvester Stallone, ou plusieurs épisodes de séries TV, et il sortira cette année le western Dead for a Dollar, avec Willem Dafoe et Christoph Waltz. « J’ai croisé Eddie dans une fête, cela faisait très longtemps. On a dû se voir trois fois en trente ans. Mais il est toujours aussi drôle et amical. Avec la pandémie, on ne croise plus personne à L.A., mais j’ai vu Nick récemment dans un Starbucks, sur Malibu. Il avait l’air d’aller bien avec son énorme barbe. Je venais de le voir à la Une des journaux suite à une arrestation à cause d’une nouvelle conduite en état d’ivresse. On était morts de rire. »

Régulièrement, on annonce un remake de 48 heures. Ce qui laisse Walter Hill pour le moins dubitatif. « Si vous devez faire un remake, vous devez avoir une bonne raison et quelque chose de différent à ajouter. Le refaire pareil, ça n’a aucun intérêt. Pour 48 heures, il faudra d’abord trouver des acteurs aussi bons que Nick et Eddie. Rien que pour cela, bonne chance les gars ! » 

Merci au festival Reims Polar ; 48 heures et 48 heures de plus en Blu Ray chez Paramount


Entretien Marc Godin
Photos Paramount Pictures