SUPER CANNES 2 : PARLE AVEC PEDRO

Pedro almodovar

Chevauchées sauvages, gros calibres et cow-boys élégants : Pedro Almodóvar transforme la Croisette en Ouest sauvage. Impressions sur le somptueux Strange Way of Life et petit entretien avec Pedro…

Dans Strange Way of Life, un western de 31 minutes signé Pedro Almodóvar, il est question d’un amour de jeunesse entre deux cowboys élégants – magnifiques Pedro Pascal et Ethan Hawke – qui s’aiment ou se sont aimés. Produit par Anthony Vaccarello, grand manitou de Saint Laurent, le film tire juste et foudroie. Pourtant, même s’il avait montré des extraits de Johnny Guitare dans Femmes au bord de la crise de nerf et de Duel au soleil dans Matador, on était loin de se douter que Pedro réaliserait un jour un western. À 73 ans, il cisèle ce miracle, une œuvre immense et fragile sur l’impermanence, le désir et l’amour, un western flamboyant, sauce Almodóvar. Il y a bien sûr des chevauchées sauvages dans le désert, de gros calibres, un shérif, un ranch, des duels au soleil, mais Strange Way of Life – qui s’ouvre sur une sublime chanson d’amour chantée par un éphèbe aux yeux verts – raconte surtout une histoire d’amour. Un shérif, Ethan Hawke, et un cowboy, Pedro Pascal, se retrouvent pour une affaire de meurtre, vingt-cinq ans après s’être follement aimés. Grâce à la musique d’Alberto Iglesias et la photo de José Luis Alcaine, Almodóvar rend hommage aux grands classiques : John Ford, Howard Hawks, Anthony Mann, King Vidor et surtout à Nicholas Ray. Comme Johnny Guitare, Strange Way of Life est un western déconstruit, les codes traditionnels sont renversés grâce à l’utilisation de la couleur, des artifices ou des costumes (sublime travail d’Anthony Vaccarello), et le film se métamorphose en romance tragique, où Almodóvar laboure ses thèmes habituels (le désir, le secret, la mort) et où les mots font plus mal que les balles (« tu ne m’as jamais aimé, ni moi, ni personne »). Une nouvelle fois, Almodóvar touche en plein cœur, prouve qu’il est aussi transgressif et inspiré qu’à ses débuts. Et déploie un spleen qui contamine tout le Far West car Strange Way of Life est aussi beau que triste, comme une chanson de fado.
Gros choc.

Entretien :
Pourquoi vous lancer, à 73 ans, dans le western, un genre qui paraît tellement éloigné de votre univers
Pedro Almodóvar : J’ai découvert le western sur le tard. Avant mes vingt ans, je n’étais pas du tout fan du genre. Comme le film noir, j’ai découvert le western dans toute son ampleur après mes vingt ans et aujourd’hui, le film noir et le western sont mes deux genres favoris.

À la fin des années 90, vous avez voulu adapter L’Homme qui tomba amoureux de la lune ?
Dans les années 90, j’avais acquis les droits de L’Homme qui tomba amoureux de la lune, du romancier Tom Spanbauer, pour une adaptation en espagnol. Après un premier traitement, j’ai voulu collaborer avec des écrivains américains et je n’ai pas eu de chance. Je me suis adressé à des spécialistes du genre et aucun d’entre eux n’a osé, car le matériau d’origine leur paraissait peut-être trop inflammable, l’histoire d’un Indien gay, prostitué par sa mère adoptive, d’un cowboy homo… Ils n’ont pas voulu travailler sur le sujet et je peux même vous donner leurs noms :  Larry McMurty (futur scénariste du Secret de Brokeback Mountain, qui lui rapportera un Oscar en 2006, NDR), et Denis Johnson, un écrivain alcoolique qui avait pourtant l’habitude de se confronter à des thèmes très durs. J’ai donc abandonné…

Avec Strange Way of Life, vous donnez à voir des cowboys gays alors que le western est un des genres les plus masculins qui soit.  
J’ai écrit ce film en réaction aux westerns traditionnels. Je n’ai rien contre, mais je trouve qu’il n’y a que des personnages masculins stéréotypés et que les personnages féminins n’ont que très peu de force ou d’importance. À ce stade de ma carrière, ce que je voulais, c’était de faire ce qui m’intéressait dans le genre western. Et ce qui m’attirait, c’était d’avoir deux personnages d’âge mûr qui parlent de leurs désirs. C’est vraiment le cœur du film. D’ailleurs, la première scène que j’ai écrite, c’est cette longue conversation entre les deux cowboys, après cette nuit orgiaque d’alcool et de sexe, où chacun donne sa vision du désir. C’est le cœur du film. 

La suite dans Technikart N° 269

Strange Way of Life, sortie en salle le 16 août

LA DECLARATION DU JOUR
« Sur le plateau de Wall Street, Oliver Stone vient me trouver dans ma caravane lors de la deuxième semaine de tournage. Et il me demande si je suis sous drogue car il me trouve mauvais et me conseille de visionner les rushs. Je les regarde et je me trouve pas trop mal. En fait, Oliver voulait me challenger et que je sois plus agressif à l’écran. Dès lors, quand je jouais Geko, je pensais toujours à ce qu’il m’avait dit et j’étais furax. Mais je remarque que plusieurs acteurs ont donné leurs meilleures performances chez Oliver Stone : Tom Cruise, Kevin Costner, Val Kilmer ou Charlie Sheen. »

Michael Douglas


Par Marc Godin
Photo : Iglesias Más