VÉRÉNA PARAVEL : « ENTRE BEAUTE ET HORREUR »

De Humani

Il y a des grands films et certains, plus rares, qui changent votre regard. De Humani Corporis Fabrica est de ceux-là. Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor ouvrent le corps au cinéma, avec des caméras endoscopiques, et donnent à voir des paysages inouïs, une succession de plans qui évoquent le 2001 de Stanley Kubrick.

Après votre film sur le tabou du cannibalisme, pourquoi ce film sur le corps humain ?
Véréna Paravel : Nous avons voulu utiliser les moyens développés par la médecine moderne pour donner à voir le paysage intérieur, une représentation du corps qui nous soit moins familière mais qui élargisse les manières dont nous existons dans le monde. Un corps tabou, obscène, que l’on connaît si mal.

Que vouliez-vous provoquer ?
L’émerveillement du spectateur, une prise de conscience, renouveler la façon dont on se pense au monde, de ramener de la chair, d’accepter notre fragilité. Comme dans nos autres films, on se tient à un seuil entre beauté et horreur. On a décidé de s’installer longtemps à l’intérieur du corps, donc l’horreur ou le rejet se transforment bientôt en abstraction et la cavité abdominale sanguinolente laisse deviner l’immensité du cosmos. Il faut un certain temps pour commencer à accéder à ces dimensions. On ne dit pas dans quelle partie du corps nous sommes, dans le cerveau, dans le colon, pour garder la force immersive, mystérieuse, envoûtante du film. Parfois, on voit des choses extraordinaires, c’est une folie, la galaxie, la voie lactée, puis la caméra zoome arrière et on découvre que l’on était dans l’urètre ! On pensait être dans l’infiniment grand et en fait, on était dans un pénis !

Quelles sont les réactions des premiers spectateurs ?
Ils sortent sidérés et nous disent que le film fait un bien fou. Ils avaient peur, redoutaient de le voir à cause du sang et qui me disent, en larmes, que le film leur a fait gagner dix ans de psychanalyse, découvrent ce qu’est une césarienne, alors qu’ils sont peut-être nés comme cela. Probablement parce que ce film est d’une intimité folle et qu’il change notre rapport à la mort, à la vie, à la maladie.

Combien de temps avez-vous travaillé sur ce film ?
Avec la recherche en amont, cinq ans. Nous avions 450 heures de rushs, avec des tas d’opérations que nous n’avons pas gardées. Et si on voulait provoquer l’émerveillement du spectateur, il fallait absolument que cela sorte au cinéma, sur grand écran. Donc on n’a personne qui explique, pas de voix-off, pas de musique ou alors la « musique » des outils, des machines des chirurgiens…

Le film vous a changée ?
Il m’a changée, il a changé ma perception de me sentir au monde. Passer beaucoup de temps en réanimation m’a fait encore plus prendre conscience de notre finalité, de notre mort imminente. Et j’ai une fascination encore plus grande pour les médecins, pour leur perversité comme pour leur empathie. 

De Humani Corporis Fabrica de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor
Sortie le 11 janvier 2023


Par Marc Godin