SUPER CANNES 1 : AVEC OU SANS CULOTTE ?

La 76e édition du festival de Cannes s’ouvre avec un film en costumes (Jeanne du Barry), un autre sans (Caligula, The Ultimate Cut). Mais le plus culotté n’est pas celui qu’on pourrait croire…

Pour l’ouverture du 76e festival de Cannes, le malicieux Thierry Frémaux a choisi Jeanne du Barry, grosse prod en costumes avec une star US en disgrâce et une réalisatrice énervée qui n’hésite pas à cogner les journalistes à moustaches. Après ADN où elle s’interrogeait sur ses origines, Maïween se filme en transfuge de classe. Car une nouvelle fois, elle raconte sa life, même si celle-ci se passe à la cour du roi Louis XV (une « fille qui vient du ruisseau », une séductrice qui va obtenir les faveurs du roi – hello Luc Besson – et qui fera tout pour s’élever). Si la forme est pour le moins scolaire (voix-off, filmage TV, musique larmoyante), le propos est pour le moins atterrant. Maïween filme le bouzin comme un conte de fées, Pretty Woman à la cour du Roi, alors que c’est l’histoire d’une femme de 25 ans vendue au Roi par le comte du Barry. Très vite, le film vire à l’ego-trip. Maïween, qui a 20 ans de plus que le personnage, s’éclate à se filmer dans de belles robes bien repassées et faire son regard qui tue, face à un Johnny Depp (qui remplace Depardieu), épatant en Buster Keaton couronné. Tous les autres acteurs font de la figuration, Maïween braquant inlassablement la caméra sur elle. Elle oublie deux choses : faire du cinéma et transmettre un peu d’émotion.
Immense déception.

 

CALIGULA ENLÈVE LE BAS

Le Caligula de Tinto Brass est un drôle d’objet. Sorti en 1980, c’est un péplum cul nu entre un Fellini sous substance et un Ben-Hur déviant, avec un Malcolm McDowell, punk romain qui roule des yeux comme un dément alors qu’il fiste un jeune marié ou qu’il couche avec son cheval. Né dans le chaos et les rivalités entre le scénariste Gore Vidal, le metteur en scène Tinto Brass et le producteur Bob « Penthouse » Guccione, le film partait dans tous les sens, oscillant entre grotesque et grandiose. Petit malin et gros cochon, Guccione finit par interdire Brass de la salle de montage. Quelques années plus tard, le film sort en vidéo, avec plus de trente minutes de séquences pornographiques, transformant le film en un objet du troisième type, multipliant les scènes d’orgies avec des poster-girls du magazine Penthouse. De fait, Guccione et un caméraman avait investi le set à la fin du tournage, en janvier 1977, pour ces longs inserts pornos. Dorénavant derrière chaque mur, chaque tenture, il y a un couple dans des positions acrobatiques ou des lesbiennes déchaînées, quand ce n’est pas une séquence entière d’une quinzaine de minutes comme celle de la partouze sur la galère qui est insérée et qui devient LE moment d’anthologie de ce Caligula sous X.

En 2020, Penthouse demande à l’auteur et archiviste Thomas Negovan, de jeter un coup d’œil aux 96 heures de film qu’ils viennent de retrouver dans des bobines poussiéreuses. Persuadé qu’il est tombé sur de l’or en barre, Negovan se lance dans un montage, beaucoup plus conforme au scénario de Gore Vidal, afin de redonner toute la fureur aux prestations des acteurs (McDowell, bien sûr, mais aussi Peter O’Toole ou encore Helen Mirren…). Il découvre à chaque fois des prises meilleures que celles de la précédente version (« je pense que les monteurs ont choisi la première prise et basta ») et à l’arrivée, TOUTES les images de ce Caligula The Ultimate Cut (nouvelles prises, nouveaux angles, nouvelles séquences) sont complètement inédites. Trois heures d’images nouvelles ! « À ma connaissance, il n’y a aucun film où l’on a pris l’ensemble du travail brut, l’audio, tout le film pour tout refaire. Lorsque j’ai réalisé que des personnes comme Tinto et Malcolm ne voulaient pas être impliquées, je me suis demandé comment déterminer ce qui aurait dû se passer. La plongée en profondeur a commencé comme de l’archéologie et s’est transformée en une machine à remonter le temps. J’ai dû écouter toutes les interviews, lire toutes les entretiens, j’ai trouvé des tonnes de choses qui n’avaient jamais été publiées en termes d’interviews et je suis arrivé à un point où j’ai senti que j’avais une compréhension très intime de ce que chacune des principales personnes impliquées voulait. J’ai alors planté mon drapeau au milieu et essayé de jouer le rôle d’arbitre. Le scénariste détestait les décors. Le réalisateur ne dirigeait pas son acteur principal. En regardant les performances de Malcolm, j’aurais pu faire trois versions différentes de ce film : une où il était hystérique, une où il était stoïque et une où il livrait la performance sensible et puissante que nous avons choisi en fin de compte. » Le film est bien sûr restauré en 4K, une IA a permis de nettoyer les dialogues (comme sur le doc Get back) et des arrière-plans ont été complétés ou rajoutés digitalement, afin d’évoquer avec plus de force l’univers de la Rome antique…

Le résultat est… troublant ; c’est le même film, et en même temps, une œuvre complètement différente. De mémoire de cinéphile, on n’a jamais vu une chose pareille… Grâce à des coupes habiles (notamment quelques répliques entre McDowell et Sir John Gieguld au début), Caligula n’est plus ce zinzin qui déconne dès la première bobine, mais un jeune garçon qui sombre peu à peu parce qu’il a tous les pouvoirs et plus de lien avec la réalité. Quarante ans après la sortie, Negovan a complètement réécrit le film. Est-il plus conforme à la vision de Gore Vidal ? On ne le saura jamais. Mais le film est bien mieux construit, mieux joué, plus cohérent. Il y a encore des scènes de nudité, des visions choquantes (la machine à décapiter, le fist-fucking à la graisse d’oie, bien sûr !), mais les séquences hard ont disparu…. Étrange pour la séquence-pivot de la galère réduite à peau de chagrin.

Jeanne du Barry, déjà en salles
Caligula, The Ultimate Cut : sortie en 2023

LA DECLARATION DU JOUR

« Le public américain est tellement abruti par les films Marvel que Babylon et le dernier Spielberg n’ont pas marchés chez eux. Il y a depuis une quinzaine d’années un abêtissement du public américain qui ne sait plus regarder des films. »
Thierry Frémaux, lors de la présentation de Cannes Cinéphiles