THIBAULT DE MONTAIGU : LE HUSSARD DU PRIX DE FLORE

Thibault de Montaigu prix de flore

Le laurĆ©at du Prix de Flore 2020 eĢtait jusque-laĢ€ eĢtiqueteĢ jeune eĢcrivain de droite. DeĢsormais quadra, Thibault de Montaigu s’est enfin imposĆ© avec La GraĢ‚ce, eĢmouvant portrait dā€™un oncle freĢ€re franciscain ouĢ€ il est aussi question de sa propre conversion de feĢ‚tard revenu aĢ€ la foi. De Paris aĢ€ Buenos Aires, reĢcit de la reĢdemption du plus brillant heĢritier de Saint-Germain-des-PreĢs.

Autant se deĢbarrasser dā€™entreĢe des sujets qui faĢ‚chent : non, Thibault de Montaigu nā€™a pas grandi dans une favela ; oui, son arrieĢ€re-grand-peĢ€re nā€™eĢtait autre que Gaston Gallimard. Et alors ? Pourquoi cacher ce dont tant dā€™autres sā€™enorgueilliraient aĢ€ sa place ? Avec un tel pedigree, lā€™enfance de Montaigu fut un roman francĢ§ais. NeĢ en 1978, il grandit dans lā€™immeuble de Saint-Germain-des-PreĢs ouĢ€ Jacques Lacan avait son cabinet. Quand il sā€™agit de sā€™aeĢrer, il va aĢ€ Pressagny-lā€™Orgueilleux, dans la maison de campagne de son grand-peĢ€re, Claude Gallimard. Le vendredi soir, celui-ci deĢbouche le whisky pour regarder Apostrophes, ouĢ€ deĢfilent ses auteurs. Des auteurs que Thibault ne voit pas quā€™aĢ€ la teĢleĢvision : Ā« Plein dā€™eĢcrivains sont venus aĢ€ Pressagny. Je me souviens de Le CleĢzio organisant des chasses au treĢsor dans le jardin pour ses filles, mes cousines et moi ā€“ mais cā€™eĢtait trop abstrus, on nā€™arrivait jamais aĢ€ trouver le truc. Et puis dans la leĢgende familiale, il y avait Roger Nimier. Ma grand-meĢ€re eĢtait folle amoureuse de lui, elle me lā€™a fait lire treĢ€s jeune. Cā€™est sur la route vers Pressagny quā€™il sā€™est tueĢ au volant de son Aston Martin en 1962. Ā» Rappelons que deux ans plus toĢ‚t, Albert Camus avait trouveĢ la mort dans la Facel Vega du grand-oncle de Thibault, Michel Gallimard. Lā€™eĢteĢ, avec ou sans exceĢ€s de vitesse, direction le Sud et lā€™autre maison de vacances des Gallimard : Ā« Jā€™y ai croiseĢ Kundera. Il disait que cā€™est en sā€™allongeant sur la plage et en eĢcoutant les conversations quā€™il avait lā€™inspiration. Mon peĢ€re apprenait aĢ€ Jean dā€™Ormesson aĢ€ faire de la planche aĢ€ voile ā€“ nous devions par ailleurs couvrir dā€™Ormesson, qui venait avec ses maiĢ‚tresses. Le bateau de mon grand-peĢ€re avait eĢteĢ baptiseĢ le Feu follet en hommage aĢ€ Drieu la Rochelle. Et je revois Michel Mohrt sā€™endormant aĢ€ table avec des miettes dans sa moustache… Ā» Le reste de lā€™anneĢe, pas de treĢ‚ve : Ā« La mythologie eĢtait treĢ€s forte, et les eĢcrivains eĢtaient les gens les plus aimeĢs chez nous : tout petit, jā€™ai donc voulu en eĢ‚tre un. Ma meĢ€re, qui sā€™occupait du domaine eĢtranger chez Gallimard, faisait souvent des cocktails. Un soir, je dois avoir 7 ans, je descends en robe de chambre. Elle mā€™appelle : ā€œThibault, viens, je vais te preĢsenter une grande romancieĢ€re !ā€ La dame se penche vers moi, elle puait lā€™alcool et la cigarette ; je me suis deĢtourneĢ et je suis parti. Cā€™eĢtait FrancĢ§oise Sagan. Ā»

Ā« JE CROYAIS AĢ€ LA PRESSE AĢ€ Lā€™ANCIENNE, Jā€™AI DEĢCOUVERT UNE PROFESSION SINISTREĢE ET Jā€™AI DEĢCRIT CE CHANT DU CYGNE… Ā»


Pour clore le chapitre familial, ajoutons quā€™en 1984, le demi-freĢ€re de Thibault, SteĢphane Haskell, fonde la Cacaā€™s Club avec quatre copains, dont FreĢdeĢric Beigbeder : Ā« Beig, jā€™ai duĢ‚ le voir pour la premieĢ€re fois aĢ€ 5 ou 6 ans, aĢ€ MegeĢ€ve… Mon freĢ€re SteĢphane avait eu douze accidents de bagnole, encore plus de petites copines, en plus il eĢtait photographe de mode, il me preĢsentait Eva Herzigova, Helena Christensen ā€“ elles eĢtaient mes baby-sitters ! Jā€™ai eu treĢ€s toĢ‚t une fascination pour ces gens de la nuit qui vivaient avec panache, leĢgeĢ€reteĢ, folie… Mais SteĢphane a deĢmeĢnageĢ aĢ€ New York, donc je nā€™ai pas vraiment connu les gens du Cacaā€™s. Castel, en revanche, mon peĢ€re y eĢtait tout le temps fourreĢ. Il trompait ma meĢ€re comme pas possible… Ā» DerrieĢ€re lā€™enfance enchanteĢe, les feĢ‚lures. Ses parents divorcent et, en 1991, son grand-peĢ€re meurt, ouvrant une terrible guerre de succession chez les Gallimard : Ā« Ma meĢ€re a vendu ses actions, elle sā€™est faĢ‚cheĢe aĢ€ mort avec mon oncle Antoine, jā€™avais 13 ans et ce monde sā€™est brusquement interrompu pour moi. Cā€™est un paradis perdu, et en meĢ‚me temps cā€™est une chance. Gaston Gallimard disait quā€™un eĢditeur ne doit jamais publier ā€“ les eĢditeurs qui publient, cā€™est presque toujours catastrophique. Si ma famille eĢtait resteĢe unie, jā€™aurais basculeĢ du coĢ‚teĢ de lā€™eĢdition, et pas de l ā€™eĢcriture. Et cā€™est bien que je ne porte pas le nom. Imagine : je mā€™appellerais Thibault Gallimard, je travaillerais dans la maison, jā€™y publierais, ce ne serait pas tenable… Ā»


ROMAN NIHILISTE

Bien que nā€™eĢtant pas Lacan, on se permet un peu de psychologie de comptoir aĢ€ la terrasse ouĢ€ lā€™on interviewe Thibault : cet imaginaire dont il aurait duĢ‚ heĢriter et qui lui a eĢteĢ enleveĢ, nā€™a-t-il pas chercheĢ depuis aĢ€ le regagner par lui-meĢ‚me ? EleĢ€ve brillant, il fait sa scolariteĢ aĢ€ Henri IV, Victor Duruy et Sciences Po, ouĢ€ il sympathise avec un autre eĢtudiant Ā« aux cheveux en peĢtard Ā», Florian Zeller.Tous les deux reĢ‚vent dā€™eĢ‚tre publieĢs,Zeller le sera un an avant Montaigu. ApreĢ€s avoir essuyeĢ une douzaine de refus pour son premier manuscrit (Ā« un conte voltairien sur les Etats-Unis Ā»), Thibault en eĢcrit un autre, Les Anges bruĢ‚lent, et recĢ§oit aĢ€ 24 ans le coup de fil dont reĢ‚ve tout apprenti eĢcrivain : Ā« Quand RaphaeĢˆl Sorin mā€™a appeleĢ, jā€™eĢtais comme un fou ! Le Sagittaire cā€™eĢtait un peu neĢbuleux, mais pour moi Sorin cā€™eĢtait l ā€™eĢditeur de Houellebecq, et il me proposait un contrat ! Ā» Montaigu signe chez Fayard. On est en 2003, hier, et on dirait pourtant quā€™on parle dā€™une autre eĢpoque : Ā« Fayard eĢtait alors rue des Saints-PeĢ€res, dans un pseudo hoĢ‚tel particulier vieillot. Sorin avait installeĢ son bureau dans la loge de la concierge. Quand tu rentrais, il eĢtait tout de suite aĢ€ gauche. Le chauffage ne marchait pas, il eĢtait laĢ€ avec son gros manteau aĢ€ fumer des cigarillos et lire les manuscrits. Il eĢtait brillant, avec une meĢmoire incroyable. Par contre, il ne foutait rien sur les textes… Ā» Ce vieux fourbe de Sorin la lui fait aĢ€ lā€™envers et deĢvoile le pot aux roses : Ā« Je voulais cacher ma filiation Gallimard, pas lui. Le premier article qui eĢtait sorti dans Livres Hebdo trois mois avant mon livre avait pour titre : ā€œUn Gallimard dans le texteā€. Cā€™eĢtait grilleĢ. Ā» Roman nihiliste sur le suicide dā€™un jeune des beaux quartiers, Les Anges bruĢ‚lent a tout pour agacer, dā€™autant quā€™il arrive juste apreĢ€s Hell de Lolita Pille : Ā« Jā€™allais aĢ€ la castagne avec mon livre, mais quand meĢ‚me… Le deĢlit de sale gueule a fonctionneĢ aĢ€ mort. Je mā€™eĢtais fait deĢchirer par Michel Polac dans lā€™eĢmission Field dans ta chambre. Il faudrait faire une anthologie des pires passages de cette eĢmission ā€“ Zeller aussi sā€™y eĢtait fait deĢtruire pour son premier roman. Polac eĢtait alleĢ tellement loin que Michel Field mā€™avait eĢcrit une lettre pour sā€™excuser. Ailleurs, Neuhoff et DeĢon mā€™avaient soutenu, mais jā€™avais mal veĢcu cette sortie… Ā»

DiploĢ‚meĢ de Sciences Po et du CFJ, Thibault commence aĢ€ bosser aĢ€ LibeĢration, dont il se fait virer dans des circonstances assez cocasses que nous ne reĢveĢ€lerons pas ici (demandez aĢ€ Thierry TheĢolier). Il enchaiĢ‚ne avec deux romans, Un jeune homme triste (2007) et le superbe Les Grands gestes la nuit (2010), qui ne sont pas estimeĢs aĢ€ leur juste valeur par nos journalistes litteĢraires, nigauds qui seraient plus aĢ€ leur place comme chroniqueurs de cassoulets en boiĢ‚te : Ā« Je mā€™inscrivais alors dans une ligneĢe Sagan/Fitzgerald/les Hussards. Cette nostalgie ne parlait peut-eĢ‚tre plus aĢ€ grand monde. Jā€™avais du mal aĢ€ habiter mon eĢpoque, jā€™eĢtais en porte-aĢ€-faux. A mes deĢbuts, pourtant, il y avait Angelo Rinaldi, FrancĢ§ois Nourissier, Bernard Frank : la critique eĢtait bien meilleure ! Lā€™art passait encore avant la morale et la politique. Cā€™est dingue comme tout a changeĢ en peu de temps. Quand je regardais Apostrophes avec mon grand-peĢ€re, les eĢcrivains se tenaient diffeĢremment, ils avaient une liberteĢ de ton, ils nā€™eĢtaient pas dans la pose et le marketing… Ā»

Thibault de Montaigu prix de flore
DIEU, Y ES-TU ?_
La nouvelle vie de Thibault de Montaigu : vivre dans un plan mystique de Terrence Malick.


En janvier 2013, Thibault publie Zanzibar, satire grincĢ§ante du storytelling contemporain, du journalisme de voyages et de la presse en geĢneĢral : Ā« Au sortir du CFJ, jā€™eĢtais entreĢ dans la presse aĢ€ cause des amis de mes parents qui eĢtaient des vieux journalistes bourlingueurs de Paris Match ou du Figaro, partant en reportage trois mois, ayant couvert la guerre dā€™AlgeĢrie ou je ne sais quoi… Je croyais aĢ€ la presse aĢ€ lā€™ancienne, jā€™ai deĢcouvert une profession sinistreĢe et jā€™ai deĢcrit ce chant du cygne ā€“ la beĢreĢzina, la deĢmerde et les publi-reportages deĢguiseĢs… Ā» Une autre chose auquel ce grand admirateur dā€™Emmanuel CarreĢ€re ne croit plus, cā€™est Ā« le pacte romanesque Ā». Se demandant ce quā€™il doit eĢcrire, un peu perdu, et parce quā€™il a la chance dā€™avoir une femme argentine, il fait comme Witold Gombrowicz en 1939 : il part pour Buenos Aires.


MIC MAC

De lā€™autre coĢ‚teĢ de lā€™Atlantique, il trouve un pays de cocagne : Ā« Jā€™avais besoin de disparaiĢ‚tre et Buenos Aires cā€™eĢtait parfait pour cĢ§a. Il y a des librairies partout, tu as encore des fans de Lacan et des intellectuels francĢ§ais, les gens sā€™eĢcharpent comme dans les anneĢes 70, cĢ§a mā€™a vachement seĢduit. Buenos Aires, cā€™est lā€™Europe quarante ou cinquante ans en arrieĢ€re. Cā€™est encore plus meĢlancolique que Lisbonne, une ville dā€™eĢmigreĢs qui tourne le dos aĢ€ la mer. Le sentiment dā€™exil, tu le sens treĢ€s fort. Ā» La famille de sa femme ayant une ferme agricole dans la Pampa, il sā€™imagine une reconversion : Ā« Ma difficulteĢ avec le monde moderne, je lā€™avais fuie dans les livres, la nuit, les drogues, et maintenant je la fuyais dans la Pampa. Jā€™aurais pu devenir gentleman farmer ! La ferme de ma belle-famille, cā€™est une vieille maison coloniale aĢ€ trois ou quatre heures de Buenos Aires. Tu as des champs, des vaches laitieĢ€res, pas dā€™internet, pas de reĢseau teĢleĢphonique. Le village dā€™aĢ€-coĢ‚teĢ, jā€™y allais aĢ€ cheval. Cā€™est le Far West : des alleĢes en terre battue, des vieux bars en brique qui datent de lā€™eĢpoque des gauchos. Tā€™attaches les reĢ‚nes aĢ€ la rambarde, tu vas chercher un seau dā€™eau pour ton cheval, tu vas boire ton Fernet-Branca avec un vieux coco de 95 ans. Dans ce deĢlire de retrouver un monde ancien, de ralentir le temps, lā€™Argentine, cā€™est fabuleux. Jā€™y suis resteĢ cinq ans. Ā» Certains week-ends, il traverse le Rio de la Plata et va en Uruguay, Ā« la Toscane dā€™AmeĢrique latine Ā» ouĢ€, dans le village de peĢ‚cheurs de JoseĢ Ignacio, il rencontre un jour Martin Amis, qui y vit avec sa seconde femme, Isabel Fonseca. AĢ€ part cĢ§a, il sā€™essaie au polo, mais, nā€™ayant pas envie de finir Ā« avec le dos casseĢ ou un œil de verre Ā», preĢfeĢ€re perfectionner son tennis. Dans cette vie de dandy cosmopolite aĢ€ la Valery Larbaud, Montaigu ne fait pas que flaĢ‚ner. En 2015, il publie chez Grasset un excellent essai sur la masturbation, Voyage autour de mon sexe, puis est aĢ€ deux doigts de monter sa premieĢ€re pieĢ€ce, La Trouille, Ā« un vaudeville treĢ€s francĢ§ais entre Labiche et Guitry Ā» ā€“ Laurent Ruquier veut la faire au TheĢaĢ‚tre Antoine, mais Gad Elmaleh foire la lecture deĢcisive… Thibault feĢ‚te ses 36 ans, aĢ‚ge auquel est mort Nimier, et aĢ€ 37 ans, patatras : jusque-laĢ€ Ā« cynique et riant de tout Ā», il fait une grosse deĢpression.

Ā« AĢ€ Lā€™EĢPOQUE, SOUS MDMA, Jā€™EĢTAIS DEĢJAĢ€ EN RECHERCHE DU CHRISTIANISME ! Ā»


Ce qui lui arrive alors, cā€™est ce que raconte son nouveau livre, son plus personnel,
La GraĢ‚ce, qui sortira fin aouĢ‚t : ayant eu une reĢveĢlation dans un monasteĢ€re, il se prend de passion pour son oncle Christian de Montaigu, un homo de la geĢneĢration de Renaud Camus qui, apreĢ€s avoir festoyeĢ au Palace et travailleĢ pour Mic Mac (la boiĢ‚te de mode de Gunther Sachs), sā€™eĢtait lui aussi converti aĢ€ 37 ans et eĢtait devenu freĢ€re franciscain jusquā€™aĢ€ sa mort en 2016. ItineĢraire de Paris aĢ€ JeĢrusalem eĢtait un livre de Chateaubriand. En paralleĢ€le de la vie de son oncle, Thibault raconte son propre parcours, du Baron (la boiĢ‚te de nuit parisienne ouĢ€ il a crameĢ sa jeunesse) au Barroux (lā€™abbaye beĢneĢdictine du Vaucluse ouĢ€ il a rencontreĢ Dieu). Voyage inteĢrieur autant que vrai peĢriple sur les traces de son tonton, La GraĢ‚ce nous emmeĢ€ne aĢ€ VeĢzelay et Medjugorje en Bosnie-HerzeĢgovine ā€“ sans doute le chapitre le plus pittoresque de ce livre qui, sous sa pieĢteĢ, ne manque pas dā€™humour. Face aĢ€ nous dans le bar ouĢ€ nous discutons, Thibault est un autre homme que celui que lā€™on a connu il y a dix ans, un noceur fitzgeĢraldien qui nous invitait aĢ€ des anniversaires ouĢ€ la cocaiĢˆne circulait plus que lā€™encens : Ā« Les drogues, jā€™ai arreĢ‚teĢ, je me tapais des descentes affreuses, dā€™une tristesse infinie. Jā€™avais tout essayeĢ, aĢ€ part lā€™heĢro. Jā€™adorais surtout la coke et le MDMA. Cā€™est tellement incroyable, le MDMA : cā€™est vraiment la drogue de lā€™amour, tu embrasses tout le monde. AĢ€ lā€™eĢpoque, sous MDMA, jā€™eĢtais deĢjaĢ€ en recherche du christianisme ! Est-ce que jā€™ai changeĢ ? Je ne sais pas. Je ne lis plus Fitzgerald et Sagan, mais regarde : je lisais Nimier, qui veĢneĢrait Bernanos. Et maintenant, je lis Bernanos. Cā€™est la meĢ‚me arborescence litteĢraire, je suis juste remonteĢ dā€™un cran. Ā» Thibault sait que lā€™histoire de la litteĢrature mondiale nā€™a pas commenceĢ avec le dernier livre de LeiĢˆla Slimani. Outre CarreĢ€re (pour la forme), la plus grande influence de La GraĢ‚ce est aĢ€ chercher du coĢ‚teĢ de saint Augustin : Ā« Jā€™essaie dā€™eĢ‚tre moins narcissique, de ne plus me regarder eĢcrire. Mon modeĢ€le, cā€™eĢtait les Confessions : eĢ‚tre sinceĢ€re, ne plus interfeĢrer entre Dieu et son livre, se laisser aller, se relaĢ‚cher ā€“ comme Federer en tennis. Ā» Dans le vide spirituel de notre temps, ouĢ€ les antideĢpresseurs ont remplaceĢ depuis des lustres les hosties, on est curieux de voir quel sera lā€™eĢcho de La GraĢ‚ce. EĢternel nostalgique, Thibault nā€™a cette fois-ci pas le sentiment dā€™eĢ‚tre anachronique, au contraire : Ā« Pour moi il y a soit la foi soit lā€™absurde, qui conduit souvent aĢ€ la folie. Je ne comprends pas quā€™on vive entre les deux. Ceux qui embrassent la vie aĢ€ fond sont peut-eĢ‚tre les plus proches du spirituel, bien plus que les pisse-froid ā€“ je me sens plus dā€™affiniteĢs avec un atheĢe quā€™avec un agnostique mou. On a tous un paradigme spirituel, cā€™est une dimension quā€™on a oublieĢe, et cā€™est fou dā€™ailleurs quā€™on ne sā€™en eĢmeuve pas, mais cĢ§a va revenir, cā€™est latent ā€“ regarde Sylvain Tesson, la fin de SeĢrotonine de Houellebecq, meĢ‚me le heĢros de Vernon Subutex de Despentes, qui a un coĢ‚teĢ christique… Ā» Et si, en plus de sā€™eĢ‚tre sauveĢ, Thibault entraiĢ‚nait dā€™autres noctambules dans son sillage ? Ce serait une preuve de lā€™existence de Dieu. ApreĢ€s lecture de son livre, Beigbeder se ferait ordonner diacre aĢ€ lā€™eĢglise Saint-Germain-des-PreĢs et Augustin Trapenard arreĢ‚terait dā€™interviewer des meĢcreĢants pour commencer la vie de franciscain qui lui tend les bras. Rendez-vous dans quelques mois : nous saurons alors si la graĢ‚ce que Montaigu deĢcrit si bien dans son livre aura toucheĢ dā€™autres vies que la sienne.

La GraĢ‚ce, 368 pages, 20 ā‚¬ (Plon)


Par Louis-Henri De La Rochefoucauld
Photos : J.F PagaOpale