Vous aussi, vous avez du mal à retenir votre numéro de place de parking ou la date d’anniversaire de votre propre enfant ? Et les avancées en intelligence artificielle vous font flipper pour votre petit job pépère ? Rassurez-vous : la lecture de ce dossier vous permettra de passer d’un état de légère bêtise à une rapidité cérébrale sans faille… Bienvenue au club Supermental !
C’était le 9 avril dernier, quelque part à San Francisco : Pager, un charmant macaque de 9 ans, se lance dans une partie de Pong, le jeu vidéo culte des années 70’s où l’on doit faire rebondir une balle entre deux barres le plus longtemps possible. La particularité de cette scène ? Le singe arrive à faire bouger les barres sur l’écran… en se servant uniquement de la pensée. Normal, nous sommes ici chez Neuralink, la boîte dédiée aux « interfaces cerveau-machine » d’Elon Musk, le multimilliardaire derrière Tesla (ils ont rendu le 4×4 cool avec un 100% électrique), SpaceX (ils ont rendu les satellites accessibles aux entreprises) et les lance-flammes de la Boring Company (il faut bien s’amuser), et ce primate a une puce de la taille d’une pièce insérée dans le ciboulot qui permet à l’équipe de Musk de s’y connecter via une appli… Game over ?
Sur Twitter, Musk prévient : « La puce Neuralink permettra à une personne paralysée d’utiliser son smartphone, connectée à son cerveau, plus rapidement qu’une personne valide utilisant ses doigts. » (il promet également la fin du langage parlé sous peu, remplacé par une communication cérébrale à distance.) Souhaitant faire la démonstration de son système, Musk s’est fait lui aussi implanter une puce dans le crâne en janvier dernier. Puce aussitôt hackée par un petit malin (on vous rassure, son équipe a mis fin aux interférences)… Son but ? Permettre à nous autres humains de hisser notre matière grise au niveau de celle des intelligences artificielles, toujours plus puissantes. Ailleurs, l’engouement grandissant pour les applis de méditation et autres programmes de sommeil alterné (dormir moins, mais mieux) ou encore l’intérêt manifeste pour l’utilisation des psychédéliques en microdosage afin de booster nos performances professionnelles témoignent de la même chose : notre matière grise n’a jamais été aussi attirante…
« CRISE COGNITIVE »
C’est le grand paradoxe de cette pandémie finissante : après être longtemps resté chez soi, à scroller à l’infini et à s’abandonner à la psychologie de la récompense (« Oh, un cœur, oh, un like ! ») des réseaux sociaux, ce déficit d’attention favorisé par nos friends des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft…) a créé une véritable « panique cognitive » ou « brain fog » (brouillard mental) pour reprendre le terme de la neuroscientifique Sabina Brennan. Pour cette Irlandaise à l’origine du podcast Super Brain (« pour tous ceux qui ont un cerveau »), « nos routines ont été disruptées avec le confinement, on est sorti des rails, et notre cerveau est paumé, sa partie la plus active est surchargée. En voulant satisfaire les gens, les GAFAM favorisent des micro-groupes de personnes qui pensent tous la même chose, mais le cerveau a besoin de nouveauté pour fonctionner. Sans nouvelles expériences, le cerveau va commencer à rétrécir… » L’entrepreneur essayiste Laurent Alexandre, auteur de La Guerre des intelligences (éditions Lattès), confirme : « Le décalage entre des capacités cognitives humaines qui stagnent et un monde dont la complexité explose crée une vraie crise cognitive. Tout le monde se sent perdu. » Bonne nouvelle : ceux et celles encore capable de rassembler quelques neurones n’ont jamais été aussi courtisés. « Il y a aussi une concurrence grandissante dans cette économie de la connaissance, poursuit Laurent Alexandre. On est en pénurie. Alors on paye les cerveaux de plus en plus cher. Google a par exemple récemment donné 100 millions de bonus à un très bon développeur. L’idée qu’on pourrait produire de l’intelligence biologique est rassurante. »
FABRIQUE À NEURONES
On peut désormais distinguer trois grandes catégories de solutions pour se booster le ciboulot : les solutions internes (méditation, métacognition, sommeil, nutrition, sport…), externes (produits dopants, vitamines, microdosing…) et d’interface (celles chères à Elon Musk). Chacun de ces domaines est aujourd’hui en plein boom, avec les neuroscientifiques érigés en nouveaux gourous d’un culte nous encourageant tous à repousser nos capacités mentales pour aller toujours plus loin.
À la Fabrique à Neurones, où l’on propose des ateliers cognitifs pour « mieux vivre, mieux travailler, mieux vieillir et améliorer les fonctions cognitives », on a bien vu l’intérêt grandissant pour les neurosciences, comme nous l’explique la fondatrice Marie Prévost, « Il y a une vague d’engouement pour les neurosciences, on met un peu du neuro de partout. C’est un domaine qui paraît solide dans l’époque actuelle où l’on manque de repères. » Partout, les vidéos de méditation et de métacognition (comprendre les mécanismes du cerveau) cartonnent sur YouTube. Dans les pages des féminins, on demande « Et si le thé nous rendait plus intelligent ? ». Côté business, l’exemple de MindMed en dit long, cette société spécialisée dans la recherche en médecine psychédélique a vu ses actions grimper de plus de 500 % en un an… Et vous ?
« AMAZON DU LSD »
« Si je disais à l’hosto que je prends du LSD, même en doses ultra-minimes, ce serait la cata » me lâche Éric, un ami médecin d’une quarantaine d’années. Comme d’autres Français qui n’ont pas encore pu s’insérer une puce dans la tête, lui pratique le microdosage de LSD (prendre une dose minime pour améliorer les capacités cognitives du cerveau). « C’est mon métier de prescrire des médocs, alors je le fais sur moi-même avec cette molécule, que j’utilise comme un modificateur d’humeur. Et si une micro-dose me permet d’être maxi-efficace… » Autrement dit, la prise de cette dose rikiki (entre 10 et 20 microgrammes) le met dans un état de concentration détendu lui permettant d’affronter sa journée avec sérénité.
« Si je prenais un quart de Valium ou de Lexomil, personne ne dirait rien, par contre si je prends deux gouttes de LSD – et je considère que c’est la seule molécule capable de me procurer cet effet –, tout de suite, c’est le drame. Malheureusement, les psychiatres français ne lisent même pas les papiers sur les recherches que font nos confrères anglo-saxons sur ces questions. Pourtant, les potentiels sont énormes… » Mathieu a 32 ans, il est designer et fait du microdosage de LSD de manière ponctuelle depuis environ un an, après avoir expérimenté le brain fog cher à Sabina Brennan. « C’est censé être une dose indétectable, mais moi je prends une dose supérieure au seuil d’activité, je sens clairement que je suis sous l’emprise d’une substance, mais de manière très légère. Ça pétille dans le cerveau, ça me fait passer une journée agréable et productive. Je suis aussi plus sensible, quand je vois passer un nuage par exemple, il y a une acuité sensorielle augmentée. » Mathieu a récemment trouvé un dérivé légal du LSD, le 1cP-LSD. Il se commande donc cette nouvelle drogue de synthèse directement en ligne.
« SI UNE MICRO-DOSE ME PERMET D’ÊTRE MAXI-EFFICACE, JE PRENDS ! » _ ERIC
Le Berlinois Carl-Philipp Trump – un cousin éloigné du Donald – a créé le LSD-shop, un magasin en ligne sur lequel il vend ce dérivé légal : « J’aimerais créer un Amazon du LSD, je compte ouvrir des magasins dans différents pays, dont la France. Il y a de plus en plus de personnes qui s’intéressent au LSD comme une substance pertinente pour les idées quotidiennement. Il y a une grosse concurrence, et même si le 1cP devient illégal, les labos travaillent déjà sur la prochaine molécule… »
Zoë Dubus, membre de la Société Psychédélique Française, l’unique chercheuse française à travailler sur l’utilisation scientifique du LSD, a sa théorie : « Depuis les années 2000, un réel intérêt scientifique pour les psychédéliques a réémergé, avec une nouvelle génération de chercheurs (aidés par les progrès de l’imagerie médicale) et des gros financements privés sont arrivés. Mais c’est un champ d’étude qui émerge à peine en France… »
BROSSER L’ENCÉPHALE
Au fil des discussions, une chose ressort : il n’y a encore que très peu d’échanges entre ceux qui élèvent leur mental au naturel, ceux qui croient aux psychédéliques et ceux qui vénèrent les machines. Tous ces chercheurs, eux-aussi ironiquement victimes de la guerre cognitive qui fait rage, auraient tout intérêt à se parler pour imaginer en commun l’homme de demain. Et ils feraient bien de se dépêcher. Car comme nous le rappelle Laurent Alexandre, « avec ce qui va nous tomber dessus, l’ordinateur quantique, les puces, etc., il sera mille fois plus compliqué de comprendre notre monde qu’actuellement. On aura tous à devenir suffisamment intelligent – d’une façon ou d’une autre – pour le comprendre. Mais comme me disait un philosophe l’autre jour : “si tout le monde devient intelligent avec les technologies, qui va tailler mes rosiers au château ?” » Si vous ne voulez pas vous retrouver sous le cagnard l’été prochain à vous prendre des épines dans les bras, vous feriez bien de commencer à vous brosser l’encéphale deux fois par jour. Car la course à l’intelligence ne fait que commencer…
Par Jean-Baptiste Chiara
Photo Eddy Brière