VIGGO MORTENSEN : « J’AVAIS L’IMPRESSION D’ÊTRE L’ANGE DE LA MORT »

viggo Mortensen

Héros immortel du Seigneur des anneaux, Viggo Mortensen revient avec sa seconde réalisation, Jusqu’au bout du monde, un western romantique, tendre comme une caresse, où il donne la réplique à la merveilleuse Vicky Krieps.

Lors de la sortie de votre première réalisation, Falling, vous aviez conclu notre entretien en parlant de la mort, à laquelle vous pensiez tous les matins. Ça va mieux ?
Viggo Mortensen : (Il se marre) Il faut être positif. Je pense à la mort comme à une chose naturelle, normale, cela fait partie de la vie. Mais c’est une motivation pour avancer. 

Et dans la première scène de votre western Jusqu’au bout du monde, un de vos personnages principaux meurt.
Oui, c’est vrai (rires). Et on va s’interroger sur ce qui s’est passé, comment a été sa vie…

Pour la promo de Falling, pendant la pandémie, vous avez parcouru l’Europe en voiture.
C’était en octobre 2020, on pouvait enfin sortir, mais c’était avant les vaccins. J’ai donc loué une petite voiture, car je ne voulais pas prendre l’avion et je me suis rendu à Paris, à Lyon, en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, au Danemark, en Allemagne… Mais j’avais l’impression d’être l’ange de la mort : quand je quittais un pays, trois jours plus tard, les frontières fermaient ! Quand suis monté dans un ferry pour le Danemark et nous étions trois…

Vous pourriez écrire un livre sur cette expérience (Viggo écrit des poèmes en espagnol et publie des livres de photos via sa maison d’édition, Perceval Press, ndlr) ?
(Silence) C’était tellement étrange. À Bruxelles ou à Berlin, il n’y avait plus de voitures, quasiment personne dans la rue ou les hôtels. Je me souviens de mon anniversaire, le 20 octobre, j’étais complètement seul à Berlin. Comme si une bombe à neutrons avait explosé : tout était intact, mais il n’y avait plus personne. Tous les restaurants étaient fermés. J’ai donc dîné à l’hôtel et le chef était ravi de voir enfin un client. 

Vous voyagez beaucoup ?
J’ai été élevé comme cela, j’ai beaucoup déménagé. J’ai habité en Argentine, au Danemark, aux États-Unis, c’est plus commun maintenant. Mais j’aime bien changer de langue, de culture, de paysages. 

Vous habitez toujours l’Espagne ?
Entre l’Espagne et les États-Unis. Mon fils habite en Californie, mais moi, je réside dans l’Idaho. 

Que pensez-vous de ce qui se passe en Europe ou au Moyen-Orient ? 
C’est terrible. Les êtres humains sont capables du meilleur comme du pire, ils peuvent se montrer égoïstes, violents ou d’une cruauté extrême. Ça a toujours été comme cela. Mais je reste persuadé que l’on peut s’en sortir sans avoir recours à la violence, que tout le monde sur terre peut avoir un toit, se nourrir. Les hommes peuvent être généreux, ils ne doivent pas se laisser berner et entraîner par des leaders corrompus, cruels, égoïstes.

Est-ce que Jusqu’au bout du monde est un western féministe ? 
Vous pouvez le penser, mais ce n’est pas à moi d’en juger. Le personnage principal est une femme et j’espère que le public tombera amoureux de Vivienne, comme l’a fait mon personnage, Olsen. 

Que signifie le titre original The Dead don’t hurt ?
C’est une réplique du film et cela veut dire deux choses différentes en anglais. Les morts ne souffrent plus, mais aussi les morts ne peuvent pas vous faire souffrir, vous blesser. J’aime bien cette double signification. J’aurais bien voulu que l’on utilise le titre anglais en France, mais on entend à trois reprises « Jusqu’au bout du monde » dans le film, notamment quand Vivienne demande à Olsen ce qu’il faisait à San Francisco et qu’il répond : « Just to see the end of the world ». Ça a du sens…

Où avez-vous tourné votre western ?
Au Mexique, pendant 27 jours, et quelques jours au Canada. Nous n’avions pas beaucoup de temps, ni d’argent, et c’est difficile pour ce genre de film. On a néanmoins terminé avec une journée d’avance.

À l’origine, vous ne deviez pas jouer le rôle principal.
Non, mais l’acteur nous a plantés au dernier moment. 

Qui était-ce ?
Ce n’est pas important… J’ai essayé avec trois autres comédiens qui pouvaient convenir aux financiers, mais il y avait à chaque fois des problèmes de date. Je ne voulais pas repousser le film d’un an, de peur de perdre le financement, mon équipe ou mon casting. Tout était prêt ! Je me suis dit que je pouvais le faire moi-même si je réécrivais le personnage. J’ai demandé ce qu’elle en pensait à Vicky Krieps et on a foncé. 

« LORS DE SA PREMIÈRE SCÈNE, UNE LARME ROULE SUR SA JOUE. CE N’ÉTAIT PAS PRÉVU… »

 

Elle est formidable dans le film. 
Lors de sa première scène, une larme roule sur sa joue. Ce n’était pas prévu. C’était un plan très difficile à réaliser, avec des tas de choses techniques à maîtriser, la caméra en l’air… Je fais très peu de prises, trois maximum, mais là, c’était compliqué et la scène est très importante. Lors de la neuvième prise, sa larme a coulé et j’ai pensé « bon Dieu, j’espère que la caméra ne va pas merder ». Pour le film, on a beaucoup bossé sur les silences. Mais pour cela, il faut une très bonne actrice qui peut s’exprimer de façon non verbale. Vicky est exceptionnelle, unique, ça se voyait déjà dans Phantom Thread de Paul Thomas Anderson. Il émane d’elle une vérité unique. C’était encore plus complexe et magnifique que je n’aurais pu l’imaginer.

Il y a un message politique au cœur du film : le héros part faire la guerre, afin de lutter contre l’esclavage, mais quand il revient, il réalise qu’il abandonné sa femme, qu’il est passé à côté de sa vie. 
Oui. Et le spectateur ne va pas à la guerre avec le héros, on reste avec cette femme, et à son retour, Olsen doit s’adapter. C’est ce que je voulais explorer, que se passe-t-il avec les femmes qui restent, que pensent-elles, comment survivent-elles aux guerres des hommes ? 

Pour la musique, avez-vous collaboré avec votre ami de 30 ans, Buckethead (musicien énigmatique, qui joue avec un sceau KFC sur la tête, notamment avec les Guns N’ Roses, ndlr) ?
Je voulais travailler avec lui après Falling, mais j’ai fini pour tout faire moi-même, les guitares, le piano, le violon ou le violoncelle. 

Qui est l’acteur qui incarne le pianiste du saloon ?
Je voulais un acteur qui soit un vrai musicien pour que l’on voit vraiment ses mains courir sur le clavier du piano. Je cherchais un Italien ou un Mexicain. Je ne trouvais pas et j’ai proposé le rôle à mon ami Rafel Plana, avec qui j’ai fait plusieurs lectures de poésie. Je lui ai fait passer une audition. Il avait très peur de la scène où il se fait tabasser, se demandant si on allait vraiment le frapper (rires). Il a été parfait.

Et le foot ? Vous supportez toujours le club argentin San Lorenzo de Almagro de Boedo (club de Buenos Aires), l’équipe de votre enfance ?
L’équipe de ma vie ! Bien sûr ! Je vais les voir dès que je peux ; la dernière fois, c’était en juillet. L’équipe marche plus ou moins bien, mais ça va, nous sommes qualifiés pour la Copa Libertadores, l’équivalent de la coupe d’Europe pour l’Amérique du Sud.

Mais au fait, l’Argentine est championne du monde, si je me souviens bien ? 
C’est magnifique, non ? Désolé pour la France (et il éclate de rire).

Jusqu’au bout du monde de et avec Viggo Mortensen, en salles le 1er mai (retrouvez notre critique dans le Selector cinéma du dernier numéro 279)

 

Par Marc Godin