RENCONTRE AVEC NEUHOFF : « CAMPING 3 ? UN GRAND FILM ! »

ÉRIC NEUHOFF

Le critique ciné du Figaro et du Masque et la plume fait hurler la profession avec son pamphlet (très) Cher cinéma français, dans lequel il tire à boulets rouges sur tout un pan de la production nationale d’aujourd’hui.

Il y a très longtemps, Technikart titrait en une, avec un nombril en gros plan, « Pourquoi le cinéma français est nul ». Tu nous as plagié…
Éric Neuhoff : Vous étiez précurseurs, pour une fois. Et les scénaristes vous ont écouté surtout. Ça ne s’est pas arrangé.

Si tu trouves les films français si mauvais, pourquoi te les infliges-tu chaque semaine pour Le Figaro ?
Parce que je suis optimiste : j’espère toujours en trouver un qui va me plaire, et en plus je suis payé pour ça, donc… Mais mon film est né d’un ras-le-bol… Un jour, j’ai craqué, il fallait tirer la sonnette d’alarme, parce qu’on est le seul pays où on produit 250 films par an. Mais pour en garder combien au final ?

À quand remonte cette crise que tu évoques ?
Aux années 80. Là, j’ai vu le phénomène de bascule. Le symbole, c’est Le Grand Bleu : le vide absolu, l’image clinquante, et puis un film où on a l’impression d’être plus intelligent que le metteur en scène. Enfin, contrairement à d’autres films de Besson, les acteurs avaient un tuba dans la bouche, ça leur évitait de réciter des dialogues débiles.

On a évoqué le cas Besson, mais qu’est-ce qui, selon toi, ne va pas dans le cinéma français dit « d’auteur » plutôt que dans son pendant « commercial »?
Le cinéma commercial n’est ni bon ni mauvais ; l’essentiel, c’est qu’il marche. Aujourd’hui dans les films d’auteur, ce n’est ni de l’art, ni du divertissement, juste l’expression d’un esprit de sérieux terrible qui règne. Et d’un laborieux… Tous ces réalisateurs tournent un film par an comme ils passeraient le concours de Normale pour être instituteur. On a l’impression qu’ils viennent de sortir de chez le psy et qu’il leur a donné la note des six derniers mois !

À qui la faute ? Au CNC ? À la FEMIS ?
Ah oui, la FEMIS, c’est quand même la plaie du système. On ne sait pas qui sont les pires des profs ou des élèves…

Dans (très) Cher cinéma français, tu évoques les années 70, cites le cinéma de Sautet, de Pascal Thomas, etc. Mais, dans cette période, on avait aussi les films de Philippe Clair et Max Pecas…
Oui, mais elles n’avaient aucune prétention. C’était vraiment pour s’amuser, c’était vraiment n’importe quoi. L’esprit de sérieux façon « khâgneux » coule le cinéma français.

Serait-ce pour cette raison que tu as de la sympathie pour le cinéma de Fabien Onteniente ?
Ah, oui ! Lui, au moins il ne se prend pas pour Antonioni. J’aime beaucoup Camping 3. C’est un grand film sur la crise de la cinquantaine. Dubosc incarne pour moi un personnage à la Bernanos. On voit le Français moyen dans toute sa détresse. J’avais trouvé ce film très, très marrant, et assez déchirant. Mais si on dit ça, on va se faire tuer ! Onteniente, c’est un type qui fait du cinéma pour se marrer, pour gagner de l’argent, et ça n’a rien de honteux. Il a tourné des films complètement nuls, mais Camping et Camping 3, je mets ça au niveau des Bronzés.

En évoquant des sujets d’actualité très sérieux comme les migrants, l’homophobie ou les conflits sociaux, le cinéma français dit « de festival » te semble-t-il trop lourdement politique et engagé?
Oui, et politiquement correct surtout. Donc toujours très prévisible. Il y a quelque chose d’obscène dans le fait de voir tous ces gens, souvent des nantis, faire semblant de s’intéresser à toute la misère du monde…. C’est pour cette raison que j’entends souvent des gens me dire « je ne vais plus voir un film français ». Si on doit payer 13 euros pour voir des trucs comme ça, on ne met plus les pieds dans une salle pendant deux ans…

Tu dois alors apprécier la cérémonie des César…
Mon Dieu… On a des gens de spectacle, quand même, et ce qui nous est proposé sur scène, c’est le truc le plus navrant qu’on puisse voir. Je préférais encore aller à la fête de fin d’année de l’école de mes fil si il y a 20 ans, c’est dire…

(Très) Cher cinéma français (Albin Michel, 144 pages, 14€).

 

Par Baptiste Liger
Photo Samuel Kirszenbaum